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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/317

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MOR
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deux principes de la magie que cet auteur énonce ainsi :

« Ce qui a fait partie d’un être ou d’un objet, ou ce qui a été en contact avec lui continue pour toujours à faire partie de cet être ou de cet objet, à rester en rapport avec lui et à en présenter les qualités et les défauts. »

Peut-être faut-il rechercher plus loin encore et remonter à ces temps où la conscience individuelle n’existait pas encore, où l’individu, amoral et alogique, était seulement une fraction du groupe. Qui nous prouve que dans l’éveil du moi ce moi ne s’est pas tout d’abord borné à se distinguer des moi qu’il voyait semblables à lui et n’a pas englobé en lui les objets ou êtres différents avec lesquels il était plus particulièrement en contact, ayant ainsi à se différencier encore des objets ou êtres qui continuaient de former un prolongement à son propre individu, non par suite d’une extension, comme l’indiquent Decroly-Vermeylen, mais à cause d’une différenciation encore imparfaite.

Cette distinction du « mien » et du « moi » est-elle maintenant toujours bien établie ? « Au sens le plus large du mot, dit James, le moi enveloppe tout ce qu’un homme appelle sien. » Et Ch. Blondel : « Il est tout à fait théorique d’arrêter, sans plus d’examen, les limites du moi à la surface du corps… Le vrai psychologue ne sait pas si le mien est ou non la plus noble partie du moi : c’est bien, du reste le moindre de ses soucis. Pour rattacher provisoirement le mien au moi, il lui suffit de l’impossibilité où il est de les distinguer clairement. Les rapports qu’ils entretiennent sont même si constants, si étroits qu’on a pu soutenir que la conception du moi se dégageait à la longue du concept du mien, né lui-même au cours de l’expérience infantile du sentiment des pouvoirs que nous avons et de l’action que nous exerçons sur ce qui nous entoure. » Qui peut nous dire laquelle de ces hypothèses est la vraie ? N’est-il pas vraisemblable que le besoin de posséder est un besoin complexe et que ces hypothèses sont toutes partiellement exactes ?

Frappé des maux que cause le régime capitaliste actuel et désireux de changer ce régime, l’éducateur révolutionnaire, ou même réformiste, peu au courant des données de la psychologie et de la sociologie et des incertitudes de ces sciences, n’hésite pas à proclamer la nécessité de combattre l’instinct de propriété et imagine des moyens de lutte inefficaces ou même dangereux.

Mieux averti, connaissant ce que nous venons d’exposer à propos de la genèse de ce besoin ; n’ignorant pas que le droit de propriété individuelle est en recul incessant (disparition du droit de propriété sur les individus, expropriations, droits sur l’héritage, etc.) ; sachant que la tendance à la possession est un véritable besoin, c’est-à-dire est particulièrement intense, lors de ces périodes affectives que l’on observe au début de l’enfance et au début de l’adolescence, il saurait mieux quel est le but qu’il est possible et désirable de poursuivre, quand il faut agir et comment il faut le faire.

Précisons. Il nous semble utopique de vouloir chasser de l’esprit des individus normaux toute idée du « mien » ; il ne nous semble pas non plus désirable de le faire puisqu’au demeurant le « mien » est une étape vers le « moi » et qu’il paraît contradictoire de vouloir tout à la fois combattre la tendance à la possession et aider à l’épanouissement de la personnalité ; mais l’histoire et la psychologie nous montrent que cette tendance à la propriété peut être modifiée dans un sens favorable à. la vie sociale. Nous pensons qu’il est bon qu’au début de l’enfance l’individu ait des choses qui soient à lui, bien à lui ; il serait vain d’ailleurs à ce moment de vouloir combattre le besoin naissant ; l’égocentrisme enfantin rendrait la chose impossible et l’on ne pourrait obtenir que des refoulements dangereux. Le début de l’adolescence est aussi une période

critique où il serait mauvais de combattre ce besoin vivement ressenti, mais où l’on peut préparer sa canalisation et sa sublimation.

Contre le besoin de possession ou plutôt contre ses.. excès il sera peu efficace d’employer les sermons, les prêches et les raisonnements. Il ne sera pas inutile cependant d’amener les grands élèves de nos écoles à réfléchir aux questions morales. Une institutrice de Genève, pédagogue au grand cœur, s’est efforcée de savoir ce que les enfants pensaient de la richesse et de la pauvreté. Son ouvrage : « Ce que pensent les enfants : Richesse et Pauvreté » (Editions Forum, Neuchàtel et Genève, Paris, 33, rue de Seine), pourrait rendre de grands services à tous ceux qui veulent, par leurs leçons, combattre l’injustice sociale et magnifier le travail. Mais Mlle Descœudres, auteur de l’ouvrage dont nous venons de parler, ne compte pas seulement sur la parole pour moraliser les enfants, « ce n’est pas, écrit-elle, le moindre mérite de l’école active, justement parce qu’elle fait agir l’enfant, de le mettre à même de mieux apprécier tout le talent et l’intelligence des travailleurs manuels et de vaincre cette sotte manie — vestige elle aussi d’un autre âge — d’un mépris plus ou moins avoué pour le travail manuel… »

L’éducateur dispose encore de deux moyens principaux d’action. D’abord il peut faire dériver la tendance à la possession vers une voie où elle ne risque pas d’être une gêne pour la collectivité tout en donnant satisfaction à l’individu. L’instinct du collectionneur, qui est une forme dérivée de l’instinct de propriété, est un de ces moyens et il est d’autant plus recommandable que, sagement employé, il peut rendre des services appréciables a l’éducation intellectuelle.

Dans les classes où l’on distribue gratuitement des fournitures et des livres, on peut user d’un autre moyen. Puisque les idées morales naissent surtout des nécessités sociales, il est possible de combattre la tendance à la propriété individuelle en organisant les classes de telle façon que les enfants y sentent la nécessité de la possession collective. Transformer les classes livresques en écoles actives ce sera lutter contre la tyrannie de la tendance à la propriété individuelle. Faites qu’en ces écoles les enfants coopèrent, qu’ils aient à se servir d’un matériel à usage collectif. Par exemple, au lieu de donner à vos élèves des dictionnaires tous semblables, remettez-leur de petits dictionnaires différents, faites-les leur échanger parfois pour comparer les définitions des mots — l’éducation intellectuelle n’aura qu’à y gagner — et permettez-leur de consulter, lorsqu’il sera utile, un dictionnaire plus complet, et partant plus coûteux, prévu pour l’usage de tous.

Quelques remarques me paraissent utiles pour clore cette étude du rôle de l’école à l’égard du besoin de possession. D’abord c’est que nous avons indiqué seulement les moyens qui nous paraissaient les plus efficaces. Il en est d’autres, par exemple l’appel au sentiment à l’aide de lectures ou de récits, etc… Ensuite, c’est que dans le choix des moyens il faut tenir compte du développement intellectuel et affectif des enfants : par exemple, ce n’est que vers neuf ans que l’enfant devient vraiment capable de sociabilité, il est donc inutile de vouloir faire l’éducation sociale des tout jeunes enfants et l’appel à la coopération ne doit être fait qu’au moment le plus favorable.

XIII. Quelques précisions sur le développement affectif. — Il faut, comme nous venons de l’indiquer à propos du besoin de posséder, tenir compte du développement de l’enfant. Ce n’est, dit Mme Vauzelle qu’à sept ans à peu près que l’enfant sent l’injustice, et la pitié est beaucoup plus tardive encore. Tout sentiment compatissant, dit-elle, naît d’une privation, il faut vivre assez longtemps, c’est-à-dire laisser croître ses muscles et enrichir son intellect de sensations multiples, avant d’atteindre à la vie sentimentale. « En vain, ajoute