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t-elle, la vieille école multiplie-t-elle les leçons de morale et d’histoire… elle ne fait autre chose que le bruit d’un grelot, si elle ne suit pas étroitement la ligne du développement mental des élèves, si elle ne se conditionne pas, en un mot, à leur vie réelle. »

Le Docteur Crichton Miller a étudié le développement sentimental des garçons et des filles. D’après lui, ce développement semblerait passer par les phases suivantes :

1° Pour les garçons :

Jusque vers 7 ou 8 ans : la phase de la Mère.

De 8 ans vers 12 ans : la phase du Père.

De 12 ans vers 18 ans : la phase de l’École.

A partir de 18 ans : la phase de la Femme.

2° Pour les filles :

Jusque vers 8 ou 9 ans : la phase de la Mère.

De 9 ans vers 15 ans : la phase de l’École.

De 15 ans vers 18 ans : la phase du Père.

A partir de 18 ans : la phase du Mariage.

L’intérêt qui prédomine à chacune de ces phases n’est pas le seul, mais il importe « que nous veillions au sentiment prédominant dans chaque phase, car c’est celui-là qui, à ce moment, déterminera le développement de l’enfant ».

Les observations du Docteur Crichton Miller, en ce qui concerna la phase de la Mère, justifient les conseils de A. Baumann, que nous avons indiqués à propos de l’extension du besoin d’attachement. Lors de la phase du Père, c’est l’exemple donné par celui-ci qui dirige les sentiments du garçon. Remarquons que cette phase se produit chez les filles après celle de l’École, à l’inverse de ce qui se passe chez les garçons. Observons aussi, avec l’auteur, qu’il existe chez les filles un instinct permanent : l’instinct maternel. (Lire à ce sujet : Alice Descœudres : Le sentiment maternel chez la jeune fille, éditions Forum.) « La petite fille, poussée inconsciemment par l’instinct maternel, parle à ses poupées des foules d’enfants qu’elle aura plus tard, mais déclare qu’un mari ne serait qu’une gêne. » Plus tard, elle apprend la nécessité du père et d’un acte physique assez mystérieux et terrifiant. Si alors l’exemple de son père lui montre que l’homme peut être pour elle un bon compagnon, son développement se poursuivra normalement jusqu’à la phase du Mariage. Cette terreur peut résulter aussi d’un manque d’éducation sexuelle » (voir ce mot). Mme  Béatrice Webb, dans sa brochure : L’Enseignement aux enfants quant à la reproduction de la vie, nous dit : « Un enfant assez âgé pour une intelligente question, est assez âgé pour une intelligente réponse. »

« Aussi, répondons, dès les premiers pourquoi ; à 3, 4 ou 5 ans, l’enfant peut savoir qu’il vient de sa mère, et il l’en aimera davantage : et puis, ce sera mis de côté, dans un coin de son cerveau, pour être retrouvé plus tard. Le principal n’est pas de tout dire, mais de ne rien dire de faux qu’il faudra démolir par la suite, et qui contribuera à creuser l’abîme qui éloignera l’enfant de nous, qui fera perdre la confiance qu’il a en nous. Des quatre périodes de pourquoi, la première est la plus délicate (3 à 7 ans). C’est là que nous consolidons l’édifice dès la base, ou, qu’irrémédiablement, nous perdons la confiance de l’enfant. C’est la plus importante.

Vers 12 ou 13 ans, l’enfant doit connaître par nous ce qu’est la paternité. Nous devons oser avouer la grande et belle loi de la reproduction. Nous devons commencer à éveiller la conscience hygiénique, le sens de la responsabilité vis-à-vis de la famille, de la descendance, le sentiment de contrôle et de respect de soi-même. Il ne faut pas attendre le tournant de la puberté, où l’enfant prend conscience de lui-même et devient timide. Tout cela doit être dit pendant que l’enfant est enfant et qu’il ne voit de mal à rien. » (Mme  B. Weill.)

« Toutes ces peurs, dit aussi Mme  Guéritte qui résume le Docteur Miller, persistent dans l’inconscient des petites filles et ruinent souvent leur vie à l’adolescence ou à la maturité, parce qu’elles ne peuvent confier leurs craintes à personne, si elles n’ont pas près d’elles une mère, ou une autre femme, assez intelligente et avertie pour leur donner les explications voulues et les rassurer. Veillez de près ajoute-t-elle, sur la petite fille qui, dans ses jeux, prend toujours un rôle d’homme, ou sur celle qui a des allures de « garçon manqué ». Ce sont les signes de la peur du mariage. »

Le développement harmonieux du garçon peut être également compromis, quoique pour une cause différente. Entre les deux phases extrêmes « intervient dans la vie normale de tout garçon une longue période d’homo-sexualité psychologique où il ne s’occupe que des individus de son propre sexe, et où le père et les camarades sont les facteurs prédominants de ses sentiments. Il importe que, pendant cette période, la mère sache se tenir à l’écart et admette que son influence doit subir momentanément une éclipse. Si elle veut continuer à dominer la vie sentimentale de son fils, à y tenir la première place, elle risque de paralyser totalement son développement ; car tant que la mère maintient avec son fils les mêmes relations que pendant son enfance, il est impossible à celui-ci de transformer son attitude envers l’autre sexe… Le garçon court alors le danger d’avoir vis-à-vis des femmes dans l’avenir, l’attitude du petit garçon vis-à-vis de sa mère… Le cas de ces fils qui adorent tant leur mère qu’ils ne peuvent ni être amoureux normalement, ni se marier, rentrent dans cette catégorie des garçons dont le développement a été bloqué par la sollicitude exagérée et pernicieuse de leur mère.

Mais cette faiblesse maternelle est souvent causée par la sévérité paternelle… Si le père présente à ses garçons une image de la vie masculine trop dure, ou trop rigide, ou trop parfaite et trop difficile à atteindre, ceux-ci reculent d’effroi. Si l’autorité est trop dure pour l’enfant, il devient un mouton docile ou un rebelle ; si c’est la réalité qui est trop dure, il y échappe en se créant un monde de rêves ou en se jetant dans la grossièreté matérialiste. »

Les psychologues sont d’accord sur le point suivant : il ne peut y avoir de morale sans respect de règles ou respect de celui qui impose des règles. Mais comment l’enfant parvient-il à ce sentiment de respect, mélange de crainte et d’amour, qui est le fondement du sens moral ? Un psychologue suisse, Piaget, s’étant efforcé d’analyser le respect de l’enfant, a reconnu qu’il y avait deux sortes de respects, éveillant deux attitudes morales différentes : 1° le respect unilatéral que l’enfant éprouve pour son aîné, son supérieur ; 2° le respect mutuel, qui lie deux égaux, « par exemple deux enfants de 11 ou 12 ans jouant ensemble et respectant chacun les conventions de leurs jeux. »

Les plus jeunes enfants en sont au stade du respect unilatéral, c’est-à-dire de l’obéissance envers les règles qui leur sont imposées. Ils aiment d’ordinaire obéir à ces règles à la lettre, à la condition cependant que ces règles soient simples et peu nombreuses ; ils trouvent tout naturel d’être punis lorsqu’ils n’ont pas respecté une règle imposée, mais cherchent beaucoup plus à éviter une nouvelle punition qu’à observer la règle. Au contraire, parvenus au stade du respect mutuel, ils ont beaucoup de respect envers de multiples règles qui sont pour eux des conventions mutuelles qui peuvent être changées par accord de la majorité. Ce qui compte pour les plus grands, ce ne sont plus les apparences, mais les intentions : il faut obéir volontairement à l’esprit des règles actuelles.

« Nous voyons donc, dit Piaget, que ceux qui appliquent le plus mal une règle sont ceux qui la respectent le plus, tandis que ceux qui l’appliquent le mieux consi-