MAJORITÉ. n. f. bas latin majoritas (du latin major, plus grand). Appliqué aux élections et aux assemblées délibérantes, le terme majorité désigne la quotité de suffrages requis (voir suffrage), pour qu’un candidat soit choisi, pour qu’une loi soit admise. Appliqué aux individus, il indique l’âge exigé pour l’exercice de certaines fonctions ou prérogatives sociales. Parmi les sens multiples du mot, nous retiendrons ces deux-là seulement.
Dans nos sociétés actuelles aucune confusion n’est possible entre les droits naturels inhérents à notre qualité d’homme et les droits positifs que les autorités nous accordent au compte-gouttes comme membres de la cité. Non seulement les premiers, que nous tenons de la seule nature, sont infiniment plus larges que les seconds, mais fréquemment ils les contredisent. D’où les conflits qui mettent aux prises individu et société : celui-là conscient d’être injustement ligoté par des lois cruelles, celle-ci exclusivement préoccupée de rabaisser le grand nombre (voir nombre) au profit du groupe restreint des dirigeants. Nul doute sur l’origine du droit naturel, c’est dans la personne humaine qu’il a sa source profonde. Soit qu’on le considère comme un simple. aspect de la liberté, comme une résultante de l’indépendance assurée par la nature aux volontés individuelles ; soit qu’on le fasse dériver des désirs ou des besoins qui, nés de la vie et bons comme elle, exigent avec justice d’être satisfaits. L’homme possède en lui-même une fin propre, son bonheur et sa perfection ; aucune autorité extérieure ne saurait l’en distraire légitimement ; il ne peut sans immoralité devenir physiquement ou mentalement l’esclave de quiconque, il ne doit obéissance à personne et n’a d’autre maître que son vouloir éclairé par sa raison. Rester libre de ses actions comme de ses pensées, respectueux seulement de l’égale liberté des autres personnes, voilà qui résume parfaitement l’essentiel du droit naturel humain. Et nul législateur n’a besoin de le promulguer ; il reste identique à travers le temps et l’espace, aussi vrai au xxe siècle qu’au xe, non moins exigible en Chine qu’en Australie, aux États-Unis qu’au Japon si l’on s’en tient non aux conditions extérieures, mais à ce qu’affirme impérieusement la raison.
Le droit positif (voir droit), que la société prétend élargir ou restreindre à son gré, s’avère par contre toujours arbitraire, souvent injuste, parfois absolument contre nature. Il change avec les époques et selon les pays ; ne s’inspire que de l’intérêt des classes privilégiées ou des caprices du maître, en règle générale. Réduire l’individu à n’être qu’un rouage sans âme de la grande machine sociale, un aveugle instrument dans la main de ceux qui ordonnent, voilà son but inavoué mais réel. Certains placent son fondement dans la force, d’autres dans l’intérêt ; en fait il découle tantôt de la première, tantôt du second, souvent des deux associés. Quant aux prétentions, affichées par des moralistes, de fonder le droit positif actuel sur la valeur de la personne humaine, ils témoignent d’une singulière ignorance des diverses législations du globe, toutes plus oppressives les unes que les autres. Ils témoignent encore de la volonté, qu’ont ces valets du pouvoir, de légitimer la tyrannie étatiste, dont pauvres et subordonnés sont aujourd’hui les victimes. Mais les forts, après avoir utilisé les muscles, firent parler les dieux ; ils se doivent de chercher à mettre de leur côté une raison frelatée, aujourd’hui que la théologie est passée de mode. C’est ainsi que la majorité, génératrice des lois dans les pays démocratiques, n’est qu’une application déguisée du culte de la force. Autrefois l’on procédait à coups de poings, on luttait avec des armes plus ou moins perfectionnées ; et la victoire, en général était celle du nombre. On a simplifié le combat en décidant de se compter ; lances ou fusils sont rempla-
Mais, pensera-t-on, il s’agit également d’une question d’intérêt. Oui, l’intérêt donne la main à la force en matière d’élection ; et là encore, du moins en apparence, on observe un progrès. Quand la volonté d’un monarque faisait et défaisait les lois, son seul intérêt entrait en ligne de compte. De même tant qu’une minorité de riches, fut appelée aux urnes, l’intérêt du peuple fut oublié ; avec le suffrage universel, le travailleur ne peut être négligé aussi complètement. Néanmoins, après plus d’un demi-siècle de suffrage universel, en France, l’ouvrier reste l’esclave du patron ; et des constatations identiques s’imposent dans tous les pays. Les aristocraties, habiles dans l’art d’exploiter les diverses situations, sont demeurées maîtresses ; elles ont seulement varié leurs procédés de gouvernement, feignant, à l’occasion, de se préoccuper du sort des malheureux, qu’elles abrutissent aux champs comme à l’usine. Pour diriger l’opinion, elles utilisent la presse et l’Église, ces deux puissances autrefois à la solde des nobles, attelées aujourd’hui au char de la finance. Et, par l’exemple de l’Italie et de l’Espagne, nous savons que la légalité ne compte guère, à leurs yeux, lorsqu’il s’agit de sauver l’ordre capitaliste. Dans les républiques d’Europe et d’Amérique, elles fabriquent, à leur guise, les majorités : le peuple étant trop simple pour s’apercevoir qu’il est la dupe dont on se gausse éternellement. Corruption individuelle, suggestion collective entrent en jeu lorsqu’il s’agit d’élection. Un système d’espionnage méthodiquement organisé permet aux amis du gouvernement d’être renseignés sur les idées politiques de chaque citoyen, sur ses désirs et ses ennuis personnels ; de fines mouches, d’habiles courtiers se chargent ensuite de l’achat des consciences. Pour le troupeau, des consommations gratuites à l’estaminet, de maigres secours donnés de la main à la main suffisent ; il faut davantage pour satisfaire l’électeur influent : décorations, places du gouvernement, passe-droits, le tout proportionné à la situation du personnage, voilà ce qu’on promet d’ordinaire. La suggestion collective, si puissante sur la mentalité des foules intervient de son côté. On l’observe déjà chez les animaux vivant en groupe : les moutons fuient ou s’arrêtent tous ensemble, les coqs se répondent au lever du soleil. D’instinct l’enfant imite ceux qui l’entourent ; et les grandes personnes rient, baillent, toussent, sans raison, lorsqu’on le fait à côté d’elles. Les foules, peu capables de réfléchir, son facilement secouées par des émotions intenses, pitié, enthousiasme, cruauté, contre lesquels l’individu réagit peu. Quelques fuyards déterminent une panique ; la mode repose sur la tendance à l’imitation ; crime, révolte, suicide sont contagieux. De même les maladies nerveuses ; et de nombreux miracles n’ont pas d’autre origine. Parmi les premiers chrétiens beaucoup étaient sujets, pendant les réunions, à des accès de glossolalie ou émission de sons inarticulés ; ces manifestations, regardées comme divines, furent interdites aux femmes par l’apôtre Paul, tant elles devinrent incommodes. À Lourdes la contagion des émotions joue un rôle énorme, je m’en suis rendu