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MOR
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admettre la disparition définitive, et se persuada qu’il reverrait ceux qui venaient de le quitter. Ainsi prit naissance cette foi en la vie future avec l’immortalité de l’âme et les chimères de l’enfer, du purgatoire et du paradis. Ces idées, l’être finit par les tenir pour certaines, et ce sont là les préjugés dont nous retrouvons les traces dans toutes les religions et plus particulièrement dans la religion catholique romaine.

Pour le croyant, la mort devient donc la séparation du périssable avec l’immortel, de l’âme avec le corps. Une destinée commence quand l’autre prend fin ; voici la vie éternelle et notre parution devant la divinité… Quel sera son jugement ? Prions en attendant, allumons des cierges, portons de l’argent en offrande aux saints pour qu’il nous soit beaucoup pardonné, car nous avons peut-être péché. Telles sont les grandes préoccupations des croyants à l’approche de la mort.

Ceci témoigne de la crainte qu’éprouvent ces personnes avant de comparaître en face de leur « Dieu-juge ». J’ai souvent remarqué que les personnes les plus croyantes semblaient avoir de la mort une véritable frayeur. Cependant, n’est-elle pas, pour eux, la fin des maux d’ici-bas, la vie présente n’étant qu’un court passage, une infime portion de la vie éternelle. Mais il est vrai qu’un jugement les attend au terme du séjour terrestre. Paradis, enfer ; la crainte d’entrer dans celui-ci pour n’avoir pas mérité l’autre n’est pas pour les réconforter.

Dans ce cas, de deux choses l’une : ou elles ont « mal agi » durant leur court séjour sur cette terre tout en voulant se montrer bons chrétiens, c’est l’hypocrisie ; ou elles n’ont pas confiance en leur Dieu, juste et miséricordieux.

« Si j’avais la force de tenir une plume, je voudrais m’en servir pour exprimer combien il est facile et agréable de mourir », disait William Hunter… Qu’il est doux de mourir quand, vieilli, fatigué, usé par les luttes de la vie, l’on s’éteint en songeant au bonheur que l’on a pu semer dans son existence. La mort apparaît alors comme un repos bien mérité, un repos demandé ; car de même que, le soir, après la journée bien remplie, l’on éprouve le besoin de dormir, il est un âge où l’on peut sentir le besoin de se reposer pour toujours… » D’ailleurs, puisque la vie continue après nous, sachons faire place à des vies nouvelles, plus ardentes, plus enthousiastes, capables d’apporter par leur travail plus de bien-être et plus de bonheur à l’humanité. Savoir mourir quand l’heure nous y invite, c’est l’idéal vers lequel nous devons nous élever.

En effet, savoir mourir, c’est comprendre la vie. Ainsi que Platon, Marc-Aurèle, Epictète, c’est se rendre compte du but final de la vie comme le génial musicien Mozart le faisait en écrivant à son frère, le 4 avril 1787 : « Je me suis, depuis quelques années tellement familiarisé avec cette vraie, cette meilleure amie de l’homme, que son image, non seulement n’a plus rien d’effrayant pour moi, mais est même, au contraire, très calmante et très consolante… et pourtant aucun de ceux qui me connaissent ne pourra dire que je sois chagrin ou triste. »

Savoir mourir, c’est se rapprocher de ce qu’écrivait Tolstoï. « Je pense de plus en plus à la mort et toujours avec un nouveau plaisir : tout s’apaise. » C’est la concevoir comme Léonard de Vinci : « Si la mort n’était pas, il n’y aurait, au monde, rien de plus misérable que l’homme. » Nous n’avons, il est vrai ni la force de caractère d’un Socrate, ni la puissance de raisonnement d’un Épictète ; nous ne pouvons envisager la mort comme Mozart, ou l’attendre comme Tolstoï, ou bien encore l’apprécier comme Léonard de Vinci, mais nous devons nous en faire une idée assez nette pour ne pas être effrayés à son approche.

Mais pourquoi devons-nous mourir ? me direz-vous. Parce que la mort est une forme nouvelle de la vie, de

la marche de celle-ci elle est la conséquence naturelle et logique ; et c’est une transformation, en somme, nécessaire à l’équilibre des forces de la matière. Notre vie n’est-elle pas faite de la mort d’une foule d’êtres et tout le mouvement de la nature n’est-il pas basé sur la lutte continuelle qui se traduit si cruellement par cette pensée : Tout ne vit que par la mort. Comme l’a très bien dit Hosphile : « L’Univers se détruit lui-même pour se survivre, la vie crée la mort pour rester la vie et revivre sans fin… »

Mais les religions jusqu’à ce jour n’ont cessé d’enseigner aux peuples qu’au ciel seulement règnent l’égalité, la justice, la fraternité, en un mot la vraie vie, harmonieuse et droite. Et ce baume et ces promesses n’ont fait qu’abuser les faux « vivants », illusionnés par la perspective d’un bonheur éternel. Bonne aubaine pour les puissants !

Consolés par ce mirage, les esclaves ont accepté la détresse de leur sort, regardé même comme une épreuve bienfaisante les souffrances de cette « vallée de misères », antichambre de la béatitude éternelle… Alfred de Vigny disait, avec raison : « La religion du Christ est une religion de désespoir, puisqu’il désespère de la vie et n’espère qu’en l’éternité. »

La science a amené les individus à méditer sur leur sort, en précisant le sens et la portée de la vie. Elle les a préparés à lutter pour l’amélioration de leur condition présente et c’est là un résultat heureux des recherches persévérantes de la pensée humaine. « Le seul effort qui compte (dit Payot dans La Conquête du Bonheur) est de coopérer avec les grandes forces spirituelles qui donnent à l’Univers sa signification, et quand on s’élève à cette conception de la vie, on sent qu’on ne peut pas plus cesser d’être que n’ont cessé d’être Pythagore, Socrate, Platon, Aristote et tous les grands esprits qui continuent à vivre dans toute intelligence qui s’ouvre à la vérité. Pythagore est penché sur tout enfant qui cherche combien il y a de décimètres cubes dans un mètre cube. La seule mort éternelle, c’est de n’avoir pas fait sa tâche… » Avec Lebrun Pindare, disons : « Je ne meurs pas, je sors du temps » ; Avec G. Adolphe : « À d’autres le monde ! »…

Dans l’état actuel de nos connaissances, la mort nous apparaît comme un phénomène plus fort que nos volontés, mais dont la vie même tire encore profit. Si inéluctable, d’ailleurs, qu’il nous semble aujourd’hui, cela n’implique pas que nous ne pouvons chercher à en reculer l’échéance, à assurer toujours plus, sur la mort, le triomphe de la vie. Nous nous devons seulement d’envisager la défaite avec sérénité. Quand notre rythme vital s’interrompt, que l’individu épuisé ou inapte s’efface devant de nouveaux arrivants, il importe de donner à la retraite toute sa valeur, de la rendre claire, généreuse et digne. La mort regardée en face, bien située et comprise, cesse d’être un objet de crainte et d’horreur. D’en pénétrer la signification et de reconnaître qu’elle s’accompagne aussi de bienfaits, cela ne peut que nous rendre meilleurs. – Hem Day.

MORT. — S’il fallait écrire ici une monographie proportionnée à l’importance attachée par l’humanité à la mort, l’encyclopédie tout entière n’y suffirait pas. Le rôle joué par l’idée de la mort dans la vie des peuples, comme dans la vie privée est formidable (voir le mot : vie). Pour tous, la mort, en effet, n’est pas seulement l’envers de la vie. Elle suggère, par voie d’association tout un monde d’idées et de sentiments. Philosophie, religions, morales, ethnologie, folklorisme, physiologie, médecine, poésie, art, mœurs, toutes ces disciplines, et combien d’autres encore, ont tenu à s’occuper du problème. Peu d’hommes y sont indifférents et si quelques-uns ont pu l’envisager comme un problème bio-pathologique aussi peu émouvant que la vie elle-même, l’accepter avec une sérénité impassible