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MOR
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et souriante il est une infinité d’êtres humains pour qui la mort reste un sujet de terreur et d’angoisse qui ne le cède à aucun autre problème.

L’intensité de cette angoisse est en raison inverse du développement culturel de l’individu et de son émotivité, celle-ci considérée, dans l’espèce, déjà comme morbide, car l’on voit des intellectuels pour qui la mort est, quoi qu’ils fassent, un objet de phobie douloureuse.

Le fait historique est que ce phénomène banal de bio-pathologie a débordé sur la vie morale et sociale beaucoup plus que d’autres problèmes tels que celui de respirer, de manger ou d’aimer. C’est que, de très bonne heure, la mort a soulevé un problème d’ordre moral, uniquement comme conséquence de la croyance à l’existence d’une Âme, substance différente du Corps.

L’homme simple que fut le primitif, objective avant de penser et d’approfondir. Les impressions de plaisir et de peine sont à la base de toutes les philosophies. La seule contemplation du Phénomène « Mort », suivi de l’anéantissement, jugé absolu, de ce qui fut l’enveloppe de l’être, laquelle enveloppe tangible donnait seule l’idée de la vie ; la disparition parfois brutale et subite de cette manifestation dénommée vie ; sa cause apparemment immédiate dans la maladie, l’infirmité, l’usure ; l’idée d’une fin vraiment finale dans la souffrance, tout cela était bien de nature à épouvanter. La cessation du mouvement, dans l’ignorance du mécanisme et de la cause de ce mouvement qui incarnait la vie, la rupture définitive de tout rapport intellectuel ou affectif entre ce cadavre et l’ambiance, tout cela devait suggérer fortement l’idée d’une substance immatérielle étrangère à la guenille qu’elle habitait.

Et qui sait si, parmi les phénomènes générateurs du mysticisme, du dualisme substantiel, le phénomène Mort n’a pas été le plus influent ?… Il est certain que la Religion a beaucoup exploité ce phénomène pour établir l’autorité, l’empire de ses prêtres. On connaît bien encore l’influence émouvante, irrésistible, d’un De Profundis et d’un Dies Iræ sur l’imagination humaine, même des mécréants. Ne fait-on point tout ce qu’on veut d’un être meurtri par la terreur ?

Dès l’origine, il fut naturellement impossible de nier l’immatériel. Qui pouvait animer ce cadavre, hier encore agissant et donnant, suivant le mot courant, l’expression de la vie ? Toutes les théories spiritualistes, animistes, etc., reposent sur de telles bases, dont l’importance fait illusion.

Le positif en cette matière est la conquête du savoir humain. Mais quel bloc de préjugés doit-il soulever avant de pénétrer dans les esprits et de métamorphoser l’Idée ! Allez donc dégager la pensée d’un Breton de la superstition relative à l’Âme, à la mort, à l’éternité d’un Au-delà, différent de l’En-deça ! Cette révolution commence à peine et l’on peut à peine entrevoir les conséquences de ce bouleversement si nécessaire.

Le dualisme de la substance devait conduire à cette définition inscrite encore comme un truisme dans les livres sacrés : la mort est la séparation de l’Âme et du Corps, de même que la vie est un souffle divin qui anime la matière. Le Monisme, à l’encontre, concevra que le souffle ne soit pas séparable de son support et que la vie, de définition toute relative n’est autre chose qu’un attribut de la matière, dont l’irritabilité est le témoin et l’activité sa manifestation. L’éternité même de la matière remplit un des postulats des dualistes pour qui l’Immortalité est un dogme inattaquable.

Il y a dans la mort deux objets à exposer, à discuter : d’un côté, le néant de la dépouille dite mortelle, autrement dit la mort matérielle et, ce qu’on lui oppose : la survie de l’Âme, ce qui ramène le problème de la mort à un problème de reviviscence possible, fait important, car monistes et dualistes se posent la même

question : que devient l’objet complètement ou partiellement mort, l’Âme ne mourant point, par définition ?

De la mort matérielle. — Soyons toujours objectifs et dégageons-nous de l’a priori, car c’est uniquement par l’observation directe, abstraction faite de toute hypothèse imprudente, qu’il est permis à l’homme de découvrir quelque embryon de vérité.

Et, tout d’abord, définissons : qu’est-ce que la mort, objectivement parlant ? C’est un changement d’état des êtres définis vivants (la mort est la cause de la cessation de la vie). La mort étant, par définition même, un état négatif, personne ne sera surpris qu’on la définisse par une négation, fait qui ne manquera point de déconcerter les imaginatifs pensant voir dans la mort quelque chose de concret, parfaitement délimité, quand il n’y a encore que relativité. Car pour savoir ce qu’est la mort, encore faudrait-il savoir ce qu’est la vie. Sur ce chapitre ni la science ni la métaphysique ne nous ont fourni aucune précision. La vie ne se définit que par certaines de ses qualités : le mouvement, l’activité physique, l’irritabilité de la matière, les échanges biochimiques, etc… L’esprit fait une synthèse de cet agrégat de propriétés et cet amalgame devient pour lui la vie. Pour d’autres, la vie est qualifiée par les échanges, la transformation, l’évolution. Elle serait l’apanage exclusif de la matière organique du protoplasme (voir ce mot), de tout ce qu’il est impossible à l’homme de créer in vitro ou dans son laboratoire, Seuls les règnes végétal et animal seraient capables de vie. Point capital. Car alors il faudrait dénier toute vie au minéral, à raison de son apparente inertie, nul n’ayant eu le pouvoir d’assister à la fin du végétal sous la forme de la tourbe ou de la houille. Il faudrait refuser la qualité de vivre au soleil, qui pourtant est le principe de toute vie : comment donner ce qu’on n’a point ?

Le lecteur comprendra maintenant combien complexe apparaît le problème de la mort quand celui de la vie défraie toutes les fantaisies et reste si discuté, si mal résolu dans son essence. Tout ce que nous savons est que la vie, telle que nos faibles moyens nous la font concevoir n’est qu’un moment dans l’immense évolution de la matière cosmique. Qu’est la disparition d’une mouche ou d’un homme dans le cosmos ? C’est à cette humble interrogation que se réduit l’incommensurable vanité de celui qui prétend émerger du torrent indomptable des atomes.

Biologiquement, la mort n’a point de commencement ; nul ne sait davantage quand elle est accomplie. L’image de la Mort que notre œil contemple figure un paroxysme ; un état de révolte suprême, bruyant, poignant, mais qui cache ses débuts plus ou moins loin en arrière et qui s’estompe, le silence une fois fait vers un lointain sans limite. Ce paroxysme global a été précédé d’extinctions partielles ; il est l’origine, à son tour, de transformations nouvelles. Il n’est que la stupéfaction brusque de milliards de cellules infiniment petites associées coopérativement, grâce à la brutale désharmonie des règles physico-chimiques hiérarchisées dont l’équilibre avait donné jusque là l’illusion d’une personnalité sur laquelle une convention sociale avait appliqué une désignation patronymique. Tout cela se désagrège, mais pour initier un nouveau cycle. C’est une séparation de corps, un divorce dont les facteurs vont chercher fortune ailleurs.

En fait, la mort que nous contemplons avec effroi n’est que la multiplication subintrante de morts partielles qui s’échelonne la vie durant. Que de fois n’a t-on pas dit que la vie n’est qu’une longue agonie, que le début de la vie n’est que le commencement de la mort ! Voyez cet homme parvenu au déclin de sa vie de météore – telle une nébuleuse qui surgit pendant quelques siècles à notre horizon, pour disparaître à jamais ; on la croit éteinte : elle vit intensément. Voyez cet homme au moment où, ballotté depuis toujours par