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MOR
1685

de la naissance jaillissent presque toujours la beauté et la joie.

« Qu’est-ce donc qu’un enterrement ?

« Quelque chose d’aussi bête, d’aussi faux et immoral qu’une communion ou un mariage. La dernière pulsation vient-elle de s’accomplir qu’aussitôt les simagrées commencent. On place autour du cadavre une quantité de bougies comme si le nerf optique en histolyse pouvait encore recevoir les vibrations lumineuses ; les commères, la plupart du temps, se hâtent aussi de voiler les glaces, s’il y en a, d’étoffes noires. Tout le monde pleure ou s’y efforce ; les voix chuchotent, on marche sur la pointe des pieds ; les gens s’agenouillent ; voisins et survivants défilent devant le mort qu’ils aspergent d’une eau salée (dénommée bénite), et avec une branche de buis, s’il vous plaît. Sur un registre déposé à l’entrée du logis viennent écrire leur nom en signe de douleur ou de regret, ceux qui, la veille, le matin même, traitaient de salaud et de mufle celui qui vient de mourir. Devant la mort, il faut tout pardonner. Autre hypocrisie ; autre ânerie ; ce n’est pas devant un cadavre que doivent s’apaiser les haines, mais bien dans un instant de bon sens et de raison, quand le vivant a besoin de fraternité, de camaraderie, de solidarité.

« La cérémonie continue. C’est le jour de l’ensevelissement : des parents, des amis, qui, en la circonstance, peuvent avoir un réel chagrin, reçoivent lettres, cartes, dépêches, contenant toujours le même cliché, celui qu’on nomme condoléances. Sur vingt, il y en a peut-être deux de sincères. Si la famille du mort éprouve une peine réelle, elle désire plutôt qu’on la laisse en paix… Il est vrai qu’elle l’a voulu, puisque, aussitôt la mort survenue, elle a envoyé de tous côtés, par douzaines ou par cent, de ces papiers bordés de noir, de ces faire-part dont la rédaction est, vous ne l’ignorez pas, un poème d’originalité…

Couronnes et fleurs abondent. Les héritiers ne cessent de pleurer. Évidemment, certains ont une douleur véritable, mais combien se frottent les yeux pour sauver les apparences !… La voisine a mis 50 centimes pour la couronne des amis ou des locataires qui, huit jours auparavant, criait sur chaque paillasson : y’n crèvera donc pas celui-là ! Les parents, brouillés depuis des années viennent, au prix d’une jolie gerbe de fleurs, faire la paix sur la tombe. Les copains d’atelier, malgré toutes les méchancetés et les mauvais tours qu’ils ont joué au mort, se sont faits généreux d’un gros cerceau d’immortelles. Les ouvriers n’oublient jamais de faire inscrire : « Le personnel de la maison Untel à son regretté patron » qui les a exploités sa vie durant, et toujours en pareil cas le patron rend « hommage à son bon serviteur ». L’entrée du logis est drapée de noir. Celui qui, tout à l’heure, sera descendu dans le trou, fait un stage à l’entrée du couloir de sa turne, ou devant sa propriété, juché sur un tréteau avec réédition de cierges allumés et de buis qui fait trempette. Ce spectacle s’appelle exposition du corps.

« Voici venir les Pompes funèbres, et c’est du comique qui vient s’ajouter à l’hypocrisie. Tout de noir habillés ; munis de bottes, d’un tricorne les pompiers funèbres conduisent le noir corbillard, plus ou moins orné selon la classe

« L’enterrement est-il religieux ? On trimbale le cadavre dans l’église ; le curé y grimace une messe plus ou moins longue, suivant le prix fait. Pour les purotins, ça ne dure pas dix minutes. Est-ce un enterrement civil au contraire ? On fait la même chose encore que s’il était religieux avec cette seule différence qu’on n’entre pas à l’église ni au temple. Souvent, des femmes comme il faut, bien que faisant partie d’un cortège d’athées, se signent en passant devant l’édifice du culte, pendant que des F** et des socialos suivant un enterrement religieux, font les cent pas devant le por-

che ou vont sucer un demi-setier, en attendant que le copain ressorte.

« Au cimetière tout le monde est triste. La bière étant descendue, les cléricaux jettent de l’eau bénite dessus et les libres-penseurs une poignée de terre ou des immortelles. Parfois, la gorge obstruée de sanglots, on discourt et, jusqu’à la porte de sortie, on s’éponge les yeux copieusement. Mais à ce moment, le portail franchi, on se reprend. La cérémonie est terminée : on a fait son devoir, maintenant on peut bien chasser un moment le chagrin et la tristesse. Allons en face… Les gens convenables, eux, ne vont pas chez le bistrot en sortant du cimetière. Ils retournent généralement chez eux régler leurs affaires. Si cela ne va pas tout seul, huit jours plus tard, harnachés de noir, ils se retrouvent chez un magistrat…

« Avez-vous bien réfléchi, vous les malheureux, les travailleurs, les humbles, à ce que vous allez faire en donnant vos pauvres économies pour ensevelir dignement l’être que vous aimiez par dessus tout ? Ah ! je comprends fort bien votre douleur ; mais réfléchissez : est-ce que les tentures, les couronnes, les fleurs, les voitures feront ressusciter celui qui n’est plus ? – Vanité ! Il faut qu’on lui rende un « dernier hommage » ! Mais, les petiots, mais ceux qui restent : la veuve, le vieillard, l’infirme, les hôtes de la chaumière ou de la mansarde endeuillée n’ont-ils besoin de rien ? Des couronnes, quand les mioches n’ont pas de souliers pour aller à l’école ! Des crêpes et des voiles, quand demain le pain manquera à la huche ! De l’argent au prêtre, de l’argent pour une messe, pour des voitures, pour des écussons, des draperies, quand pendant des semaines, vous allez pâtir ! Que dis-je, votre imbécilité ira même jusqu’à contracter des dettes afin d’acquérir un terrain où vous planterez des fleurs que la pourriture humaine aidera à s’épanouir. Et si les lois permettaient qu’on gardât chez soi les cadavres, et que les bocaux ad hoc coûtassent des milliers de francs, c’est votre lit, votre dernière chemise, que vous vendriez pour pouvoir chaque jour pieusement vous agenouiller devant des viandes en putréfaction.

« Et vous, braves gens dont le visage se détourne des faméliques, des malfrais, des frugueuses ; vous qui claquez la porte au nez du chemineau moulu ; vous qui jubilez du malheur d’autrui, de la faillite du voisin ; qui n’avez jamais donné un verre d’eau au vivant malheureux ; vous pour qui communisme, solidarité, sont de dangereuses et niaises utopies ; qui justifiez votre cruelle opulence par le qu’ils fassent comme nous ; vous qui n’avez jamais frémi de révolte devant des gosses en haillons, que faites-vous donc là ? – Ah ! Ah ! Vous apportez des fleurs et des couronnes, hypocrites ! C’est maintenant, devant l’organisme abattu, que vous manifestez vos sentiments, votre sympathie. Et vous, les honnêtes gens, les moralistes, qui rédigez les arrêts de l’opinion publique ; vous qui n’avez jamais manqué de jeter l’anathème sur les criminels et sur les voleurs ; vous pour la sécurité desquels fonctionnent les tribunaux et grincent les verrous ; vous, les braves citoyens qui avez besoin de l’ordre ; vous tous qui jamais ne sûtes ce qu’est le besoin, la misère ; pourquoi cette subite pitié devant la mort, misérables qui n’eûtes jamais le culte, le respect, la pitié pour la vie… Et vous, riches gredins et nobles catins, ventres dorés, canailles du trust et de la haute banque, vous êtes émus de compassion lorsque frôle vos équipages le cercueil d’un jeune derrière lequel il n’y a qu’une mère qui sanglote : Pauvre femme ! dites-vous. Vos femelles se signent et vous abaissez vos gibus. Jésuites, triples jésuites, n’est-ce pas votre œuvre ? N’est-ce donc pas vous qui faites crever les enfants au berceau, les adolescents à l’usine ? Cette chair pourrie que vous saluez maintenant, elle est vôtre ; c’est elle que vous méprisez, que vous insultez, que vous exploitez quand