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MOR
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l’humanité est inconcevable. Si l’on employait toutes ces forces à recevoir les enfants, on en préserverait de la maladie et de la mort des milliers et des milliers.

« Ne voyons-nous pas, au centre des villes, de grands espaces que les vivants entretiennent pieusement : ce sont les cimetières, les jardins des morts. Les vivants se plaisent à enfouir, tout près des berceaux de leurs enfants, des amas de chair en décomposition, les éléments de toutes les maladies, le champ de culture de toutes les infections. Ils consacrent de grands espaces plantés d’arbres magnifiques, pour y déposer un corps typhoïdique, pestilentiel, charbonneux, à un ou deux mètres de profondeur ; et les virus infectieux, au bout de quelques jours, se baladent par la ville, cherchant d’autres victimes. Les hommes qui n’ont aucun respect pour leur organisme vivant, qu’ils épuisent, qu’ils empoisonnent, qu’ils risquent, prennent tout à coup des mesures comiques pour leur dépouilles mortelles alors qu’il faudrait s’en débarrasser au plus vite, la mettre sous la forme la moins encombrante et la plus utilisable. Au lieu de se hâter de faire disparaître ces foyers de corruption, d’employer toute la vélocité et toute l’hygiène possible à détruire ces centres mauvais dont la conservation et l’entretien ne peuvent que porter la mort autour de soi, on truque pour les conserver le plus longtemps qu’il se peut, on promène ces tas de chair en wagons spéciaux, en corbillards, par les routes et par les rues.

« Sur leur passage, les hommes se découvrent. » Eux qui tout à l’heure foulaient aux pieds un estropié vivant, passaient, indifférents ou railleurs, devant la souffrance, se sentent soudain de l’émotion devant ces restes insensibles. Ils respectent la mort ! Le riche salut sa victime qui s’en va, le pauvre se découvre devant le meurtrier des siens qu’emporte le convoi. Mensonges et duperies d’union sacrée : « Tel qui suit respectueusement un corbillard, s’acharnait la veille à affamer le défunt, tel autre se lamente derrière un cadavre, qui n’a rien fait pour lui venir en aide, alors qu’il était peut-être encore temps de lui sauver la vie. Chaque jour la société capitaliste sème la mort, par sa mauvaise organisation, par la misère qu’elle crée, par le manque d’hygiène, les privations et l’ignorance dont souffrent les individus. En soutenant une telle société, les hommes sont donc la cause de leur propre souffrance et au lieu de gémir devant le destin, ils feraient mieux, de travailler à améliorer les conditions d’existence, pour laisser à la vie humaine son maximum de développement et d’intensité. » (A. Libertad).

Trop de siècles ont été empoisonnés par la mort, terrifiés par son attente subjugués par ses rites. Que les hommes cessent, devant le phénomène enfin situé dans l’activité universelle, des momeries sottement répétées. Qu’ils débarrassent la mort de son théâtre, de tout ce qu’elle ébranle d’apparat, de pensées et de propos mensongers, de gestes lâches et vains, odieux ou pitoyables. Qu’elle ne prenne, devant leurs yeux dessillés, que la part d’attention et de soins, minimes, qu’elle exige. Arrière les sépulcres et les humains agenouillés sur eux en travesti. Hommes, reprenez des mains des nécrophages, les luminaires voilés. Offrez toute à la vie leur flamme délivrée. Et que les énergies, résolument – rythmées par des vivats, non des sanglots contraints – se tournent vers ses œuvres, jusque-là honteusement délaissées ! – L.

MORT (peine de). — Personne en Occident, et ceci permet de mesurer la sottise humaine ne s’est élevé ni dans l’antiquité, ni au moyen-âge, soit contre la peine de mort et les nombreuses applications qu’en faisaient les législateurs, soit plus simplement contre les supplices abominables dont on accompagnait certaines exécutions. Les lois de Moïse consacrent la peine de mort et même la prodiguent. Sans doute

l’Évangile ordonne de rendre le bien pour le mal ; mais les Pères et Docteurs de l’Église ont légitimé cette peine au moins par leur silence ; de plus, papes et princes chrétiens du moyen-âge, l’ont appliquée sans retenue, en y joignant des rigueurs dont le seul souvenir provoque l’épouvante. C’est à partir du xvie siècle que des protestations s’élèvent contre le nombre et la cruauté des supplices. Dans son Utopie, Thomas Morus montre qu’il est injuste de réprimer le vol par la même peine que l’assassinat ; pour Jean de Wier, les sorciers sont des malades qu’il faut guérir et non brûler. Mais Jean Bodin réfuta ce dernier dans un livre, la Démonomanie, que les contemporains couvrirent d’éloges, que tous jugent insensé aujourd’hui. Augustin Nicolas, un magistrat, protesta au xviie siècle contre la torture ; Beccaria, au xviiie siècle, attaqua le principe même de la peine de mort. Ni Montesquieu, ni Voltaire, ni Rousseau ne se laissèrent convaincre. « Tout malfaiteur écrivait Rousseau dans le Contrat Social, attaquant le droit social, devient par ses forfaits rebelle et traître à la patrie ; il cesse d’en être membre en violant ses lois, et même il lui fait la guerre… Il doit en être retranché par l’exil comme infracteur du pacte, ou par la mort comme ennemi public ; car un tel ennemi n’est pas une personne morale, c’est un homicide, et c’est alors que le droit de guerre est de tuer le vaincu. » Montesquieu réservait la peine de mort aux assassins : « Un citoyen, lit-on dans l’Esprit des Lois, mérite la mort lorsqu’il a ôté la vie ou qu’il a entrepris de l’ôter. Cette peine de mort est comme le remède de la société malade. » Pourtant l’idée de Beccaria rencontra des sympathies ; et le duc de Toscane, Léopold Ier, abolit la peine capitale dans ses états.

Pendant la Révolution française, Lepelletier-Saint-Fargeau proposa, au nom du comité de législation, de la supprimer en matière civile. Mais il la maintenait en matière politique : « Le citoyen qui aura été déclaré rebelle par un décret du Corps Législatif, ce citoyen doit cesser de vivre, moins pour expier son crime que pour la sûreté de l’État. » La peine de mort, même en matière civile, fut d’ailleurs maintenue, à la presque unanimité des membres de l’Assemblée Constituante. Robespierre, à cette époque, était pour la mansuétude : « Aux yeux de la vérité et de la justice, affirmait-il, ces scènes de mort que la société ordonne avec tant d’appareil ne sont autre chose que de lâches assassinats, que des crimes solennels commis, non par des individus, mais par des nations entières, avec des formes légales. » Après la Terreur et la réaction du 9 thermidor, la Convention décréta, le 14 brumaire, an IV, que « la peine de mort serait abolie dans toute l’étendue de la République française », mais seulement à partir du jour où l’on proclamerait la paix générale. Elle reprenait là un projet que Condorcet avait déposé le lendemain de l’exécution de Louis XVI. Le Code pénal de 1810 prodigua la peine de mort, même lorsque la vie des personnes n’avait couru aucun risque ; elle s’appliquait dans vingt-deux cas, auxquels on ajouta plus tard le sacrilège, avec ce monstrueux commentaire du grand chrétien de Bonald : « Renvoyons le coupable devant son juge naturel ». Dans une brochure parue en 1822, Guizot s’éleva contre la peine de mort en matière politique ; Lafayette, de Tracy, Déranger, Charles Lucas, Rossi demandèrent qu’on la supprime aussi en matière civile. Victor Hugo, Lamartine écrivirent plus tard d’émouvants plaidoyers en faveur des condamnés à mort ; et par ailleurs, les travaux des criminalistes établirent que, chez bien des coupables, la responsabilité était fort limitée, sinon nulle. On sait le retentissement obtenu par les écrits de Lombroso.

À la fin du xixe siècle et au début du xxe, un mouvement très net se dessina contre la peine de mort ; il aboutit à sa suppression dans plusieurs pays, en Italie par exemple et dans de nombreux cantons suis-