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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/351

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MOU
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à leur position première, les formes sociales qu’on a voulu et cru abolir.

En résumé, le mouvement social – l’expression étant prise dans son sens le plus large, – est un inextricable amalgame de toutes les forces morales, politiques, religieuses de toutes les transformations techniques dans le domaine de la production, des échanges, des transports, etc., de toutes les constitutions de groupements et d’organismes économiques, corporatifs, financiers, coopératifs et autres. La vie sociale est en perpétuel mouvement.

Il est cependant assez aisé de reconnaître, au sein des multiples courants sociaux qui agitent actuellement la société humaine, une poussée qui s’affirme sous des formes diverses, mais suivant une ligne générale, prépondérante sur toutes les autres formes d’organisation : c’est l’orientation vers l’entente toujours plus libre.

Jusqu’à présent, et davantage en remontant dans le passé, la solidarité sociale a été plus imposée que voulue. Si toutefois l’on peut appeler solidarité sociale des relations entre maître et esclave, chef et subordonné, patron et salarié, qui ont jusqu’ici été les seules formes du contrat social. Ces relations, basées sur l’autorité d’en haut et la soumission d’en bas, l’opulence des supérieurs et la misère des inférieurs, n’ont pu être maintenues dans leur injustice que par l’empoisonnement des esprits, l’ignorance des masses, par la violence des chefs et de l’État et par l’institution de la discipline sociale, sous la forme de lois, de codes et d’institutions policières, administratives et judiciaires coordonnées en vue de faire respecter les dites lois œuvre des maîtres. L’injustice, le privilège, la hiérarchie, l’inégalité, l’autorité imposée par la violence brutale ou méthodique, telles sont les bases du contrat social actuel.

Néanmoins, nous l’avons dit, se dessine, caractéristique, la tendance à l’association, plus ou moins imprégnée d’esprit égalitaire et aspirant vers la liberté. Dans tous les domaines de l’activité humaine, des groupements divers se fondent, se développent et prospèrent. Ce sont, dans les campagnes, les syndicats et coopératives agricoles, qui permettent aux petits cultivateurs de se libérer de certaines exploitations et de profiter des méthodes modernes de la technique. C’est, dans l’industrie, la formation de syndicats corporatifs ouvriers, de syndicats patronaux, de trusts, cartels et autres coalitions capitalistes. C’est la création de nombreuses coopératives de consommation, de production, de transports, d’électrification, etc., etc. C’est la vitalité d’innombrable associations artistiques, scientifiques, littéraires, sportives, touristiques, etc. Ce sont des ligues de défense d’usagers pour la protection de certains intérêts, des ligues pour la propagande ou pour des projets. C’est la mutualité par en bas, l’assurance par en haut. Certes toutes ces formes de groupement laissent bien à désirer. La mentalité ambiante les pénètre. Beaucoup n’ont en vue que le lucre, les bénéfices accrus, la sauvegarde d’avantages particuliers. L’ambition, l’arrivisme, la hiérarchie les vicient et les divisent bien souvent. Mais le fait principal, c’est que ces groupements ne sont pas imposés, les adhérents y entrent et en sortent avec une relative facilité. Ils peuvent, plus ou moins, y exprimer leurs opinions…

Cette propension actuelle à l’association relativement libre est, en un sens, représentative de notre époque ; elle se développe continuellement, conquiert tous les champs où se meuvent les humains et gagne toutes les classes. Au point de vue pratique, malgré ses déviations, son esprit, ses imperfections, elle apporte à ses membres des satisfactions appréciées. Elle a l’avenir devant elle, et tout indique que la méthode autoritaire du contrat social est appelée à disparaître devant cette forme nouvelle : l’association librement consentie. C’est incon-

testablement là la figure générale que prendra demain la vie sociale de l’humanité. Fatigués d’attendre, en vain, le bonheur des miracles divins, de la bonne volonté des chefs, des décisions de l’État, les hommes pensent, de plus en plus, à s’organiser, afin de réaliser eux-mêmes ce qu’ils désirent.



Dans les milieux d’avant-garde, l’expression « Mouvement social » a pris un sens plus restreint, mais aussi beaucoup plus précis. Il signifie la poussée des classes sociales inférieures pour obtenir des améliorations à leur sort, et pour parvenir à l’égalité et à la justice sociales. Il englobe donc toutes les formes d’organisation des pauvres, des exploités, des gouvernés pour tenter de substituer un nouveau contrat social à l’ancien. Il comprend toutes les actions, les propagandes, les luttes, les grèves, les manifestations, les révolutions qu’anime le dessein de secouer le joug des maîtres et de supprimer l’exploitation du capitalisme. Le mouvement social est ainsi le mouvement de la classe ouvrière en marche vers la liberté, le bien-être, l’égalité et la justice.

Il y a eu, à toutes les époques, des mouvements sociaux. En faire l’historique dans ses détails entraînerait à écrire plusieurs ouvrages aussi conséquents que l’Encyclopédie. Et encore, que d’obscurités ! Les historiens nous ont laissé maintes relations qui souvent sont pures légendes (v. histoire), sur la vie des maîtres, des rois, des chefs de guerre, des princes de l’Église, des grands personnages, des guerres et des conquêtes, des déplacements de frontières, etc., mais ils ont, presque tous, laissé dans l’ombre la vie du peuple, comme si celui-ci n’existait pas, ou n’était pas digne d’occuper leur plume et leur esprit. Ce n’est que ces dernières années que des savants, historiens consciencieux, chercheurs tenaces, se sont mis à la tâche avec l’intention de rechercher et d’écrire la vie sociale des temps passés. Rares, du reste, demeurent ces investigateurs. Et la bibliothèque qui contiendrait tous les ouvrages du genre ne serait pas très garnie.

La question sociale s’est pourtant posée de tous temps, ou tout au moins depuis que les humains vivent en groupes organisés, depuis que, sur les contrats imposés par les maîtres – à leur profit naturellement – les intéressés se sont mis à réfléchir, à l’instigation souvent de libres esprits, et que se sont dessinées, longtemps tremblantes et chaotiques des rébellions parmi les asservis.

L’Égypte des Pharaons a connu des soulèvements sociaux formidables, une véritable révolution sociale qui a bouleversé l’autorité traditionnelle et atteint une exploitation forcenée. Le peuple s’est plus ou moins affranchi économiquement ; le sort des esclaves a été amélioré ; certains droits politiques et économiques ont été reconnus aux individus. Conquête typique : l’embaumement des momies, qui assurait « la vie éternelle aux âmes » et qui était le privilège des puissants – les pauvres n’avaient pas droit à une âme ni à la survie, proclamaient les prêtres – fut accordé à tous ! Naturellement, le mysticisme grossier de ces temps d’ignorance et l’esprit profondément hiérarchisé de cette époque n’ont pas permis une émancipation plus complète, mais le mouvement fut profond et ses résultats relativement conséquents.

Le christianisme a ébranlé, lui aussi, un mouvement social de grande envergure. Avant lui, la condition du bas peuple et des esclaves était épouvantable. Aucun droit ne leur était reconnu. Ils étaient propriété du maître, propriété dont on pouvait user et abuser à sa guise. Ce n’est pas pour rien que la légende chrétienne primitive a pris un homme du peuple comme fils de Dieu. En ces âges de puissant symbolisme, l’égalité de tous devant Dieu et le droit égal au paradis était une