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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/352

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MOU
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revendication importante – si futile que la chose puisse nous apparaître aujourd’hui.

Si la foi religieuse a été la figure persistante du christianisme, son essor connut d’autres aspects et il paraît avoir traduit, à son enfance, de profondes revendications sociales. Si ténébreuse que soit restée l’histoire de ces temps, on en dégage des tendances vers l’égalité économique, un communisme agissant, l’avènement des esclaves au plan humain, un rêve touchant de fraternité universelle, l’essor d’une idéologie humanitaire.

Plus tard devenue officielle et alliée des maîtres temporel, l’Église a canalisé ce vaste mouvement social pour l’amener dans les voies de la résignation, de la soumission, de la hiérarchie et de l’autorité acceptée. Il n’en reste pas moins que ce fut un ardent mouvement populaire préoccupé d’émancipation, à travers son assujettissement religieux. Sans les prêtres qui l’ont dénaturé en s’en faisant un piédestal, qui sait ce que ce mouvement eut réalisé ? Il en sera ainsi de tout mouvement social dirigé par une caste sacerdotale ou politique. Si le socialisme (ce mot pris dans le sens de transformation sociale avec ses luttes conséquentes) devenait une église, ses prêtres tueraient aussi le socialisme ; ils l’incorporeraient par les subterfuges coutumiers dont le peuple est toujours dupe, à la domination établie, à point légitimée.

Plus près de nous, s’est développé un mouvement social très important également, quoiqu’encore peu connu : celui des corporations et des communes du moyen-âge. Ici, l’esprit religieux est encore puissant, mais il tend à céder le pas à des considérations d’ordre matériel plus nettement exprimées. Les artisans des cités, éveillés les premiers à la liberté, dans presque toute l’Europe veulent se débarrasser du brigandage féodal. Ils s’organisent en corporation et en communes pour lutter contre le seigneur – qui était souvent l’évêque – pour conquérir des libertés, des franchises, pour administrer eux-mêmes leurs villes. Poussée vers l’indépendance et le bien-être. Le soulèvement communal dans les villes, la jacquerie dans les campagnes. Les paysans écrasés facilement. Les communes triomphantes plusieurs siècles… Il a fallu la création des patries modernes, des royaumes et des États, pour que les corporations perdent leurs libertés et, une grande partie de leur bien-être. La Patrie prenait la place de Dieu, pour tenir les populations dans l’esclavage. Quelques écrits dont un très documenté de Pierre Brizon, sur l’histoire ouvrière à travers les âges, et un de Kropotkine, sur l’Entraide, avec les pages de Michelet, nous ont donné des aperçus des résultats acquis par le mouvement communal du moyen-âge. Les membres ouvriers des corporations (v. corporation, métier) y jouissaient d’un bien-être et d’une liberté que bien des prolétaires d’aujourd’hui ne connaissent pas.

C’est l’Église qui a tué le mouvement social chrétien, c’est l’État qui a tué le mouvement social des Communes. Rapprochements édifiants, concluantes leçons de l’histoire !



Le mouvement social actuel s’est débarrassé, en grande partie, des préjugés religieux. Mais, il est encore trop imprégné des préjugés politiques et de la mystique étatiste. Les classes inférieures de la société – si longtemps portées par leur faiblesse à s’en remettre à leurs maîtres du soin d’assurer leur bonheur – n’ont pas encore compris cette vérité pourtant évidente : c’est que la constitution d’une autorité a toujours été et sera toujours le plus grand obstacle à leur émancipation.

Le mouvement social d’aujourd’hui revêt de multiples formes. Mais, dans l’ensemble, on peut dire qu’il

place les libérations matérielles au premier plan, et en cela sa logique est sûre. La liberté politique et la liberté morale ou d’opinion ne sont et ne resteront que de pures abstractions, vides de tout sens précis et surtout de réalité, tant que l’assujettissement économique prévaudra. Un homme qui doit se soumettre, afin de pouvoir manger, s’habiller et se loger, ne peut affirmer qu’il est libre.

La révolution de 1789 et toutes les révolutions politiques ultérieures ont pu proclamer solennellement les droits de l’homme et du citoyen, instituer le suffrage dit universel, affirmer mensongèrement la liberté de pensée ; par le fait que la richesse sociale, les moyens de travail, sont restés le monopole d’une classe, tout le reste, les proclamations de liberté, d’égalité et de fraternité sont et demeurent des aspirations utopiques.

C’est ce qu’avaient déjà compris, vers la fin de la grande révolution, Babœuf et quelques autres. C’est ce qu’ont compris les écrivains socialistes, communistes et anarchistes qui ont reconnu pour guides les Fourier, les Blanqui, les Proudhon, les Marx, les Bakounine, les Kropotkine…

Déjà, la révolution de 1848, puis ensuite la Commune de 1871, puis la Révolution russe ont montré que les revendications matérielles occupaient la première place dans les préoccupations des masses travailleuses. On parle moins aujourd’hui de conquête du pouvoir politique et davantage d’émancipation économique, d’expropriation des classes possédantes et gouvernantes, et d’administration de la vie sociale par les organisations ouvrières.

Il existe encore des partis politiques (socialiste, bolcheviste) étroitement mêlés à la lutte des classes ouvrières, au mouvement social en général. Mais déjà, en beaucoup d’endroits et en bien des groupements, on tient la politique en suspicion, on la combat, on cherche à la bouter dehors comme indésirable et pernicieuse. Il y a bien des retours en arrière, des contre-offensives des partis politiques, lesquels reconquièrent pour un temps leur influence, mais l’effet de ces reculs est toujours d’affaiblir les groupements où se livrent de tels combats. On peut dire qu’il y a méfiance générale à l’égard de la politique. Au point que les politiciens eux-mêmes se défendent d’en faire. Tout groupement sérieux, dans n’importe quelle classe sociale, met la politique à la porte. Être politicien est une tare mal portée. Le fascisme, rempart du capitalisme décadent, exploite d’ailleurs aujourd’hui ce dégoût et cette désaffection avec une habile démagogie et tente de les dévoyer vers le « salut » d’un pouvoir fort, ramenant l’ordre et tarissant les abus… Notons cependant comme de bon augure le déclin des solutions politiques : il montre que le mouvement social a su, partiellement tout au moins, se libérer de néfastes espérances et d’une dangereuse et stérile méthode.

Parallèlement, avec plus ou moins de franchise et de bonheur le mouvement social actuel fait effort pour se débarrasser de la religion, du patriotisme, de l’étatisme. Plus il est libéré de ces entraves, et plus il apparaît énergique, actif et puissant.

Les formes principales du mouvement social sont : le syndicalisme, le coopératisme et le mutualisme (voir ces mots).

Le syndicalisme ouvrier a mené de rudes batailles durent ce dernier demi-siècle. Par des grèves, des manifestations, des campagnes de propagande, il est arrivé à certaines améliorations très appréciables sur les salaires, la durée du travail, la protection des travailleurs. Il a contraint, en beaucoup de pays, le législateur à s’intéresser aux questions ouvrières. Mais lorsqu’il se contente d’obtenir le vote d’une loi et ne bataille pas pour son application, celle-ci reste lettre morte. Le syndicalisme ne s’est pas contenté de grouper les tra-