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les gages d’une récompense céleste, mais avec l’amour de plus de liberté, de plus de vérité, n’ignorant point, du reste, que la route est difficile, souvent ingrate pour les pionniers de l’Idée, mais qui sait pourtant que l’erreur elle-même renferme une part de vérité et qu’aucun effort n’est perdu.

Les voies d’accès vers l’Idéal sont multiples et fécondes. Tout chemin qui monte y conduit. La vérité est diffuse en nous comme en l’Univers dont nous ne sommes qu’un atome infime. Et nous marchons vers la grande Unité, vers l’Universelle Synthèse, vers le grand Pan. Qu’y trouverons-nous ? Dieu ou nous-mêmes incorporés au Cosmos dont la substance éternellement métamorphosée est toujours renaissante sans usure possible ? Que nous importe ? L’Inconnu est un tropisme, et Dieu n’est qu’un mot. Qu’il réalise les Postulats des Âmes éprises de poésie, des imaginatifs imprégnés de romantisme, rien n’y fait obstacle. Au lieu de trouver Dieu à l’origine du monde, ils s’y heurteront à sa fin.

L’esprit positif, engagé dans la même voie, cherche, cherche toujours et trouve dans la recherche l’aiguillon qui suffit à sa vie. Qu’il soit d’inspiration religieuse ou positive, le monisme s’impose et c’est la fin où tend le mysticisme scientifiquement, humainement envisagé.



Mysticisme et mystiques en Pathologie. Il y a chez tout mystique un état mental de base sur lequel peuvent éclore des floraisons délirantes perpétuellement menaçantes.

N’est point mystique qui veut. Pour l’être, il faut voir, entendre et surtout sentir avec des organes héréditairement sensibilisés au préjugé, à la superstition ; il faut être réceptif, docile et malléable. On peut comprendre la mentalité du mystique et se l’expliquer, psychologiquement, mais il est impossible de se l’assimiler si l’on n’a point l’âme pétrie comme la sienne, vibrant à son unisson. Je m’explique qu’un daltonien ne perçoive pas le rouge, mais je ne puis avoir la même sensation visuelle que lui. On s’explique la morale, mais il peut advenir qu’on ne la sente point.

Pour être un mystique au sens pathologique du mot, il faudra quelque chose de plus, il faudra réunir des conditions prédisposantes, telles qu’une hérédité similaire, une éducation d’esclave privé de sa liberté d’esprit, avec un cerveau ayant subi de bonne heure de ces plicatures répétées, indélébiles où sévissent ces terribles refoulements que les psychanalystes ont si bien mis à nu ; il faudra une formation morale toute spéciale, par conséquent un milieu que seules les religions dites révélées, sont capables de créer. Il faut donc être d’abord le mystique au cerveau préparé, c’est-à-dire celui qui ne se contente pas de constater le mystère, mais qui en est impressionné, qui tremble devant lui et lui donne son adhésion, qui croit à un surréel actif, doué de puissance et d’influence sur le réel, surréel que l’on ne comprend point, mais que l’on redoute, que l’on aime et respecte pour cela même. C’est la mentalité dont on fait les dévots, les cagots, les Tartufes de tous les cultes, les fervents aveugles de toutes les religions depuis les Primitifs, clients du sorcier et porteur d’amulettes jusqu’aux piliers d’Église et punaises de sacristie, chamarrées de grigris et de scapulaires, en passant par les Antiques eux-mêmes qui consultaient les oracles, les Chinois qui brûlent des parfums pour chasser les démons, les exorcistes qui ont infesté notre moyen âge, les marchands d’orviétan de tout acabit.

Renforcez cette prédisposition individuelle par une influence adéquate de milieu, vous créez les inspirés hallucinés, témoins de Dieu, possédés, grands hystériques dont les siècles passés furent si tristement empoi-

sonnés et dont nos asiles exhibent encore de jolis spécimens.

Deux facteurs d’importance concourent à ce résultat : le degré d’intelligence et le degré d’émotivité.

Règle unique : le mysticisme de base prémorbide est en raison directe de l’émotivité (crédulité), et en raison inverse du niveau intellectuel (sens critique). Ces deux éléments psychologiques suffisent à créer la foi en l’absurde et à laisser prendre des vessies pour des lanternes. Plus un homme s’intellectualise, moins il livre de champ à son émotion, moins il a de chance de choir dans le mysticisme morbide. Plus les peuples se cultivent, moins ils offrent de prise à la superstition. Mais les soubassements émotifs de l’homme grégaire sont tellement solides qu’ils compromettent pour longtemps l’édifice intellectuel. L’émotion peut même entraîner au désespoir souvent des sujets eux-mêmes qui ont conscience de leur faiblesse et en rougissent. Une telle carence empiète déjà sur le morbide.

Psychose mystique. Elle est à étudier du point de vue collectif, car il n’y a point de psychose qui soit plus contagieuse.

Il y a des circonstances prédisposantes, d’ordre héréditaire et d’ordre personnel, toutes deux inhérentes au sol où germera la psychose.

Héréditairement, notons la surémotivité et la faiblesse d’esprit, deux états qui fourmillent dans les campagnes arriérées, fief du Prêtre. Mais, pour y voir germer la graine mystique, il faut un ensemencement spécial. Il y a des familles où le dépôt mystique est ancestral déjà. Dans certains groupes sociaux il est de bon ton de servir de pilier d’Église ; c’est une sorte d’obligation de race, un snobisme dangereux, un pli cérébral, un tic. Ce sont ces milieux où sont anathèmes l’hérétique, le divorcé, le mort-né sans baptême et qui n’a pas droit à la sépulture de famille chrétienne. Ces foyers de pestilence morale ont la dévotion mystique double et parallèle du goupillon et du sabre. On y est très prolifique et, dès sa naissance, Raoul est voué à l’année, Guy deviendra curé, Thérèse entrera au couvent. C’est de tradition. Cette tunique de Nessus dont on est fier ne fait qu’une avec la peau. Il est clair que le fait de naître en pareil milieu prépare la psychose mystique ; la graine viendra de l’éducation.

L’éducation des familles qui se croient tenues à des pratiques cultuelles détermine l’orientation des esprits vers le délire. C’est d’abord la discipline exemplaire, le dressage à des pratiques automatiques non discutées et incomprises qui s’approprient les sujets et en font des esclaves, dès l’enfance. La folie mystique éclate fréquemment dès la jeunesse. C’est ensuite l’habitude d’hypocrisie où les sujets, sollicités par des penchants, des besoins, des états passionnels naturels, s’obligent à les assouvir en cachette ou, ce qui est pire, à les refouler comme autant de cas de conscience qui surgiront plus tard en la forme d’obsessions, d’angoisses, de scrupules maladifs ; c’est enfin l’éteignoir mis sur le sens critique, l’adoption de l’énorme, de l’extranaturel, comme une émanation normale d’un Dieu rigide et sévère ; c’est la crainte corrélative de châtiments post mortem, rachetés par des soumissions puériles ou des pénitences honteuses ; c’est enfin et surtout la prééminence des Affects sur les processus intellectuels, le dévergondage scabreux des sens, la création de chimères, d’images hallucinatoires qui hantent rêves et cauchemars, semant l’effroi, déterminant de soi-disant vocations religieuses précoces et le suicide moral avec la stérilité. La plupart des grands inspirés, des saints et saintes dont se glorifient les Églises ont vu naître leur psychose dès l’enfance. On y voit se mésallier dieux et démons, anges et diablotins. Le moyen âge a racolé ses sorciers dans ce monde de prédisposés. De nos jours ils peuplent les maisons de fous.