Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/408

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
MYS
1752

La forme mystique des psychoses est dominante en certaines régions vouées encore à des pratiques cultuelles automatiques, telles que la Bretagne. Ces pratiques tournent la tête des pauvres d’esprit qui forment le troupeau habituel du Prêtre. Ils grossissent les exodes de pèlerins qui vont promener leur névrose dans les sanctuaires réputés.

Tous les mystiques des Asiles sont des débiles mentaux à délire grotesque où abondent les pratiques superstitieuses. Il s’y mêle ordinairement des préoccupations sexuelles, des pratiques anormales du même genre, des extases, des amours mystiques avec Dieu, le diable, même des animaux. Souvent des phénomènes de grande ou de petite hystérie compliquent le tableau. De tels malades, nés des Eglises, en seraient les victimes expiatoires s’ils vivaient au moyen âge. Un privilège les fait jouir, de nos jours, de la pitié qui s’attache aux simples d’esprit. Les asiles qui les recueillent sont remplis de saintes Thérèses, de Jeannes et de tous les échantillons de saints du calendrier. Heureux si le martyr des Ursulines, Urbain Grandier, eût vécu de nos jours : le cimetière de Saint-Médard serait maintenant un quartier de l’asile Sainte-Anne, sis tout proche !

Une immense crédulité gît sous chaque psychose mystique. Elle en est la condition formelle. Cette folie peut jaillir spontanément des recoins ténébreux du subconscient, chargé à bloc d’effluves religieux héréditaires. Mais il faut ordinairement le déclenchement d’une autorité habile qui fascine, hypnotise, impose, telle celle du prêtre, ou l’exemple entraînant des proches.

On ne saurait trop signaler cette influence néfaste du milieu à tous les éducateurs, s’ils ne veulent voir sombrer dès l’aurore des personnes morales intéressantes, car l’évolution de la graine est fatale, et jamais de telles maladies ne reviennent en arrière.

Ajoutons un nouveau facteur à la suggestibilité du débile et à son faible niveau d’intelligence, celui du nombre et nous avons les psychoses mystiques collectives, les épidémies de folie religieuse qui éclatent encore de nos jours, antées sur cet état d’endémicité fondamentale chronique qu’entretiennent les Églises et l’incurie des libres-penseurs. Ici, l’élément contagieux est tout et il est en fonction même du plus grand nombre. La psychologie des foules, aujourd’hui bien connue, trouve dans la mysticité sa démonstration la plus troublante.

Les sujets se divisent en deux catégories, comme dans toutes psychoses communiquées : les actifs et les passifs, les forts et les faibles, les convaincus et les hésitants, les audacieux et les timorés. L’intelligence dans les foules n’a qu’un rôle effacé, secondaire. Chez cette grande bête qu’est la foule, ce qui domine, c’est l’émotion. Dans une réunion électorale, souffle un vent de mysticisme. C’est le royaume de la poudre aux yeux dont les plus malins sont parfois victimes. Ce qui se manifeste c’est l’émotion et non pas la logique ; le bon sens n’est plus nécessaire. Bon sens et logique sont pour un moment annihilés, suspendus, inhibés par le courant des forts. Déjà sont fréquentes les folies mystiques à deux personnages, trois et quatre participants ; les épidémies de famille ne sont pas rares. Que de familles j’ai dû consoler, trop tard, de pertes qu’elles subissaient, grâce à leur maladresse éducative, d’enfants arrachés à leur tendresse par la vocation religieuse !

Plus graves et plus retentissantes sont les épidémies de couvent.

L’histoire de la mysticité collective est un inépuisable martyrologe, car le propre de l’agent d’influence dans la création du délire est sa violence et son intolérance. Le délire mystique est non seulement contagieux, mais c’est une des formes les plus redoutables de la manie raisonnante et du délire actif de persécu-

tion. Les folies religieuses à base de révélation comptent à leur actif des crimes sans nombre. Les Églises se sont ensanglantées à toutes les époques de leur histoire. Les religions ont perturbé la vie des peuples, organisé le trouble, entretenu des sentiments de sauvagerie instinctive qu’elles avaient pourtant mission de canaliser et de dompter. La Saint-Barthélemy, les Albigeois, la sombre Inquisition qui a sévi en divers pays et dont l’esprit est encore infiltré dans nos mœurs, ont semé dans leurs abattoirs sacrés, sans aucune pitié, les victimes les plus inoffensives comme les plus illustres, Galilée, Michel Servet, Jeanne d’Arc émergent bien au-dessus des charniers les plus engraissés de 1914. Les chrétiens des premiers âges eux-mêmes pavèrent de leur peau leurs croyances enfantines ; ils se sont rattrapés plus tard. Des saints et prophètes improvisés souvent eux-mêmes, des aliénés, n’ont qu’à se présenter pour entraîner à leur suite des foules hallucinées. Aux Indes, Gandhi prépare de nouveaux martyrs.

Çà et là éclatent des réveils mystiques à l’appel d’un illuminé. Celui du Pays de Galles en 1905 est un des plus fameux. Mais les plus extravagants des accès de délire collectif où l’on voit sombrer jusqu’aux dernières lueurs de bon sens sont les pèlerinages organisés autour de miracles, témoins eux-mêmes d’un accès personnel de mysticisme maladif, quand ils ne sont pas œuvres de mystification. Ils sont d’autant plus intéressants qu’ils dénoncent, à l’origine de la crise, l’action de meneurs parfois sans conviction et dont l’influence malfaisante est coupable. Pour triompher de la crédulité des mystiques, il n’est pas besoin d’être un génie.

L’Antiquité elle-même connut ces Temples où les foules s’entassaient, attirées par les superstitions les plus grossières.

Delphes fut le Lourdes de la Grèce ; Ghéel, en Campine traîne depuis trois siècles, sa réputation de guérir les aliénés.



J’ai donné à ce mot de mysticisme un sens très élargi et j’ai compris dans cette acception tout ce qui, en dehors du thème proprement religieux, consacre une abdication de l’intelligence au profit du mystérieux, une exacerbation passionnelle au détriment de la Raison. Les folies politiques, où les fétiches laïques surabondent, ont mérité une large place dans ce défilé. En tout et partout l’homme se présente comme un conquérant, un despote, et ses victimes sont en proportion de son audace. Les sectes religieuses, politiques, philosophiques, les coteries sociales les plus diverses pourraient illustrer ma description d’une foule d’exemples. Les mystiques abondent autour de nous. Qui sait si nous-mêmes n’avons pas eu nos heures de mysticité contagieuse ou contagionnée ? Faire école, c’est placer sur un piédestal une espèce de fétiche en chair et en os, ou en effigie et agglomérer tout autour des foules qui admirent et disent : Amen.

La célèbre affaire Dreyfus mobilisa, de part et d’autre, des fanatiques. Les guerres sont d’immondes exemples de folie collective, cruelle et bestiale, abondamment pourvues de sujets qui se transfigurent tout à coup à l’audition d’un mot sonore, à la vision d’un signe convenu, d’une oriflamme. Les hurleurs de Marseillaise valent-ils mieux que ceux qui brament au Sacré-Cœur : Sauvez Rome et la France ?…

Conclusions. — Le mysticisme, scientifiquement étudié comme un ensemble de faits, a l’avantage de relier le réel à l’irréel, le connu à l’inconnu et de restaurer la pensée religieuse dans sa pureté idéale, débarrassée du parasitisme des religions dogmatiques. Le temporel et le spirituel s’accordent et s’harmonisent. Unis, ils nous amènent sur le terra.in de l’Idéalisme et du Beau. « L’éthique est une esthétique. Cette éthique est cet individualisme religieux absolu que Han