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Ryner appelle depuis longtemps un individualisme de la volonté d’harmonie. C’est l’éthique du Sermon sur la montagne, du plus élevé des commandements ! C’est la libération du sentiment religieux hors des moules étroits et déformant des religions. C’est son réel, son libre épanouissement » (L. Réhaut : Krisnamurti).

Les hommes au sens clair sauront toujours discerner le domaine du religieux du domaine des religions et trouver dans le premier tous les éléments d’élévation vers un plan idéal où par des sortes de distillations successives, s’échelonnent sur le long parcours de l’Histoire de la Pensée, s’est dégagé finalement un prototype de Perfection, dont l’imitation s’impose comme directive. — Dr Legrain.


MYSTIFICATION n. f. (Étymologie mal connue. La composition de mystifier rappelle mistigouri, mystigorfier, usités, avec un sens à peu près analogue, au xvie siècle). Mystifier quelqu’un c’est abuser de sa sottise ou de sa crédulité. Méchanceté et tromperie, voilà ce qu’implique la mystification du côté de l’auteur ; du côté de la victime, elle suppose l’absence d’esprit critique, une naïveté qui prédispose à jouer les rôles de dupe, pour le plus grand profit des charlatans qui dirigent la société. En d’autres termes, les mystifiés sont des poires que les mystificateurs cueillent et savourent dès qu’elles apparaissent suffisamment mûres. Dans l’art de la tromperie, convenons d’ailleurs que les escrocs, qui se bornent à soulager de quelques francs la bourse des grosses commères, restent des bambins de taille minuscule à côté de ces mystificateurs géants que sont prêtres, généraux, politiciens. Une Thérèse Humbert, un Rochette, un Oustric, malgré une adresse qui dépasse et de beaucoup la mesure ordinaire, font infiniment moins de dupes et de victimes qu’un pape ou un chef d’État, d’esprit même vulgaire ; et ce sont de petits saints à côté des Foch et des Clemenceau, qui sacrifièrent par millions les vies humaines, sans craindre ni l’échafaud, ni la prison. S’il existait une justice, c’est une corde pour se pendre, non l’habit vert des grenouilles académiques que recevraient maints professeurs célèbres, maints plumitifs illustres, maints savantasses couverts de parchemins des pieds à la tète. Des mystifications, et de la pire espèce, ces titres et diplômes universitaires qui, dans les hauts grades surtout, témoignent seulement du servilisme et de l’absence d’originalité du lauréat. Est-il race plus peureuse et plus sotte que celle des agrégés et des docteurs qui président aux destinées de l’enseignement moyen et supérieur ! Malgré les louanges dont eux-mêmes se couvrent, et les satisfécits que leur octroie volontiers l’administration, il apparaît clairement aujourd’hui que ces enfants sages sont des prétentieux incapables, généralement. Autre farce de haut goût, cette Ecole Unique que le parti radical tend aux masses populaires comme un appât. Nul plus que moi ne désire que soit diffusée l’instruction et j’aurais applaudi à une tentative pour mettre à la portée de tous une science non frelatée. Mais l’étude des projets qui circulent officieusement, m’a démontré qu’il s’agissait surtout d’accentuer une centralisation scolaire déjà trop grande, d’éliminer les autodidactes et d’écrémer le peuple afin d’empêcher toute fermentation révolutionnaire. On veut créer une nouvelle catégorie de privilégiés, que l’on armera davantage pour mieux tenir en bride les exploités. Au règne de l’or succédera celui des parchemins, qui ne vaut pas mieux, comme l’exemple de la Chine l’a démontré. Mais les politiciens ont trouvé là un moyen commode de duper les pères de famille qui compteront sur l’État pour faire de leurs fils des intellectuels bien payés. Hélas ! sous la troisième république, les vrais savants, les écrivains probes sont aussi dédaignés, aussi besogneux que sous le plus réactionnaire des souverains. Qu’importe, il est

vrai, à l’aspirant député ! Pour lui tout mensonge est légitime qui permet de piper les voix des électeurs (voir politique, politiciens). D’ailleurs, lorsqu’il s’agit de fixer la liste des pensionnaires primés du Palais-Bourbon, le spectacle est instructif, même dans la plus paysanne des circonscriptions. Longtemps avant la foire, les écuries s’ouvrent, les poulains hennissent, tandis que courtiers et maquignons s’agitent près du populaire assemblé. Un beau feu anime le candidat, qu’il soit blanc, bleu ou rouge. Il faut le voir courir la campagne et s’arrêter dans les moindres hameaux : les plus laides commères trouvent en lui galant, il tapote la joue des bambins, et s’appuie sur l’épaule des paysans, tout ébahis d’une si tendre affection. Même s’il fabrique des chapeaux, du drap ou des casseroles, même s’il est avocat ou dirige un café-concert, il n’a rien tant à cœur que l’agriculture. Fumier, purin, vaches, récoltes, tout l’intéresse également, à ce qu’il assure ; et, pour favoriser les cultivateurs, il donnerait volontiers sa dernière chemise. En ville, dans les milieux ouvriers, l’aspirant-député se grime d’autre façon, il tient un langage différent ; mais, roulé dans du vermillon, de l’ocre ou de la farine, il s’agit toujours pour le rodilard parlementaire de tirer parti du raton citadin ou campagnard. Car, bien entendu, pour un parlementaire même élu par des agriculteurs, la campagne se résume dans les douceurs de la buvette ou dans l’excellent pinard de l’hôtellerie du coin. Entre la poire et le fromage, ou lorsqu’il déguste les meilleurs crus de l’arrondissement, il peut même être sincère en déclarant à ses comitards que de tels produits ne le laissent point indifférent. Ajoutons qu’à la Chambre il entonnera l’hymne du retour à la terre avec un glapissement pleurard, qu’il couvrira de fleurs la famille paysanne, qu’il prononcera d’interminables palabres, naturellement suivies d’aucun effet. Pure comédie, qui sauve les apparences !

A la mystification parlementaire se mêle fréquemment la mystification financière. Périodiquement, avec la complicité payée des journaux, les financiers marrons mettent en coupe réglée la naïveté des gogos ; sans contrevenir au code, ou très peu, et avec l’appui de politiciens en renom, généralement. Pour un qui tombe, dix atteignent le but convoité ; beaucoup décrochent titres et décorations. On les remercie, de la sorte, d’avoir subtilisé l’argent du populaire, pour le faire passer dans leurs coffres-forts. Si un scandale trop fort éclate, on calme l’opinion en annonçant que désormais l’on exigera de sérieuses garanties des banquiers. A l’occasion, les Chambres nomment une commission, chargée d’enquêter, à ce qu’on prétend, mais dont le but secret est d’étouffer l’affaire ou de limiter les dégâts. Il est vrai que Poincaré fut porté aux nues parce qu’il avait stabilisé le franc ou, en termes moins trompeurs, parce qu’il avait officiellement et définitivement fait perdre au franc les trois quarts de sa valeur ! Si l’on passe en revue les diverses institutions publiques : armée, clergé, magistrature, patronat, presse, etc., l’on s’aperçoit qu’elles ne sont toutes que d’immenses mystifications. Afin que le populaire oublie les millions de cadavres qui lentement se décomposent, l’armée multiplie les parades, couvre ses gradés de dorures qui brillent au loin, fait sonner haut le bruit des sabres et des éperons. Les enterrements de Foch et de Joffre suffiraient à démontrer que le secret, pour être un grand chef, c’est d’être avant tout un excellent cabotin. Dans des occasions pareilles, les robes à queue des cardinaux et des prélats se mêlent, comme de juste, aux brillants uniformes de l’état-major. Nous n’insisterons pas ici sur l’Église ; chacun sait qu’en fait de mystification, le bouddha vivant de Rome détient le record. Aujourd’hui l’on n’ose plus faire commerce d’excréments du saint homme qui, séchés, réduits en poudre, constitueraient un incomparable remède, un