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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/410

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MYS
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préservatif efficace contre toutes les maladies. Mais de graves personnages, des dévotes richissimes continuent de lécher ses pantoufles et d’accepter comme relique la fine lingerie qu’il porte sous ses jupons. Quant à Thémis, son palais d’allure si vénérable n’est qu’un antre où la justice n’a rien à voir ; et la robe des magistrats laisse échapper des odeurs qui ne sont pas celles de la vertu, dès qu’un doigt indiscret s’avise de la soulever tant soit peu. Seulement un homme en impose de suite au populaire, s’il marche la tête haute, siège sur une estrade et porte des habits qui ne sont pas ceux du commun. Un simple ruban à la boutonnière, quelquefois suffira pour qu’on vous classe hors de l’humanité ordinaire. A l’infini, nous pourrions multiplier les exemples qui démontrent que, dans nos sociétés, la mystification joue un rôle essentiel, fondamental. Ce serait inutile. Toutefois, à l’inverse de plusieurs, nous espérons que l’espèce humaine ne restera pas en enfance constamment. Il y faudra bien des siècles sans doute, mais lorsqu’elle atteindra l’âge adulte, nous pensons qu’elle répudiera les faux prestiges qui la captivèrent si longtemps. Nos os seront en poussière quand ces heureux jours luiront. Présentement, ils ont à souffrir, et beaucoup, ceux qui, trop en avance sur leur temps, ont percé le mystère de l’universelle mystification. Reconnaissons que, pour qui exploite ou gouverne, cette race est aussi dangereuse que celle des poires est profitable. — L. Barbedette.


MYTHOLOGIE n. f. (du grec muthos, fable, et logos, discours, étude). Le terme de mythologie désigne le cercle des divinités, avec leur faisceau de légendes, propres à une race ou à un peuple ; c’est dans ce sens que l’on parle de la mythologie indo-européenne, de la mythologie grecque, etc. La mythologie embrasse ainsi la totalité des récits divers par la forme, semblables par le fond, sur lesquels les poètes ont aimablement brodé (l’Illiade, d’Homère, est un modèle du genre), récits dont les personnages échappent par leur nature même au contrôle du fait positif et qui concernent exclusivement les dieux, les demi-dieux et les héros, lesquels ne sont, en dernière analyse, que des dieux défigurés… Mais la mythologie est aussi la science des mythes : ce sont les recherches consacrées à leur origine, à leur développement ; c’est l’histoire des personnages divins du polythéisme, avec l’explication de leur formation, de leur caractère ; c’est la connaissance et l’éclaircissement des récits émanant du temps et des idées de religions dans lesquelles les êtres divins ne sont pas immuables mais sont soumis, comme les simples mortels, à des changements, sont, comme eux, sujets à des accidents… Les savants, dès le ive siècle avant l’ère chrétienne, s’essayaient déjà à pénétrer jusqu’à la source des mythes. Parmi les mythographes (autres que ceux dont nous mentionnons les ouvrages à la fin de cette étude) qui se sont ingéniés à construire ou à développer des systèmes explicatifs — philologique, iconographique, anthropologique, psychologique, etc. — citons : Evhémère, philosophe de la Grèce antique. Depuis : E. David, A. Kühn, Clermont-Ganneau, Bérard, H. Spencer, etc…



C’est une tendance instinctive que de confondre religion et mythologie. Quand on parle de la religion des Grecs, par exemple, on pense volontiers aux fables charmantes que les poètes hellènes ont racontées sur leurs dieux, leurs déesses, leurs héros. Cette confusion résulte de ce que, à la base de toute mythologie, il y a de la religion. Les conceptions religieuses des peuples sont antérieures à toutes mythologies, celles-ci n’en sont que des dérivées. Les dieux sont un produit immédiat de l’ignorance humaine, une résultante de la

conception animiste du monde qui prête la vie et la volonté à tout ce qui existe, sans distinction de nature entre les hommes, les animaux, les végétaux et les choses. Cet animisme universel aboutit à la personnification complète de toutes choses, c’est-à-dire à leurs identifications avec l’homme lui-même ; il conduit à reconnaître dans tous les événements une résultante de l’action et de la volonté d’un être vivant ; à prêter aux êtres et aux choses qui limitent la personnalité humaine des intentions malignes ou bienfaisantes ; à les considérer comme des alliés ou des ennemis doués de facultés que l’homme remarque en lui-même. Les mythologies ne sont que des produits indirects de la religiosité humaine. Elles sont nées à l’époque où l’homme qui, d’abord avait cherché à se créer des alliés dans le monde des invisibles qu’il avait enfanté, en choisissant des gris-gris, des amulettes parmi les multiples objets ou les êtres qui lui paraissaient les plus aptes à remplir cette fonction, essayait petit à petit de substituer aux grossiers fétiches du commencement, les conceptions plus subjectives de puissances indépendantes du monde matériel. L’animisme fétichique prend progressivement une forme nouvelle par cette extension du subjectivisme et sa substitution graduelle à la réalité. Le fétichiste en face de son gri-gri qui est le plus souvent une pierre, un morceau de bois, un animal, un coquillage, peut lui supposer un spectre dont la forme est précisément celle sous laquelle il le voit dans ses rêves, mais le subjectivisme croissant de l’humanité finit par ne plus se contenter de cet animisme indécis. Peu à peu, l’homme détacha les phénomènes naturels de leurs formes visibles et leur en impose une autre qui se trouve être celle de l’homme lui-même. Les esprits du monde terrestre, météorologique et sidéral deviennent autant d’êtres revêtus de la forme humaine, animés des mêmes passions, possédant les mêmes volontés et soumis aux mêmes besoins que le bipède humain, quoique différant de lui par le précieux privilège d’une puissance plus considérable. C’est le règne de l’anthropomorphisme qui ne se produit dans l’histoire que là où le fétichisme proprement dit cesse de dominer, puisqu’il est précisément l’indice de la substitution prochaine du polythéisme au fétichisme.

La conception est polythéiste en même temps qu’anthropomorphique le jour où aux objets eux-mêmes le subjectivisme humain a substitué : Indra, Agni, Vishnu, Jahvé, Cybèle, Jupiter, Apollon, etc. Cette substitution du polythéisme anthropomorphique au fétichisme animique marque encore une autre évolution de l’intelligence humaine. Les phénomènes réguliers et constants prennent dans l’esprit de l’homme la place prépondérante qui lui appartient ; les faits accidentels sont relégués à l’arrière plan. L’observation longtemps tenue en échec par la faiblesse native des facultés intellectuelles s’exerce sur des souvenirs accumulés pendant une longue suite de siècles et finit par établir entre les faits mythologiques une gradation qui entraîne entre les puissances de la terre, de l’atmosphère et du ciel, une hiérarchie correspondante.

Les mythologies qui charmèrent et gouvernèrent nos pères ont été l’apanage de tous les peuples, mais l’émission des mythes préhistoriques de la race indo-européenne a laissé des traces si profondes dans la mentalité et les mœurs des peuples actuels, qu’elle a empêché d’apercevoir le travail analogue qui s’était opéré parmi les autres familles humaines. Aussi ne considère-t-on généralement comme constituant la mythologie que les mythes primitifs des peuples indo-européens : Indous, Perses. Grecs, Latins, Germains, Slaves et Celtes, en y adjoignant tout au plus les traditions religieuses de l’Égypte et de l’Assyrie. Parmi les diverses théories conçues pour l’explication des mythes, trois méthodes connurent, dans les temps modernes connue dans l’antiquité, successivement le succès. Ce