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MYT
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sont : la méthode historique, la méthode allégorique, et l’école symbolique.

Les partisans de la méthode historique avaient la prétention de retrouver des faits réels sous les fables, en essayant d’identifier les dieux des mythologies avec les personnages bibliques et les légendaires héros de l’antiquité. L’école allégorique crut que les fables antiques étaient l’apparence des mouvements célestes et des phénomènes de la nature allégorisés et embellis. Les sciences naturelles et la fable, nées d’une commune source, se sont divisées après avoir marché de compagnie pendant très longtemps, en deux branches distinctes, de manière à laisser ignorer aux âges suivants le point commun de réunion ou de départ (mythe solaire). L’école symbolique ne voulait voir dans les mythes que l’expression d’une antique sagesse nous ayant légué, sous le voile de l’allégorie, de profondes vérités morales ou physiques.

Les progrès de l’archéologie et de la linguistique comparées, la connaissance toujours plus précise des étapes de la civilisation et des progrès inégaux des races et des peuples ont créé la mythologie comparée qui, en nous affirmant l’identité originelle de toutes les conceptions religieuses et en mettant en évidence les caractères essentiels des mythologies ont fait table rase de toutes ces assertions abusives, tout en leur reconnaissant les services qu’elles ont rendus dans la découverte toujours plus précise de la vérité.

Après avoir démontré que les dieux ne sont que des appellations d’objets matériels, d’aspects de la nature ou de facultés humaines, passant aux aventures des dieux ou des héros, les mythologues modernes en ont trouvé le germe dans certaines locutions d’usage courant qui exprimaient les événements les plus ordinaires de la vie et du monde et ont établi que les mythologies doivent leur existence autant à la tendance à douer les êtres et les choses de facultés animales et humaines qu’à l’influence prépondérante de la puissance métaphysique inhérente au langage même le plus rudimentaire.

La grande majorité des religions se rattachent à la religion des Aryas (Iraniens et Indous) : les unes en proviennent directement, les autres s’y rattachent par une communauté évidente d’origine. De même la plupart des mythes grecs, persans, latins, germains et slaves ont aussi été empruntés à la mythologie védique. Ils se sont transformés au gré des fantaisies locales, des relations internationales et même des conceptions philosophiques. Aussi l’importance prise à la fin du siècle dernier par les études philologiques a démontré que l’origine des mythologies se rapproche de celle du langage et que la nature des dieux nous est révélée très souvent par le nom qu’on leur avait donné. Notre langage est essentiellement animiste et, chez tous les groupes humains, à l’origine comme aux divers moments de l’évolution religieuse, les êtres surnaturels ont dû leur existence, leur activité et leur emprise sur la conduite des humains, à la puissance métaphorique que le langage comporte. Au début des temps historiques, le nom, à la fois substantif et adjectif, faisait des fétiches, des esprits ou des dieux des êtres qualifiés ; le genre leur prêta des sexes. Il y en eut des mâles, des femelles et des androgynes, participant à la fois des deux sexes. Le même dieu, chez le même peuple, selon les époques, le caprice du langage, fut femme sous un nom, homme sous un autre et, par conséquent, pourvu de laideur ou de beauté, de bienveillance ou de malignité.

Toute succession de mots implique une action, une impulsion, donnée ou reçue. Le sujet se meut et communique un mouvement. Chaque mot, soit par sa place dans la phrase, soit en vertu d’affixes contient un verbe, ainsi qu’un adjectif ou un nom. Le mot, nom de chose, de qualité ou de concept, de par le verbe qui

est en lui ou qui dérive de lui, agit et se comporte comme un être vivant, comme une personne passionnée et volontaire. Cette force animante du langage s’impose malgré nous à la raison comme à l’imagination, elle crée spontanément la mythologie. Ce n’est que difficilement, par un oubli des illusions verbales, par une sorte d’usure et d’épuisement de la vertu métaphorique du langage que la science se soustrait à cette force animante que tout idiome contient. Mille locutions banales, d’usage courant, nous la révèlent : l’eau coule, charrie des sables, transporte des alluvions : le soleil se lève, monte à travers le ciel se couche derrière les montagnes ; le vent chasse les nuages ; la foudre frappe, tue, déchire ; la victoire guide les armées ; la justice et le devoir prescrivent tels actes, défendent telles actions. Autant d’expressions, source de confusions, d’erreurs qui, à l’origine, contribuèrent à former les mythes en fortifiant la métaphysique. N’est-ce pas Alfred de Musset, dans son invocation à Vénus, qui nous donne un exemple frappant de cette force animiste du langage :

Étoile qui descends sur la verte colline
Triste larme d’argent du manteau de la nuit
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
Étoile, où t’en vas-tu dans cette nuit immense ?
Cherches-tu sur la rive un lit dans les roseaux ?
Où t’en vas-tu si belle à l’heure du silence
Tomber comme une perle au sein profond des eaux ?

L’étoile est un être doué de mobilité, de désirs, de besoins, qui cherche un endroit où se reposer. Y a-t-il loin de l’état d’esprit qu’accusent ces vers à celui du sauvage qui affirme que l’eau coule « parce que l’esprit de l’eau la pousse à fuir ! » Nous sommes habitués à redresser en nous-mêmes les effets de cette réfraction involontaire, mais combien a dû être grand l’empire du langage aux époques où chaque mot était une image, chaque nom un personnage doué de vie, chaque verbe un acte physique. Exprimés par des mots aussi significatifs, les concepts les plus simples prenaient aussitôt une splendeur extraordinaire et les phénomènes de la nature, rapportés à des êtres qu’on supposait doués d’une vie analogue à celle de l’homme, traduits dans un langage où chaque mot parlait à l’esprit, paraissaient être les actes d’un drame grandiose dont les acteurs, divins par l’origine, étaient semblables à nous par le cœur.

La race indo-européenne fit, des forces de la nature, ses premières divinités ; elle adora, après les grossiers fétiches qu’elle inventa au début de sa vie religieuse, les phénomènes de l’atmosphère et du ciel. Elle prêta au soleil, aux astres, à la pluie, à la tempête, au veut, une intelligence, une volonté libre, des sentiments d’amitié ou de haine pour les mortels. Mais, au début, tout en leur rendant hommage comme à des êtres supérieurs, les hommes ne perdaient pas de vue leurs caractères physiques. Les premiers poètes védiques qui chantèrent « Dyaus » n’ignoraient aucunement qu’il était le ciel déployé sur leurs têtes ; en célébrant la sagesse de « Mitra et de Varouna », ils savaient parfaitement bien qu’ils faisaient l’allusion la plus claire à la succession régulière du jour et de la nuit. C’était le temps où le nom des dieux était encore le nom même du phénomène, c’était l’époque où le peuple en disant : « Képhalos poursuit Séléné » parlait aussi simplement que nous lorsque nous disons : « Le Soleil se lève en face de la Lune qui se couche. » C’était la nature vivante que les hommes adoraient, la nature douée par des peuples follement animistes de pensée, de raison, de passions, de sentiments dont ils sont pleins eux-mêmes.

Ceux qui virent les mythes se former de la sorte ne furent pas dupes des illusions du langage, les premiers poètes védiques connaissaient la signification des fables