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qu’ils répétaient. Mais il n’en fut plus de même aux époques suivantes. Maintes locutions claires pour les rédacteurs du Rig Véda (Véda de la louange, le plus ancien recueil d’hymnes religieux connu) devinrent obscures pour leurs continuateurs, pour les Perses, les Grecs, les Latins, les Slaves qui s’étaient appropriés en les défigurant les principaux mythes védiques.

A mesure que certains termes vieillirent, que le sens mythologique des mots s’oublia, le langage perdit peu à peu de sa transparence, les noms des forces de la nature devinrent des noms propres et les personnages mythiques commencèrent leur évolution. Dyaus-Pitar est encore le ciel pour les Védas ; il devient, chez les Grecs, qui ont emprunté ce nom aux Indous, Zeus pater (Jupiter en latin), maître des dieux. Ces premiers changements, substituant de prétendus personnages aux phénomènes physiques, transformèrent les faits énoncés au sujet des forces de la nature en actions merveilleuses.

Les idiomes jeunes se caractérisent tous par une prodigalité qui leur fait employer pour désigner un seul objet ou un seul être une quantité étonnante de synonymes. Dans les Védas, le soleil est nommé de plus de vingt façons différentes ; chaque terme n’est pas l’équivalent d’un autre, chacun prête à l’astre du jour un caractère physique ou moral. Le soleil est tour à tour : le brillant (Surya), le Généreux (Aryaman). Celui qui nourrit (Pùshan), le maître du ciel (Divaspâti), et ainsi de suite. Lorsque l’homme créa tous ces termes pour désigner un seul être, il savait qu’une confusion entre tous ces synonymes était impossible, une même passion emplissant toutes les âmes. Mais une fois que ce premier âge de l’humanité fut passé, l’époque suivante chercha à mettre de l’ordre dans ce chaos, Elle supposa que tant de termes ne pouvaient s’appliquer à un seul être, au même objet, et elle commença à distinguer Surya d’Aryaman, Pùshan de Divaspâti. Néanmoins, comme toutes ces figures avaient un air de parenté, connue très souvent elles se substituaient l’une à l’autre, on se tira d’embarras en faisant d’elles le père et le fils ou bien des frères. On dressa des tailles généalogiques, on établit une hiérarchie entre les dieux, on inventa les dynasties célestes, les révolutions violentes en plaçant dans le panthéon, comme autant de rois déchus, les synonymes vieillis, et, pour ce, incompris, des divinités actuelles. Cette classification des mythes a été l’œuvre des prêtres qui, après avoir imposé à la terre la constitution qui s’accordait le mieux avec les intérêts de leur caste, ont organisé l’armée des dieux en y introduisant cette hiérarchie qui, en subordonnant la multitude des dieux de second ordre aux puissances supérieures de l’atmosphère et du ciel, leur ont permis de devenir maîtres des dieux. Les prêtres se défient des divinités antérieures qui ne leur appartiennent pas suffisamment. Il leur faut des dieux cachés, mystérieux, dont la puissance s’exerce par des intermédiaires invisibles et qui se prêtent à la métaphysique absurde qu’ils préparent. Le résultat de l’intervention des prêtres a été de jeter dans l’histoire des mythes et de leur développement une multitude de complications, des obscurités souvent impossibles à débrouiller, car souvent ils ont créé des divinités qui faisaient double emploi avec les précédentes, tandis qu’ils s’efforçaient d’accaparer les divinités antérieures en les marquant de leur estampille particulière.

Un second mode de formation, provient aussi de la confusion des différents sens d’un même terme. C’est ainsi que le « Pramantha », le morceau de bois utilisé chez les Aryas, dont la pointe en tournant dans l’arani produisait le feu, est devenu Prométhée, un titan dont la légende a pris des proportions fantastiques. Cette cause a produit un grand nombre de mythes qu’elle a défigurés davantage.

D’autres éléments que ceux que nous venons d’exa-

miner sont venus renforcer, pour les mieux consolider, les mythologies.

Dans la nature, tout paraît à l’homme primitif, imprévu et redoutable. À cette terreur des êtres et des choses vint s’ajouter celle des ombres, des âmes des morts, des fantômes logés dans les objets et les phénomènes, lorsque l’homme s’avisa de prêter la vie et la volonté aux choses et aux morts. Aussi, les premiers, invisibles, méchamment actifs, ne songèrent qu’à faire du mal, se délectèrent de hurles, de larmes et de sang. Reportons-nous à ces temps de la vie pastorale, où chaque famille errait isolée dans les vastes plaines à la suite de ses troupeaux, exposée aux attaques nocturnes des animaux féroces et nous concevrons sans peine par quelles alternatives de terreurs et de joies devait la faire passer la succession des ténèbres et de la lumière. Quelle épouvante lorsqu’elle voyait s’étendre sur elle cette ombre qui la livrait à tous les dangers et contre laquelle elle ne savait pas encore se défendre, Mais avec quelle allégresse les humains saluaient les premières lueurs de l’aube qui, avec, la clarté, leur ramenaient la vie et la sécurité. L’obscurité était pour eux l’image de la mort, du néant, c’était la destruction du monde. Dans le retour de la lumière, ils voyaient une sorte de résurrection, de renaissance comme une création nouvelle qu’ils accueillaient par des cris, des chants, des danses dont le souvenir est resté plus ou moins vivant dans toutes les religions. Si l’on songe que les hommes n’avaient aucune idée, à cette époque, des lois naturelles expliquant les faits astronomiques et météorologiques et particulièrement la production des orages, la succession constante du jour et de la nuit, il est facile de comprendre que leur ignorance les ait poussés à voir dans tous ces phénomènes les effets de causes vivantes et volontaires, ainsi qu’eux-mêmes. Les mythes naissent du besoin instinctif qui pousse l’homme à chercher la raison d’êtres surnaturels, semblables aux humains, par la forme et les traits de leurs caractères, mais supérieurs par leur empire et l’ampleur de leurs qualités ou de leurs défauts. La condition première des hommes a été si longtemps misérable que, jusqu’à des temps relativement rapprochés de nous, la puissance des divinités malfaisantes a été considérée connue supérieure à celle des autres. C’est pourquoi les cultes les plus anciens ont été les plus farouches. Puis, à mesure que l’expérience apprenait aux hommes à se garantir en partie des dangers et des misères des premiers âges, que des coutumes et des institutions plus stables leur apportaient une certaine somme de sécurité, ils remarquaient les effets bienfaisants du vent et de la pluie ; le retour régulier des saisons ; ils voyaient les jours alterner avec les nuits et s’habituaient à l’idée d’un ordre maintenu par des puissances amies.

Comme, d’un autre côté, ces phénomènes échappent à toute puissance humaine, il fallait bien reconnaître que les causes qui les produisaient étaient d’un ordre supérieur à l’humanité et que les invisibles qui présidaient aux phénomènes célestes et météorologiques étaient nécessairement plus forts et plus grands que les multiples petits dieux n’ayant que des attributions locales et que l’on ne pouvait rien en obtenir que par la prière, les sacrifices, les offrandes.

Sans doute, cet ordre était loin d’être parfait, les météores et les astres étaient enclins à de capricieuses violences, les dieux de l’atmosphère et du ciel se plaisaient à inquiéter leurs adorateurs par des colères soudaines, des désastres imprévus. Mais le respect est fils de la crainte. Si les dieux étaient uniquement occupés à répartir également leurs bienfaits, les prières, les génuflexions, les offrandes seraient vaines. Sur quelle autorité, sur quelles menaces, les rois, les magistrats baseraient-ils leur omnipotence ? De quoi vivraient les devins, les prophètes, les prêtres et autres sorciers ? C’est pourquoi le plus débonnaire des dieux a toujours