su garder un visage irrité : l’inquiétude ravive la reconnaissance, l’échauffe la tiédeur lorsque la faveur est soulignée par l’opportune calamité !
Et c’est ainsi qu’en face des innombrables puissances malignes, s’est insensiblement constitué le groupe des divinités supérieures foncièrement bienveillantes, capables de largesses dans la mesure compatible avec la dignité et les intérêts du culte. Et sans cesser d’amadouer les premières par toutes sortes de conjurations, de rites, les hommes imploraient et bénissaient les grands dieux de l’atmosphère et du ciel ; ils leurs demandaient secours contre les ennemis invisibles de l’humanité contre les maladies, les menées ténébreuses des démons. De là deux grandes catégories qui, sous des formes diverses, ont persisté dans tous les cultes : les divinités bienfaisantes et les divinités funestes. On adorait également les unes et les autres, les unes pour en obtenir protection active et vigilante, les autres pour désarmer ou adoucir leurs colères.
Ce dualisme est l’aboutissement logique de toutes les religions qui dérivent de l’animisme. Partout où l’on retrouve cette conception des dieux bons luttant contre les dieux méchants, on peut être certain, en remontant aux origines, de retrouver l’opposition de la lumière aux ténèbres. Ce culte des divinités bienfaisantes prit toujours plus de développement et progressivement on arriva à ne plus considérer les autres que comme des mauvais génies en révolte contre les dieux amis de l’humanité. C’est à ce point que les conceptions religieuses en sont arrivées dans les Védas. Indra, le ciel lumineux, est le dieu protecteur de l’homme. C’est lui qui chaque matin combat et détruit la mort que les puissances ténébreuses, sous le nom de Vitra, dissimule dans les nuages et dans l’obscurité.
Ces dieux puissants et débonnaires n’étaient que des hommes, leur vie reproduisait exactement la vie humaine. Industries, arts, occupations, passions et désirs, tout leur était commun avec la race humaine. La guerre, avec son cortège de vengeances, de haines inexpiables, de victoires et de revers, entra dans ce monde calqué sur la société humaine. Tous les personnages des panthéons se trouvèrent classés par paires, deux par deux ; la lumière en face des ténèbres, le feu devant l’eau, la terre contre la mer, le chaos contre l’ordre. Ce fut une lutte acharnée, rarement suspendue, toujours renaissante. La métaphore, propriété fondamentale du langage, multipliait et variait à l’infini les événements de la bataille éternelle livrée entre les dieux. D’un côté, les dragons redoutables, les géants difformes, les démons, les anges rebelles ; de l’autre, les dieux d’en haut et leurs alliés, les héros et les défenseurs de l’ordre universel.
Cette philosophie primitive qui crée les mythologies, résulte du dualisme moral qui a ses attaches au plus profond de l’âme humaine. Il s’est développé et affiné avec les sentiments affectifs et les concepts qui en dérivent. La sensation a deux faces : plaisir et douleur. Comment ne pas rapporter ces sensations contraires à deux causes également contraires soit à la bienveillance, soit à la colère des dieux, les uns amis, les autres ennemis des hommes ? De cette conception dualistique est issue l’idée que les bonnes actions sont agréables aux dieux bienfaisants et déterminent leurs faveurs, que les vices et les crimes exposent à leurs courroux. Considérations qui, si elles ont rarement réprimé chez certains de vils penchants, ont livré la morale aux clergés qui, au nom des dieux, se sont arrogé le droit de punir ou d’absoudre, de mesurer le mérite et le démérite.
Il est difficile pour ne pas dire impossible, de débarrasser les mythologies de tous les éléments parasites qui sont venus s’y amalgamer, au point, parfois, d’en altérer le sens primitif. Elles se compliquent de souvenirs historiques, d’arrangements arbitraires, elles s’augmentent de fabuleux récits de conquête où le triomphe
De même, les dieux du mal sont réunis en troupes placées sous les ordres des plus puissants d’entre eux. C’est la bataille entre ces deux groupes ennemis. L’Égypte oppose Typhon à Osiris, les Iraniens Indra à Vitra, les Perses Ormuzd à Ahriman, les Grecs Zeus aux Titans, les catholiques Dieu à Satan. Et ironie plaisante, le diable, le prince du mal, cet épouvantail aux multiples noms que connaissent toutes les mythologies, et sur lequel les clergés comptent autant pour leurs coffres que pour courber les fronts sous la teneur des vengeances divines, est, aujourd’hui, vainqueur. Nul clergé n’a vu que Satan allait grouper autour de lui les ennemis de l’obéissance et de l’obscurantisme religieux ; que les opprimés de l’art et de la science — déclarés d’origine diabolique — allaient s’unir aux prétendues puissances du mal pour attaquer victorieusement les religions, en opposant à leurs affirmations gratuites, absurdes autant qu’abstruses, les résultats de l’expérimentation et de l’observation scientifiques.
Les mythologies qui, à un certain moment de l’évolution religieuse des peuples, jouent un rôle prépondérant, ne sont d’abord que le résultat des sensations de l’homme primitif, un timide essai d’implication des phénomènes naturels. Avec les progrès de la civilisation, les mythologies s’affinent, se condensent, font, chez certains peuples, (les Grecs, par exemple), des progrès très rapides. Les dieux trop nombreux, diminuent en nombre, croissent en importance, deviennent plus puissants, plus « spiritualisés ». C’est le règne du polythéisme anthropomorphique qui, tout en attribuant aux invisibles, une vie analogue à celle des hommes, établit dans la cohue des dieux une hiérarchie qui les classe en grou-