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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/418

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NAT
1762

après la mort des parents a endigué la natalité paysanne. Le paysan a l’orgueil de son bien ; il ne veut pas qu’il soit diminué, même après sa mort. Il s’efforce donc de n’avoir que peu d’enfants, même un seul si c’est possible.

Les classes dirigeantes restreignent depuis très longtemps leur natalité. Louis XIV et Louis XV semaient partout des bâtards ; mais, depuis, les princes et même les simples bourgeois ne commettent plus ces maladresses.

Les gens riches qui ont beaucoup d’enfants sont tout à fait exceptionnels. Ce sont des familles sincèrement catholiques ou des conservateurs qui croient devoir donner l’exemple ; mais nous le répétons : ces bourgeois prolifiques se comptent par unités. Les catholiques et les conservateurs se contentent de prêcher la fécondité ; ils ne la pratiquent plus.

Dans les quartiers riches de Paris, la natalité est très faible, plus faible qu’aux États-Unis qui ont la natalité la plus faible du monde. Les familles nombreuses dans les classes. dirigeantes sont méprisées ; on soupçonne une tare, une faiblesse intellectuelle et morale qui empêche de gouverner les instincts.

Les enfant coûtent cher et la femme veut pouvoir vivre de la vie mondaine. Elle veut, en outre se conserver jeune. et désirable le plus longtemps possible. Or rien ne vieillit une femme comme les nombreuses maternités. Le visage et le corps se flétrissent ; des infirmités multiples, varices, chute de l’utérus, etc… L’homme se détourne et cherche des maîtresses plus appétissantes.

Dans les classes moyennes, la question économique prime toutes les autres. L’enfant est très cher pour qui veut l’élever convenablement. La nourriture, le vêtement, le personnel, l’éducation, grèvent lourdement le budget. Quatre enfants obligeraient la famille à vivre à un niveau très inférieur. Appartement trop petit ; personnel réduit à une bonne ; la femme obligée de prendre une forte part aux travaux ménagers.

Dans la petite bourgeoisie, la femme travaille : professeur, carrières libérales, petite fonctionnaire, institutrice. Les enfants, même en petit. nombre, font à la femme une vie de surmenage. Elle court sans cesse du bureau à la maison ; on finit par confier les enfants aux soins des vieux parents.

Dans la classe ouvrière, la fécondité amène la misère. Le salaire de l’homme est insuffisant, la femme doit travailler. On met le bébé à la crèche. Plus tard, il va à l’école et y déjeune à midi, grâce aux cantines scolaires. Mais il est tout de même un embarras. Entre quatre heures et sept heures, on ne sait où le mettre ; il attend chez la concierge, dans l’escalier, dans la rue.

Depuis la guerre, la crise des logements dans les villes a amené une nouvelle baisse de la natalité. Comment tenir un bébé dans une chambre d’hôtel où il n’y a pas de place ? Il faut étendre les langes sur des cordes ; l’humidité rend la chambre malsaine ; les langes souillés dégagent une odeur écœurante. Et il faut se cacher pour laver, car l’hôtelier le défend. Souvent même il chasse le couple assez sans-gêne pour s’être permis d’avoir un enfant.

La propagande néo-malthusienne a pénétré dans la classe ouvrière et y a porté ses fruits. Maintenant, les familles ouvrières savent limiter leur fécondité. A vrai dire, toute la peine des restrictions retombe sur la femme. L’homme égoïste et insouciant ne fait rien pour limiter sa fécondité ; souvent, d’ailleurs, il est ivre. La femme est insouciante aussi ; la préservation sexuelle exige des soins minutieux auxquels elle ne peut se résoudre. Mais elle a recours à l’avortement qu’elle pratique le plus souvent elle-même ou avec le secours d’une amie.

Pour lutter contre la dénatalité, on donne aux familles nombreuses divers avantages : réduction dans les chemins de fer ; priorité pour l’obtention des emplois.

On a construit pour elles, dans les villes, des maisons à bon marché. Des patrons distribuent des secours. Tout cela ne peut être qu’insuffisant ; une aide véritable écraserait le budget.

Le pays n’a pas un enfant de plus, car les familles nombreuses seraient encore telles sans aide ; c’est la partie la plus inférieure de la population.

Là fleurissent la sottise, la paresse, l’ivrognerie. L’enfant, au lieu d’être une charge, devient une industrie. On vit de secours : secours à la mairie, secours chez les prêtres. Une dame charitable paye le loyer, une encore habille les enfants. On touche du charbon, des haricots secs, des pommes de terre, du lard. Le Bureau de Bienfaisance donne une allocation.

La population n’a pas besoin d’augmenter et aujourd’hui la France doit une prospérité relative à sa faible population. L’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie qui ont une forte population ont des millions de chômeurs et leur état de misère économique est tel, que la guerre menace à nouveau.

Certes, la terre est loin d’être pleine. Mais les hommes se massent là où des milliers d’années ont organisé la civilisation et le bien être relatif. Pour rendre le Sahara habitable, combien faudrait-il de siècles ? Aux colonies, l’Européen contracte des maladies et meurt prématurément. Rares sont ceux qui peuvent y vivre et y fonder une famille ; l’ennui est terrible parce qu’il n’y a aucune vie intellectuelle, même réduite au théâtre et à la conversation. On noie son ennui dans l’alcool, dans les vices crapuleux.

Ceux qui veulent une forte population se placent au point de vue étroit de la France ; mais même à ce point de vue ils ont tort. Une forte population force à l’émigration, nous le voyons en Italie. Elle finit par amener la guerre ; alors la crise, de surpopulation se résout pour un temps par la suppression des adultes ; n’est-il pas moins cruel d’empêcher les enfants de venir ?

L’humanité étant maîtresse de sa fécondité, n’est-il pas à craindre qu’elle ne la supprime tout à fait ?

La famille va se disloquant. L’homme ne veut plus admettre d’être uni à une même femme pour toute sa vie. Lorsqu’il est las de l’épouse, ce qui arrive assez vite, il divorce ou se conduit de telle manière que la femme demande à divorcer. On peut prévoir que la femme, appréhendant l’éventualité d’être seule à élever ses enfants, refuse tout à fait d’en avoir.

La société préviendrait ce mal en prenant les enfants à sa charge et en indemnisant la femme qui prend la peine de lui donner un enfant.

On commence à voir que la famille ne réalise pas l’idéal pour l’éducation des enfants. La plupart du temps l’enfant, victime d’une autorité parentale despotique et tracassière, est malheureux. La plupart des parents n’entendent rien à l’éducation ; l’enfant est leur chose ; ils l’élèvent pour eux et non pour lui.

La société élèvera de manière rationnelle les enfants. Mais, bien entendu, cette société n’est pas la nôtre ; l’idée de bien général y est encore trop faible et elle est dominée de beaucoup par la lutte des individus les uns contre les autres. — Doctoresse Pelletier.


NATION n. f. (du latin natio). — Le Larousse définit ainsi la nation : « Réunion d’hommes habitant un même territoire et ayant une origine et une langue communs ou des intérêts longtemps communs. » Définition simpliste et inexacte. Lamartine disait plus justement : « Nations, mots pompeux pour dire barbarie… » En fait, nation est synonyme d’État. « L’État est la personnification juridique d’une nation : « c’est le sujet et le support. de l’autorité publique. Ce qui constitue en droit une nation, c’est l’existence, dans cette société d’hommes, d’une autorité supérieure aux volontés individuelles. Cette autorité, qui naturellement ne recon-