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revient à demander de violer une loi inflexible et de subir les inconvénients parfois graves que la méconnaissance ou l’ignorance des phénomènes naturels peut infliger à l’homme.

Les néo-malthusiens choisissent donc parmi les obstacles préventifs, sans rejeter la chasteté qui peut être de convenance individuelle, les procédés « vicieux » qui permettent d’éviter la conception et même, faute de mieux, comme pis aller, en attendant les moyens anticonceptionnels parfaits, dans des conditions bien entendu de sécurité aussi complète que possible, ceux qui permettent l’interruption de la grossesse.

Ils s’adressent aux prolétaires, font appel à leur responsabilité personnelle, les prient de songer aux charges qui peuvent leur incomber dès qu’ils sont en situation d’engendrer.

« Ayez peu d’enfants, leur disent-ils. Les nourrir en bas âge, les élever, leur procurer les moyens d’entrer dans la carrière avec des chances raisonnables de se créer, par leur effort, une vie libre, digne, indépendante, est une œuvre difficile. Ne vous laissez pas abuser par la cohue des politiciens et des philanthropes. Ils promettent beaucoup, ne tiennent pas, ne peuvent pas tenir. Attendez avant de vous charger d’enfants, que les logements soient habitables, que les cités soient assainies, que vos salaires soient plus élevés, que vos loisirs soient plus nombreux. Attendez avant de procréer que les réformes dont on vous proclame l’urgence soient accomplies. »

Il ne s’agit point de supprimer totalement les naissances, ce serait faire disparaître l’humanité. Il s’agit de mettre les humains en état de limiter, distribuer, répartir les charges de la maternité, en tenant compte des principes eugéniques, en ayant égard à la santé et à la liberté des couples, de la femme, sans accroître les charges des unions, des familles, de la société, sansperdre de vue que le dépeuplement vrai peut être aussi nuisible que le surpeuplement.

Les moyens d’éviter les naissances superflues et indésirables sont-ils nuisibles à la santé ? Il faut croire qu’il n’en est rien puisque d’une statistique publiée par le Dr  Lutaud, il résulte que sur 1.800 ménages de médecins parisiens, on compte en moyenne moins de deux enfants par ménage.

Les médecins ne sont-ils pas des gens instruits et parfaitement à même de juger ce qui est nuisible à la santé ? Peut-on admettre qu’ils mettraient en pratique des mesures de nature à donner lieu à une foule de maladies et à abréger l’existence ?

L’avortement ne peut être qu’un pis-aller et il sera d’autant moins employé que les moyens anticonceptionnels le seront davantage. Les fauteurs d’avortement, les fauteurs d’infanticide, comme les fauteurs de misère et de guerre, ce sont les adversaires de la diffusion de l’hygiène sexuelle et anticonceptionnelle, ce sont les contempteurs de la propagande néo-malthusienne, que ces contempteurs soient de gauche ou de droite, qu’ils soient socialistes ou anarchistes, qu’ils adoptent ou qu’ils repoussent la doctrine malthusienne.

Les néo-malthusiens soutiennent d’ailleurs qu’il n’y a pas un Seul des problèmes sociaux agités de tout temps et de nos jours qui ne trouve dans la « prudence parentale », dans la « prudence procréatrice », comme disait Paul Robin, une aide efficace et le fondement même de leur solution.

L’union libre, par exemple, la liberté de l’amour (voir ces mots), ne sont possibles pour la femme que dans la liberté corporelle, dans la liberté de la fonction génératrice. Toute femme doit pouvoir aimer sans engendrer. La liberté de l’amour a pour condition primordiale celle de la maternité. Le néo-malthusianisme pratique favorise l’indépendance féminine matérielle et spirituelle, individuelle et sociale. Il agrandit le cercle de l’activité des

femmes, relève leur dignité, leur autorité, en fait les égales et les camarades de l’homme et par là, physiquement et psychiquement, améliore les individus et le milieu social. En écartant la crainte des parturitions non désirées, il permet à toutes, et à tous, les expériences, la « papillonne », la recherche des plus hautes sensations, la satisfaction entière, de besoins dont l’accomplissement participe à la santé et à l’harmonie corporelle. Il permet le choix de l’époux ou de l’amant, celui de l’épouse et de l’amante. Il modifie complètement les mœurs et la morale sexuelle. Cela bien entendu ne va pas sans la mesure, la modération, sans une morale basée sur les besoins du corps, et la nécessité de préserver la santé individuelle, de sauvegarder l’intérêt social. Il peut y avoir une éducation franche, scientifique, capable de maintenir chez les humains informés l’équilihre sexuel comme l’équilibre physique et mental. Nous n’insisterons pas ici sur cette éducation sexuelle que préconisent aussi bien des militants qui ne sont pas spécifiquement néo-malthusiens, ni sur l’initiation sexuelle qui pourrait être scientifiquement dispensée aux jeunes pour assurer leur bonheur.

Le néo-malthusianisme renferme aussi, disent ses partisans, le moyen de réduire la prostitution, dont la source principale se trouve dans la pauvreté et dans la nécessité des plaisirs sexuels. Ces derniers étant possibles par la liberté de la maternité, et la pauvreté étant vaincue puisque les naissances n’ont lieu que dans l’aisance, la prostitution diminue et même, peut-être, disparaît.

L’eugénisme est également favorisé par la limitation contrôlée des naissances. Les néo-malthusiens prétendent même qu’il ne peut y avoir d’eugénisme sans néo-malthusianisme. C’est un point sur lequel ils sont d’accord, indépendamment de toute théorie économique, avec les birth-controllers. Sans l’intervention des moyens anticonceptionnels ou abortifs, pas de sélection négative, puisqu’il s’agit d’entraver la reproduction des tarés, des malades, des chétifs, des déficients physiques et mentaux. Pas non plus de sélection positive, car la reproduction au hasard, la multiplication sans modération des couples sains manque son but si les progénitures ne trouvent point les ressources d’alimentation, d’aération, d’exercice physique, d’élevage, etc. qui les maintiendront en bon état. La grande cause des déchéances, la grande pourvoyeuse, la grande entreteneuse des tares, c’est la pauvreté, c’est la misère. Les enfants sains qui manquent de soins dégénèrent. Les eugénistes qui, comme le Dr  Pinard, prétendent mettre en opposition l’eugénisme et le néo-malthusianisme vont contre le but qu’ils prétendent atteindre. Le conseil donné aux couples malades de renoncer à la procréation doit être complété par le conseil donné aux couples sains d’éviter de se charger d’enfants qu’ils exposeront à une diminution physique et mentale par l’impossibilité de les pourvoir convenablement.

De même, pas de puériculture sérieuse sans une prudence constante quant au nombre des naissances. Pas d’éducation ni d’instruction prolongées pour tous sans limitation familiale et sociale de la progéniture.

Il est à peine croyable, remarquent les néo-malthusiens que les plus éminents leaders des partis politiques et sociaux aient été hostiles non seulement au malthusianisme comme doctrine économique, mais encore au néo-malthusianisme en tant qu’instrument de lutte révolutionnaire. Ni Proudhon, ni Marx, ni Bakounine, par exemple, n’ont admis, comme moyen de combat social, la limitation des naissances prolétariennes. Et leurs disciples, ou bien se sont tus sur ce sujet, ou bien ont condamné l’action des militants qui ont vu là, au contraire, une des voies principales qui conduisent à la solution des problèmes sociaux, une aide formidable à l’émancipation humaine.