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les aspirations, à entraver et déprimer les initiatives et les volontés individuelles.

Certains anarchistes et socialistes allèguent contre le néo-malthusianisme des raisons pessimistes, le triomphe de la paresse, de la médiocrité, la disparition de la civilisation même et le règne de la platitude universelle. Ces sombres prévisions sont opposables, aussi bien, répondent les néo-malthusiens, à toute vue de perfectionnement social, elles sont d’ailleurs formulées aussi par ceux-la même qui, profitant du progrès et jouissant en égoïstes de biens qui devraient être communs, n’apprécient leur bonheur que par contraste avec la détresse d’autrui.

Mais ces provisions ne tiennent pas selon les néomalthusiens. La destination de l’humanité est de lutter contre les forces naturelles, de les dompter et asservir. Cette lutte il faut qu’elle soit menée sans faiblesse, sinon l’homme deviendrait la proie de l’univers hostile. Il doit combattre s’il ne veut pas mourir. Mais les motifs qui le portent aujourd’hui à écraser ses semblables, il les trouvera, sous la protection néo-malthusienne, dans la nécessite commune d’amender ou de vaincre la nature, dans la joie aussi de sentir toutes ses forces et d’utiliser toutes ses facultés. La nécessité de l’activité, le bonheur qu’elle procure ramènent a l’optimisme. Il n’est nul besoin de contrainte pour agir, ni de concurrence forcenée. L’humanité saura découvrir entre le nombre de ses membres et les produits de la terre et du travail, un harmonieux équilibre assurant a chacun, par un court labeur joyeusement accepté, l’abondance et, par les loisirs et la liberté complète des relations affectives, le bonheur.

Il n’y a pas de problème plus vaste que celui de la population, du néo-malthusianisme. Il tient à tout, et le traiter c’est traiter toutes les questions qui se rapportent à la vie humaine. Je n’ai envisage rapidement que quelques-unes de celles qui sont mises au premier rang dans la lutte contre l’organisation sociale actuelle.

Mais ce problème n’a pas été sans préoccuper les conservateurs. L’abondance de population, la surpopulation, est nécessaire pour assurer le recrutement de la main-d’œuvre, pour maintenir l’état de sujétion du prolétariat, pour perpétuer les classes, les privilèges. La patrie a besoin de soldats, l’usine a besoin de travailleurs, l’église a besoin de fidèles. Ici jouent les grands mots. L’industrie, le commerce, l’agriculture ne peuvent fonctionner qu’avec une population nombreuse. Et les surpeupleurs opposent des chiffres aux néo-malthusiens. Ils clament, avec habileté, que la France se dépeuple, que les nations voisines nous menacent par leur natalité supérieure, que notre pays offre l’aspect lamentable d’une « dying-nation », d’une nation qui va mourir. Il serait trop long de donner ici tous les arguments que les néo-malthusiens opposent aux conservateurs. Il sera suffisant d’insister seulement sur quelques erreurs communes propagées par la presse sur la question de la natalité et de la mortalité.

D’abord il n’y a nulle part, en aucun pays, dépopulation. Les chiffres montrent que, même en France, ou l’on déplore depuis plus de cent ans cette « dépopulation », ce phénomène n’a jamais, au vrai, été observé que tout à fait rarement. Il a, il est vrai, chez nous, un abaissement de la natalité, correspondant à un abaissement de la mortalité. Voici un tableau des naissances et décès pour 1.000 habitants qui donnera une idée de ces deux faits :


Naissances et décès annuels, en France,
pour 1.000 habitants
Naissances Décès
1851-1860   26,3 23,9
1871-1880. 25,4 23,7
1881-1890. 23,9 22,1
1891-1900 22,2 21,5
1901-1910 20,7 19.6
1911 18,7 18,6
1921 20,7 17,7
1922 19,3 17,5
1923 19,1 16,7
1924 18,7 16,9
1925 19,0 17,4
1926 18,8 17.5
1927 18,1 16,5

L’abaissement du taux de la natalité, la dénatalité comme disent aujourd’hui les surpeupleurs, n’est pas particulier a la France. Il se produit dans tous les pays. Et dans tous les pays le taux de la mortalité diminue beaucoup plus qu’en France, surtout depuis la guerre. Voici quelques chiffres :


Natalité Mortalité
pour 1.000 hab. pour 1.000 hab.
1921 1927 1921 1927
Allemagne 25,3 18,3 14,8 12,0
Autriche 21,9 17,8 15,7 14,9
Italie 30,3 26,9 17,4 15,6
Angleterre 23,8 17,0 12.8 12,4
Espagne 30,4 28,4 21,4 18,8
Hongrie 27,6 25,2 18,9 17,6
Danemark 24,0 19,6 11,0 11,3
Norwège 24,6 18,8 11,5 11,3
Suède 21,4 16,1 12,4 12,7
Pays-Bas 27,5 23,1 11,2 10,3
Suisse 20,8 17,4 12,7 12,3
Belgique 21,8 19,0 13,8 13,3

On remarquera que la France, en dépit de sa faible natalité a une mortalité plus élevée que dans plusieurs pays dont la natalité est très inférieure. Elle présente ainsi le phénomène, non d’une dépopulation, mais d’un accroissement très lent de la population. Elle fait exception a la loi générale que les pays a forte natalité ont la mortalité la plus élevée, mais il faut remarquer en même temps qu’elle ne fait pas exception a la loi générale que la mortalité augmente ou diminue avec la natalité. Ce n’est pas ici le lieu de nous étendre sur les explications qui ont été données de l’anomalie présentée par la France. Il faut simplement constater avec les néo-malthusiens que l’accroissement de la population est général et que « la pression de la population sur les subsistances se maintient même avec une amélioration des conditions d’existence. »

La France qui avait 33.500.000 habitants dans la période de 1841 a 1850, en avait 38.400.000 dans la période de 1891 a 1900. Le recensement de 1906 donnait 39.300.000 habitants et celui de 1911, 39.600.000 habitants. Après la guerre l’accroissement s’est poursuivi ainsi, après une chute due a la guerre :

1920 39.200.000
1925 40.600.000
1927 40.960.000

Les autres pays se sont accrus en population de façon plus accusée encore. Voici pour trois grands pays :

Population
1920 1925 1927
Allemagne 62.000.000 62.395.000 63.220.000
Angleterre 42.760.000 43.780.000 44.190.000
Italie 36.870.000 40.340.000 40.600.000

Sans compter la Russie, la Pologne, les États baltes, l’Europe s’est accrue, depuis 1921, de près de 17 millions