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problèmes dont la solution exigera l’observation, et avec elle, autant que possible, l’activité manuelle et la mesure, la réflexion et l’imagination.

« Toutes nos opérations mentales, écrit le Dr G. Le Bon, s’opèrent suivant un mécanisme spécial : la comparaison. » Il importe, écrit aussi le Dr Decroly « de présenter deux objets, deux êtres ; en effet, le travail mental supérieur se fait mieux grâce à la comparaison de choses et de faits présents ; on commencera par les différences, puisque l’expérience semble avoir montré que les différences se perçoivent mieux que les ressemblances. Mais rien n’empêchera de souligner celles-ci dans la suite. » Présentons une feuille jaunie à l’automne ; l’enfant saura dire que la feuille est jaune lorsque nous l’interrogerons sur sa couleur, car le mot jaune, quoique abstrait, est déjà bien connu de lui. Il vaudrait cependant mieux concrétiser et préciser tout à la fois ce terme en le complétant : la feuille peut être jaune citron, jaune orange, ou, si vous préférez, jaune comme un citron, ou jaune comme une orange. Cette feuille jaunie peut aussi être comparée à d’autres feuilles ; toutes ces feuilles peuvent être rangées d’après la tonalité : du jaune le plus clair au jaune roux ; d’après la grandeur ou d’après la forme. De nouvelles comparaisons sont ainsi faites, qui permettent à l’enfant d’acquérir tout à la fois des idées nouvelles et les mots qui servent à les exprimer : lisse, rugueux ; opaque, transparent, etc…

Avec des élèves plus âgés il faut aussi faire comparer. Voici ce que Roorda écrit à ce sujet : « … Je veux, pour finir, dire deux mots d’un exercice dont les écoliers tireront un grand parti. Ils consacreront au moins une heure par semaine à la notation des différences et des ressemblances, qu’il y a entre les choses : les différences ou les ressemblances que peuvent présenter deux fleurs, ou deux pierres, ou deux insectes, ou deux oiseaux, ou deux métaux, ou deux portraits, ou deux figures géométriques, ou deux sous, ou deux phrases, ou deux fables composées par deux écrivains qui ont voulu traiter le même sujet, ou bien les gestes, les attitudes et les paroles de deux personnes, etc… Souvent on se demandera : « Cette ressemblance-ci accompagne-t-elle toujours cette ressemblance-là ? » Parfois, une différence qu’on ne soupçonnait pas deviendra évidente, grâce à l’emploi de quelque réactif. Tout le travail qui précède l’énoncé des vérités scientifiques est là.

Ces exercices de comparaison peuvent être admirablement gradués : très faciles d’abord, puis, au bout de quelques années, très difficiles. « Le Pédagogue n’aime pas les enfants », p. 105.

A la comparaison se rattache la mesure qui est une comparaison très précise et dont nous ne parlerons pas maintenant, nous étant suffisamment étendu sur ce sujet aux mots éducation et mesure.

La mesure se fait au moyen d’appareils et il est bon que nos grands élèves apprennent qu’il est d’autres appareils que les hommes ont inventés pour suppléer aux faiblesses de nos sens — qu’il faut éduquer pour bien observer et que l’on éduque en observant (voir : Éducation) — ; il est bon de leur faire faire quelques observations à la loupe ou même avec un petit microscope. Il est un autre moyen, trop peu employé, d’obliger les enfants à bien observer : c’est l’emploi du dessin. Il faut regarder avec plus d’attention lorsque l’on veut dessiner, il faut sans cesse comparer son dessin au modèle pour constater les différences et se corriger. Enfin : « chaque sujet, animal ou plante, s’organise suivant une architecture spéciale, en lignes harmonieuses, souples ou rigides, toujours équilibrées, dont l’analyse peut être une excellente leçon de beauté. La représentation exacte d’un objet réel constitue l’exercice élémentaire le plus propre à développer le goût et à rattacher l’art vrai à sa pure source qui est

la nature. D’abord interprète fidèle des réalités comprises et admirées, l’élève n’aura pas de peine, dans la suite, à épurer, à styliser et à passer à l’arrangement décoratif bien composé. » (A. Pézard et L. Laporte-Blairsy.)

Mais que faut-il observer ? Un choix s’impose ; il faut savoir se limiter et, surtout pour les plus grands élèves, il vaut mieux observer peu, mais bien, que de papillonner en multipliant les observations superficielles. Il est préférable qu’un enfant ait observé à fond une demi-douzaine de plantes bien variées que de connaître et d’avoir observé superficiellement un grand nombre de plantes. Tout d’abord, il nous faut commencer par choisir nos observations, de telle façon que les enfants s’y intéressent autant que possible. A cet égard, tout ce qui vit ou bouge nous fournit les meilleurs sujets d’observation : les plantes intéressent plus que les corps inertes, les animaux intéressent plus que les plantes, et les phénomènes de la nature : la pluie, le vent, la neige, etc…, nous fournissent aussi des sujets intéressants. Mais on n’observe pas pour observer, on observe pour chercher la solution de certains problèmes, pour exercer les facultés logiques de l’observateur et, malheureusement, certains des sujets d’observation les plus intéressants pour les petits posent des problèmes dont la solution n’est pas à leur portée. Les observations biologiques, par exemple, sont justifiées par ce problème : comment cet animal, cette plante, sont-ils adaptés à la vie dans leur milieu et l’on peut à ce propos, par exemple, étudier : 1° l’adaptation des fleurs à la fécondation par les insectes ; 2° l’adaptation des insectes à la fécondation ; 3° l’adaptation des fruits et semences à la propagation par le vent et les animaux ; 4° l’adaptation du corps des mammifères aux différentes façons de se mouvoir et de se nourrir ; 5° l’adaptation du corps des oiseaux à la manière de voler ; 6° l’adaptation du corps des oiseaux aux autres façons de se mouvoir (pie, poule, canard, héron, etc…) ; 7° l’adaptation du corps des oiseaux aux différentes façons de se nourrir ; 8° l’adaptation des fleurs à la fécondation par le vent, etc…, etc… Mais l’explication transformiste de ces diverses adaptations n’est pas à la portée des jeunes enfants et, à les signaler trop tôt, nous risquons d’éveiller, ou d’ouvrir les voies à l’éveil, des explications finalistes qui sont celles que donnent les prêtres de toutes les religions.

Si donc, avec les jeunes enfants, il est bon de faire observer les êtres vivants qui les intéressent, il faut, avec eux, laisser de côté les observations relatives à l’adaptation au milieu, qu’on devra leur faire faire plus tard, lorsqu’ils seront aptes à comprendre l’explication transformiste.

A certains égards, il vaut mieux faire observer des outils, instruments, etc…, réalisés par le travail humain. Le problème qu’ils posent est plus simple ; sa solution plus aisée a, d’autre part, l’avantage d’être une leçon de morale qui fera comprendre aux enfants la valeur de l’effort intellectuel et manuel. Tout objet fabriqué répond à un but ; il s’agit, à l’aide de « pourquoi » et de « comment », de faire trouver à l’enfant la raison de l’ensemble et des détails, de la forme, de la matière, etc… et, pour cela, des comparaisons sont encore nécessaires : nous comparerons la lame du couteau, du canif, du greffoir, de la serpette, avec la hache, etc…, la hache avec la scie, etc… Nous agirons aussi : en s’asseyant sur divers bancs, sièges, etc…, les enfants constateront que leurs tables d’écoliers sont adaptées à leur taille, etc… Au besoin nous nous transformerons en critiques : l’adaptation n’est pas toujours parfaite : ce vase au pied trop étroit se renverse trop facilement, etc… Et nous n’oublierons pas aussi d’apprécier tout ce qui ne répond pas à une utilité véritable, mais qui est là « pour faire joli » et nous ferons ainsi peu à peu aimer la beauté aux petits.