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OCC
1833

Il y a lieu tout d’abord, évidemment, de déblayer le terrain et de débarrasser l’occultisme du parasitisme exotérique qui l’encombre, des grossières superstitions qui le déconsidèrent. Cet énorme déchet écarté, que reste-t-il ?

Les occultistes invoquent en faveur de leurs conceptions : l’ancienneté et l’universalité de ces croyances, la Sagesse antique et la Sagesse orientale, la Tradition, et les noms de nombreux hommes remarquables qui ont été occultistes.

Tous ces arguments sont d’une extrême faiblesse, mais ils sont si souvent présentés et si énergiquement défendus qu’il faut bien en parler.

L’ancienneté et l’universalité ? — Ce peut être tout aussi bien celles de l’erreur que celles de la vérité. Exemple : les théories cosmogoniques acceptées par tous jusqu’à Copernic et Galilée… et même plus tard. Ce n’est pas parce qu’une idée a été absurde pendant dix mille ans qu’elle en devient sensée.

La Sagesse antique et la Sagesse orientale ? — Pur verbiage. Ce qui importe, ce n’est pas de savoir si une sagesse est antique ou moderne, orientale ou occidentale, si elle est née entre les pattes du Sphinx, dans les lamaseries du Thibet, dans une mansarde de Paris ou de Londres, ou ailleurs, mais si elle est réellement une « Sagesse ». Il nous faut des preuves, et non des mots.

La Tradition ? — Avec quelle bêlante admiration on nous en rebat les oreilles, de cette prétendue tradition, transmise de siècle en siècle à de rares initiés ! Que peut-elle signifier cependant ? Simplement ceci — et encore à la condition, fort problématique, qu’elle n’ait pas été trop déformée en cours de route — : que, à telle ou telle époque, telle ou telle personne, ou tel groupement humain, ont pensé de telle ou telle façon ; mais nullement que cette façon de penser soit la meilleure, ni même qu’elle soit bonne ou mauvaise. Elle a bien eu un commencement en effet. Or, le premier de cette longue chaîne d’initiés, comment a-t-il connu la « vérité » transmise ? Soit par intuition — valeur subjective, donc nulle scientifiquement, car nous n’avons pas les moyens de vérifier si elle peut saisir l’absolu, quoiqu’en dise Bergson en de jolies pages qui ne sont que des jolies pages, si ses données ont leur source dans les réalités de la « nature naturante ». pour parler comme Spinoza, ou si elles ne sont que des concepts de notre imagination, créatrice ou déformatrice ; soit par révélation — ce qui est pire, car il n’y a plus alors de science ni de philosophie, mais de la Foi. Ce qui ne se discute pas sérieusement.

Quant à l’argument basé sur le grand nombre d’hommes remarquables qui ont cru, ou croient encore, à l’astrologie, au grand-œuvre, etc., il n’a pas plus de portée. C’est en effet raisonner d’étrange et sophistique façon qu’invoquer les mérites certains d’un homme pour justifier ses erreurs. Elles s’expliquent aisément, pour les hommes d’autrefois surtout, par l’influence de l’époque, de l’ambiance, où ils ont vécu, et par l’état rudimentaire ou l’inexistence des sciences naturelles ; dans les temps modernes, par la tenace persistance des vieux errements, qui, comme un virus d’une prodigieuse vitalité, imprègnent l’esprit humain depuis des millénaires, et surtout par l’indépendance, souvent presque étanche, des diverses formes de l’intelligence dans le même individu, et les différences, énormes parfois, de leurs développements respectifs. Toute la puissance cérébrale des grands savants (comme aussi des grands écrivains et artistes) étant accaparée par la spécialisation de leurs travaux, et comme hypertrophiée dans une ou plusieurs branches de la pensée, leur insuffisance, voire leur nullité, en d’autres branches résultent du manque d’équilibre dû à cette hypertrophie.

Quelques occultistes récents, notamment Paul Choisnard pour l’astrologie, comprenant bien l’insuffisance

de ces preuves, en ont cherché de plus scientifiques, basées sur des statistiques et sur le calcul des probabilités. Les statistiques fournies, je l’ai déjà signalé, sont fort incomplètes. Et il ne semble pas possible, à vrai dire, d’en établir de justes et probantes en pareille matière, vu l’énorme difficulté d’obtenir, en quantités utiles, des renseignements incontestablement exacts. Quant au calcul des probabilités, il ne peut évidemment avoir de valeur que si l’on considère de très grands nombres. Or, ce n’est certainement pas le cas ; et les faibles taux des écarts de fréquence signalés par Choisnard dans les horoscopes peuvent parfaitement être dus au hasard. Il convient donc, pour le moins, d’attendre les résultats d’une expérimentation plus prolongée pour y trouver des preuves, ou des présomptions intéressantes.

Je dois mentionner, avec l’impartialité qui me guide ici, une hypothèse du même Choisnard qui mérite l’attention. C’est qu’il n’y aurait peut-être pas rapport direct de causalité entre les positions des astres et les destinées humaines, mais une simple concordance provenant d’une source commune aux deux ordres de phénomènes : les astres fourniraient seulement le signe du déterminisme. Il est à craindre qu’il n’y ait là quelque tendance finaliste. Reconnaissons toutefois que l’astrologie côtoie ici la science. Qu’elle y entre un jour par cette porte, ce n’est pas impossible. Mais ce qui est certain, c’est qu’elle n’y est pas encore entrée.

Résulte-t-il de ces considérations qu’il faille rejeter en bloc et définitivement tout l’occultisme ? Je ne le crois pas. Je crois que la plus sage attitude, en cette question, est une prudente et patiente expectative. La science continuera sans doute à « désocculter » l’occultisme, suivant la claire expression d’un de ses adeptes actuels, à séparer de l’ivraie abondante le possible bon grain. Il y a eu déjà, en effet, plus d’un passage de l’occultisme à la science ; il n’y a pas de raison pour qu’il n’y en ait plus d’autres. Les deux principales lois de l’occultisme : la loi d’analogie — du macrocosme et du microcosme, — et la loi d’affinité, ont eu récemment des applications que semblent avoir entrevues les anciens hermétistes, notamment dans la théorie de l’allotropie et dans la théorie atomique ; de nombreuses synthèses chimiques, même organiques, ont été réalisées, qui confirment certaines vues des chimistes du moyen âge, dits alchimistes, à la recherche de la synthèse de l’or — pas plus invraisemblable, en principe, que celles de l’urée, des hydrocarbures, etc. ; enfin il est évident que le déterminisme est à la base de l’occultisme : tous nos actes étant déterminés, existent en germe dans les précédents ; tous les événements, passés ou futurs, forment une chaîne ininterrompue, et sont ainsi inscrits, pour employer une métaphore qui facilite l’intelligence de la question, dans le grand livre du Cosmos. Quand l’astrologue ou le devin l’affirment, ils sont en somme d’accord avec le philosophe déterministe. Seulement, ils vont beaucoup plus loin que lui — trop loin — en prétendant qu’ils savent lire dans ce livre. Il se peut qu’ils le lisent correctement quelquefois, et de nombreuses expériences personnelles m’inclinent à le croire, mais cette lecture est encore purement empirique, ce qui enlève tout caractère de certitude à leurs interprétations, car ils peuvent prendre de simples concomitances pour des effets et des causes. Est-ce à dire que nous ne saurons jamais lire ce livre ? Une telle affirmation ne serait guère moins absurde que celle des occultistes. Les merveilleuses découvertes de la science moderne nous ont révélé des forces mystérieuses qui, il n’y a pas bien longtemps, étaient inconnues, même insoupçonnées. Il en reste à découvrir ou à expliquer. La sagesse est d’y travailler méthodiquement, au lieu de se contenter d’une foi stérile, ou de se retrancher dans une dédaigneuse dénégation, non moins stérile, sinon plus. Il