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fallait en adjoindre un autre pour exciter sa brutalité, engendrer sa sauvagerie et lui faire oublier sa dignité d’homme. Face à face, de sang-froid, les pauvres adversaires se sont bien des fois rendu compte qu’ils n’étaient pas ennemis, mais victimes d’une machination monstrueuse décorée du nom de Patriotisme. En se voyant ainsi mutuellement, ils n’étaient pas loin de se laisser aller à la Fraternisation… Quelle horreur ! Il y eut des cas plus nombreux qu’on ne croit du geste individuel ou collectif de fraternisation. On le sut en haut lieu et c’est par la terreur, d’une part, et par l’alcool, d’autre part, qu’on parvint à tirer de cette pente les fils du peuple amenés au front pour se combattre et non pas pour s’entendre et se comprendre. Pour cela l’Offensive valait mieux que la Défensive. Mais il fallait la gnole et le pinard. C’est avec cela qu’on fit les héros de l’Offensive et qu’on empêcha le mieux que les guerriers redeviennent des hommes. Le vin coula et le sang aussi.



Quand on envisage de sang-froid, sans prétendre faire de la stratégie, certaines opérations importantes de la terrible guerre de 1914-1918, on arrive tout naturellement à des observations dictées par le plus simple bon sens. C’est ainsi qu’il nous paraît qu’on ne pouvait pas douter, ni au commencement d’août, ni au milieu de ce mois de l’année 1914, que l’offensive principale allemande se faisait par la Belgique.

Mais les chefs, professeurs de l’École de guerre, n’étaient pas de cet avis. Or, comme le Pape, ces manitous de guerre sont installés dans l’Infaillibilité, il faut les croire et obéir sans discuter.

Au début de septembre, le bon sens de tout ce que le galon ne méduse pas parmi les hommes du gouvernement, du parlement, de la presse, savait qu’il ne fallait pas évacuer Paris ; et qu’il fallait livrer bataille sur la Marne, quand l’armée en retraite s’appuyait à droite sur le camp retranché de Verdun, à gauche sur le camp retranché de Paris.

Mais le G. Q. G. ne pensait pas ainsi : c’est pourquoi furent lancées offensives partielles sur offensives partielles pour quelques mètres de terrain pris ou repris, qu’on devait abandonner le lendemain en augmentant chaque fois le nombre des tués ! On ne pourrait, même aujourd’hui, dire ces choses si elles n’éclataient aux yeux de tous. Après une expérience de quelques mois, tout le monde sut que la guerre d’usure, le grignotement de l’armée allemande, par des attaques partielles, ne pouvait, sur un front de 600 à 700 kilomètres, que nous user nous-mêmes. C’est précisément ce que disait un journaliste dans un article intitulé : « Réflexions d’un simple pékin ». Voici ce que disait Gustave Hervé :

« Une attaque locale, partielle, par une compagnie, un bataillon, un régiment, une brigade, une division, ou même un corps d’armée, n’a qu’un résultat : faire tuer des hommes sans aucune espèce de profit que de gagner 200 à 300 mètres, que le plus souvent on est incapable de conserver.

« Le plus grave, c’est que, dans ces assauts contre des tranchées ennemies, ce sont les plus braves qui ont le plus de risques de se faire tuer. Ils sortent le plus hardiment de leur abri, foncent le plus audacieusement sur l’ennemi et, naturellement, reçoivent le plus de horions.

« Pour boucher les trous, on fait venir d’autres hommes du dépôt, puis on recommence ; les plus braves encore disparaissent ; c’est un continuel écrémage des meilleurs. Nous grignotons l’ennemi : il nous suce, lui, le meilleur de notre sang. » (Ici quelques assurances que le signataire ne critique pas l’état-major). Et il ajoute : « Ce que je dis, c’est que la preuve aujour-

d’hui est faite que l’offensive ne peut aboutir à rien. » (Guerre Sociale, 28 février 1915.)

Ainsi voici l’Offensive partielle jugée par un pékin qu’on ne s’attendait pas à voir ici.

Quant à l’Offensive en masse, le même fameux pékin estime aussi qu’elle a fait faillite. Pour lui, la défensive elle-même a fait faillite. La solution pour le pékin en question est celle-ci :

« Il semble, dit-il, que la victoire dans de telles conditions, sera à celui des deux adversaires qui, le premier, aura su appliquer la méthode que les militaires appellent, je crois, la contre-offensive, et dont jusqu’ici, sur notre front, depuis six mois, Français et Allemands n’ont fait que des applications purement partielles, où, d’ailleurs, elle a presque toujours donné des succès locaux. »

Pour terminer, l’éminent pékin, après avoir exposé son plan sur ce qui aurait dû être fait sur l’Yser, dit :

« Ayons la patience d’attendre qu’ils (les Allemands) soient acculés à cette offensive meurtrière, pour faire, à l’instant psychologique, la contre-offensive que nous n’avons pas pu faire sur l’Yser.

« Pour la dixième fois je conclus : « A quand la nouvelle armée de Paris ? »

Pour nous, qui n’avons pas d’avis à donner, même à titre de simple pékin, aux grands chefs de notre armée, offensive partielle, offensive générale ou en masse et contre-offensive sont des façons de sauvages tueries qui ne disparaîtront qu’au jour où les humains de toutes nations refuseront d’y collaborer ou quand, par des moyens scientifiques, à la portée de tous, on pourra supprimer tous les guerriers et, par conséquent, la guerre.



L’Offensive, méthode chère à certaines personnalités de la caste militaire, pour lesquelles il n’y a de vraies et de belles batailles que celles qui consomment beaucoup de vies humaines, nous en trouvons assez l’illustration atroce dans les premiers jours de la guerre de 1914-1918 pour nous dispenser de l’aller chercher ailleurs.

Du courageux livre de Victor Marguerite, Au Bord du Gouffre, au chapitre X, intitulé : « La journée du 20 Août », les lignes suivantes sont à leur place ici :

« Devant la ligne des crêtes — où les préparatifs de l’état-major allemand vont coucher tant de nos héros — une épaisse et belle nuit, toute balayée par les projections ennemies, enveloppe cette armée dont deux corps déjà sont en état d’infériorité, et dont le troisième, inconscient du péril, brûle toujours de foncer… Émouvante veillée des armes !

« Certes, le général de Castelnau connaissait, par ses rares avions, l’existence de ces positions défensives où le courage de ses troupes allait être immolé, dans le plus stérile et le plus sanglant holocauste. Mais rien ne l’avait pu renseigner sur leur véritable force, pas plus que sur les intentions de l’ennemi. Était-on toujours en présence de ses arrière-gardes couvrant une retraite, ou bien de ses gros bataillons ? On ne savait. Et, bien que l’on penchât pour la première hypothèse, comme l’on ne redoutait pas la seconde, il n’y avait plus — fort que nous étions du préjugé offensif — qu’un moyen de se rendre compte : aller voir ! Et on y alla… Il fallait bien, au demeurant, assurer enfin, aussitôt que possible, le débouché du 16e corps, au nord des étangs et des bois.

Ordre donc à celui-ci, ainsi qu’au 15e, d’attaquer de front, simultanément, et de poursuivre le combat jusqu’au rejet de l’ennemi au-delà de la ligne ferrée de Sarrebourg à Metz, modestement devenue le véritable objectif de la 2e armée. Le 20e, lui, resserrant sa liaison avec le 15e, devra marquer le pas, prêt, soit à