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OLI
1841

dîme et les redevances de toute nature, croupissait dans la crasse intellectuelle, morale et matérielle ; de nos jours et de plus en plus, le travailleur dont l’effort pouvait être atténué et la peine diminuée par la machine qui aurait dû être sa collaboratrice, son auxiliaire, est graduellement devenu l’esclave d’un machinisme de plus en plus exigeant et tyrannique. Chaque jour davantage, la rationalisation, le travail à la chaîne l’incorporent à l’outillage mécanique avec lequel et au rythme duquel il fonctionne, dont il n’est plus qu’un rouage condamné à suivre le mouvement général. Je n’insiste pas. Aux mots production, rationalisation, travail, etc., on trouvera, sur ce sujet spécial, des renseignements plus amples et plus précis. Qu’il me suffise d’ajouter que le prolétaire doit travailler chaque jour durant de longues heures, sous l’œil d’un surveillant sévère, à côté de camarades qui souvent ne sympathisent pas avec lui, faire aujourd’hui ce qu’il a fait hier, ce qu’il fera demain ; et ne pas perdre un instant s’il veut tirer de sa journée un salaire normal.

Je sais bien que ceux qui vivent de leurs rentes ne cessent de glorifier le travail, que les bons livres le célèbrent à l’envi, que l’art l’apothéose, que le théâtre fait du travailleur le personnage sympathique, que le roman le comble d’honneurs, de récompenses et de réussites. Mais la vie donne chaque jour un formidable démenti à ces triomphes fictifs, à ces hommages mensongers, à ces hypocrites ovations.

Et le coup de chapeau des uns, l’attitude respectueuse des autres, l’admiration naïve de celles-ci, le sourire engageant de celles-là, prouvent à tous que l’oisiveté élégante est vue d’un œil plus favorable que le travail râpé.

Ainsi : richesse, plaisir, considération, voilà le lot de la classe oisive ; pauvreté, peine, fatigue, danger, mépris, tel est celui de la classe productive. Ceux qui ont la chance d’appartenir à la première n’ont qu’un souci : s’y consolider ; les autres n’éprouvent qu’un désir : s’y faire une place. Les premiers n’aiment pas le travail ; les seconds voudraient pouvoir rompre avec lui.

L’oisiveté est comme une jolie courtisane qui sourit à ses favoris et leur prodigue ses captivantes caresses ; le travail est comme une horrible mégère qui, pour sourires, n’a que de hideuses grimaces et pour baisers de cruelles morsures.

C’est à qui fuira celle-ci, à qui suivra celle-là.

Qui peut s’en étonner ? A qui la faute ? — Sébastien Faure.


OLIGARCHIE n. f. (du grec oligos, peu nombreux, et arché, commandement). Oligarchie, d’après son étymologie, signifie gouvernement d’un petit nombre. Nous allons voir que depuis que l’humanité primitive a cessé de vivre à l’état de horde (communisme inorganique), hypothétique d’ailleurs, mais dont le spectacle des clans peu différenciés de certaines peuplades arriérées fait admettre la vraisemblance ; depuis ces temps reculés, l’oligarchie est le régime sous lequel les peuples ont toujours vécu. Les formes de ce régime ont varié, ainsi que les noms dont on le désignait, car le petit nombre, détenteur du pouvoir, a allégué tour à tour divers motifs pour justifier son privilège et en dissimuler l’essence.

Dans l’antiquité, Aristote écrivait : « Le gouvernement d’un seul, basé sur l’avantage de tous, s’appelle royauté. Celui de plusieurs, quel qu’en soit le nombre, pourvu qu’il ne soit pas réduit à un seul, s’appelle aristocratie, c’est-à-dire gouvernement des meilleurs, ou gouvernement qui a pour but le bien souverain de l’État et des citoyens. Celui du grand nombre, lorsqu’il est institué pour l’utilité de tous, prend le nom générique des gouvernements et s’appelle république. Trois gouvernements corrompus correspondent à ceux-ci : la

tyrannie, l’oligarchie et la démocratie, qui sont la dégradation de la royauté, de l’aristocratie et de la république.

« En effet, la tyrannie est le pouvoir d’un seul qui rapporte tout à lui. L’oligarchie est la suprématie de quelques-uns à l’avantage des riches. La démocratie est l’autorité suprême de la multitude, au profit des pauvres. Or, aucun de ces gouvernements ne s’occupe de l’intérêt général. »

Cette opinion est un jugement a posteriori, que la postérité porte sur ceux qui ont gouverné. Mais, tant qu’ils durent, les gouvernements, quels qu’ils soient, prétendent servir l’intérêt commun qu’ils identifient avec leur propre intérêt. Une oligarchie veut être une aristocratie, être le groupement des meilleurs, des plus aptes à diriger l’État. Naissance, fortune, valeur guerrière sont précisément le témoignage de leur capacité. Une systématisation de ce genre est d’ailleurs bien artificielle ; un tyran même partage, quoi qu’il en pense, le pouvoir avec des agents, avec une cour ; et la multitude ne s’exprime et n’agit que par la voix et l’impulsion de dirigeants qui l’ont suggestionnée. Ce qui montre bien le caractère illusoire d’une semblable classification, c’est le nombre et la diversité de celles qui lui ont été substituées.

Montesquieu distingue trois formes principales de gouvernement. Ce sont : 1° le gouvernement républicain qui est ou démocratique ou aristocratique ; 2° le gouvernement monarchique ; 3° le gouvernement despotique. Le gouvernement républicain « est celui où le peuple en corps ou seulement une partie du peuple a la souveraine puissance ». Il conçoit donc une République aristocratique qui exige de ceux qui détiennent le pouvoir « une grande vertu qui fait que les nobles se trouvent, en quelque façon, égaux à leur peuple ». Il donne comme exemple la République de Venise, où le Conseil des Dix contrôle les nobles et tempère leurs excès. Mais n’est-il pas évident qu’il s’agit là d’une oligarchie dont les diverses factions se surveillent jalousement ?

Rousseau fait, en principe, la différence entre la puissance législative qui, dit-il, n’appartient qu’au peuple et la puissance exécutive ou gouvernement. Il énumère trois formes de cette dernière puissance : dépôt du gouvernement à tout le peuple ou à la plus grande partie du peuple, c’est la démocratie ; abandon aux mains d’un seul, c’est la monarchie ; remise aux mains d’un petit nombre, c’est l’aristocratie. Il écrit, et cela est exact dans une certaine mesure : « Les premières sociétés se gouvernèrent aristocratiquement. Les chefs de familles délibéraient entre eux des affaires publiques. Les jeunes cédaient sans peine à l’autorité de l’expérience… Mais à mesure que l’inégalité d’institution l’emporta sur l’inégalité naturelle, la richesse ou la puissance fut préférée à l’âge et l’aristocratie devint élective », héréditaire. Dans une aristocratie, « une égalité rigoureuse serait déplacée… Au reste, si cette forme comporte une certaine inégalité de fortune, c’est bien pour qu’en général l’administration des affaires publiques soit confiée à ceux qui peuvent le mieux y donner leur temps, mais non pas, comme le prétend Aristote, pour que la richesse soit toujours préférée. Au contraire, il importe qu’un choix opposé apprenne quelquefois au peuple qu’il y a dans le mérite des hommes, des raisons plus importantes que la richesse. » Peut-être ; mais ceux auxquels la richesse confère la puissance ne manquent pas, nous l’avons dit, de s’attribuer la supériorité du mérite.

Proudhon, à son tour, a cédé au désir de systématisation. Il oppose, d’une part : deux régimes d’autorité, caractérisés par l’indivision du pouvoir, gouvernement de tous par un seul, monarchie, gouvernement de tous par tous, communisme. D’autre part : deux régimes de liberté, caractérisés par la division du pouvoir, gou-