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OMN
1843

demeure uniforme, les facultés manifestées sont sensiblement les mêmes chez tous les membres du groupe, les écarts sont quantitatifs plutôt que qualitatifs. Ainsi en était-il dans les cantons ruraux que Rousseau donne en exemple. Alors on pouvait concevoir une élite dégagée par des procédés divers : hérédité, fortune, élection.

Aujourd’hui, en raison de l’hétérogénéité du milieu, les activités, et par suite les aptitudes révélées, sont infiniment variées, réparties en catégories spécialisées, dont un nombre restreint s’ouvre devant chaque individu qui ne saurait exceller dans toutes ; la coordination de ces catégories forme elle-même des spécialités exigeant des qualités techniques, administratives, intuitives. Les caractères individuels ont donc subi d’importantes différenciations ; il ne peut plus y avoir une élite, mais seulement des élites professionnelles. Et ces élites ne sauraient constituer une oligarchie, car dans les groupes distingués par les aptitudes de leurs membres, préalablement constatées, il ne saurait plus y avoir les écarts admis dans l’ensemble de la société politique, écarts grossis démesurément par le préjugé de la primauté des professions particulièrement honorées. Il peut y avoir seulement supériorité d’habileté professionnelle, effet d’une plus longue expérience, supériorité qui, comme le disait Rousseau, est facilement tolérée, mais à la condition que son domaine soit légitimement défini et ne déborde pas le cadre de la profession. D’autre part, un groupe n’ayant de raison d’être que dans un ensemble organique, ceux qui y occupent le premier rang ne sauraient s’exagérer leur importance, se laisser gagner par un orgueil excessif. Il peut y avoir conscience d’un mérite personnel d’une part, acceptation de conseils, de direction, d’administration, de l’autre, sans qu’une aristocratie se constitue et se maintienne. Le fédéralisme professionnel et civique ou communal sera la fin du règne des oligarchies. — G. Goujon.


OMNIPOTENCE n. f. omnis, tout, potentia, puissance. Omnipotence est synonyme de puissance absolue, de toute-puissance. C’est un des attributs que l’on prête à Dieu, comme on lui prête toutes sortes d’autres qualités, sous prétexte qu’il est parfait. De cela on n’apporte aucune preuve. S’il existait un Dieu et s’il était tout-puissant, on pourrait dire qu’il est le pire des despotes ; ce n’est pas aux adorations du genre humain, mais à ses malédictions qu’il aurait droit. « Une nature qui jette le faible en pâture au fort, et ne prodigue les germes que pour multiplier les victimes, ne saurait avoir qu’un monstre pour auteur. Or, cette sanglante harmonie, cette finalité cruelle seraient celles de notre univers, si l’on voulait, à tout prix, qu’un artisan habile en soit l’organisateur. » C’est à la confusion du créateur que tourne la preuve de l’existence de Dieu par les causes finales, si souvent servie aux fidèles par les prédicateurs. Son omnipotence démontrerait qu’il est le Dieu mauvais, l’esprit néfaste et méchant que les disciples de Zoorastre opposaient au Dieu lumineux et bon. On ne s’étonnera pas que des philosophes croyants, tels que W. James, se refusent à placer la toute-puissance parmi les attributs divins. Mais les prêtres et les philosophes crurent, autrefois, qu’ils rendraient le créateur, plus redoutable et plus sympathique, tout ensemble, s’ils le gratifiaient de qualités contradictoires. La naïveté des anciens rendait le procédé efficace et sans inconvénient. Les modernes plus réfléchis ne comprennent pas que Dieu use de sa toute-puissance pour les faire souffrir. De certains chefs d’État on dit, comme du créateur, qu’ils sont omnipotents. On signifie par là que leur pouvoir est absolu, qu’ils règnent en maîtres souverains dans le pays qu’ils commandent. C’était le cas de Louis XIV et de la majorité des rois, au xviie siècle ; avant la guerre c’était le cas du tzar de Russie. Aujourd’hui les monarques abso-

lus ont disparu, pour faire place à des présidents de République, ou à des rois constitutionnels. Des dictatures, surgies çà et là, continuent cependant à nous renseigner sur l’effroyable tyrannie que les masses acceptent parfois de subir. L’orgueil et l’ambition des potentats, hissés sur le pavois, deviennent, en général prodigieux. « Papes, rois, dictateurs, même d’obscurs ministres arrivent à se prendre pour des demi-dieux. Car, pour satisfaire leurs plus vils caprices, des valets s’offrent ; ils ne rencontrent que flatteurs à l’échine souple ; on les acclame en public, on les supplie dans l’intimité avec les mots qu’emploie la dévote pour attendrir les habitants des cieux. S’ils digèrent mal, l’univers s’affole, il est aux anges s’ils ont copieusement banqueté ; du moins la presse l’affirme, cette presse tapageuse qui ne découvre en eux que mérites et vertus. Pour ne point éprouver le vertige, leur cerveau devrait avoir la dureté du fer, tant les a perchés haut la sottise populaire. » (Vouloir et Destin). À ces fantoches on attribue l’honneur des travaux qu’exécutent leurs esprits. Pourtant c’est à la servilité des peuples, et à elle seule, qu’ils doivent une prééminence que la nature ne justifiait pas.


OMNISCIENCE n. f. (du latin omnis, tout, et scientia, science). D’après les théologiens et les philosophes qui sont à leur remorque, l’omniscience serait un attribut de Dieu lui permettant de tout connaître : présent, passé, futur. Impossible, en effet, d’admettre que Dieu soit parfait si ses connaissances peuvent s’accroître au cours des temps ; car son intelligence, discursive comme celle de l’homme, serait capable de plus et de moins, elle serait perfectible, ce qui ne peut être le propre que d’un esprit fini, limité, soumis aux contingences du devenir. Et comme, par définition, Dieu est l’être que rien ne borne dans l’espace ni le temps, dont la connaissance est parfaite comme ses autres qualités, il faut admettre qu’il connaît l’avenir aussi clairement que le passé. La Bible nous montre une multitude de farceurs qui s’intitulent prophètes et dont les prédictions restent assez vagues, assez équivoques pour que, avec un peu de bonne volonté, et quelques coups de pouce au texte, les prêtres puissent toujours prétendre qu’elles sont accomplies. Il serait inutile d’insister sur l’omniscience d’un Dieu inexistant, si cet attribut ne contenait en lui-même une contradiction capable de nous édifier sur la vanité des spéculations théologiques. Les mêmes qui affirment que Dieu connaît l’avenir prétendent aussi que l’homme est libre. Or si l’homme est libre, s’il peut accomplir ou non telle action, s’il peut faire ou ne pas faire ce qui lui convient, comment admettre que Dieu connaisse une conduite encore non déterminée, une action dont la réalisation dépend du bon vouloir humain. Dieu sait, paraît-il, qui doit aller au ciel, qui doit aller en enfer, et cela de toute éternité. Il sait, de plus, pour quelle faute librement accomplie, un tel doit rôtir à jamais, pour quelle bonne action un autre doit se pâmer sans fin au ciel. Et, malgré cela, le malheureux destiné à l’enfer, le saint qui ira dans le paradis, ce que Dieu sait de toute éternité, restent libres, absolument libres d’accomplir le péché qui doit damner le premier, la pénitence ou l’aumône au clergé qui sauvera le second, toujours d’après l’infaillible prescience du tout-puissant. Contradiction si insoluble que les théologiens et les philosophes spiritualistes ont renoncé à la résoudre et même à l’expliquer en déclarant qu’il s’agit là d’un mystère inaccessible à la faible raison humaine et qu’il faut croire sans chercher à comprendre. Moyen singulièrement commode d’en imposer à la sottise populaire, mais dont l’homme réfléchi ne peut que sourire.

On a parfois employé le terme omniscience pour désigner une connaissance très étendue qui embrasse l’ensemble du savoir humain. C’est ainsi que, à la Renais-