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ONT
1848

« La critique de ses camarades avait, évidemment, produit une grande impression sur lui. »

Ces franches — sinon indiscrètes — explications ne semblent pas avoir provoqué de mauvais sentiments chez les membres de la communauté. Les réunions de critique mutuelle tenaient lieu de tribunal, de conseil, de régulateur, de stimulant, de redressement de la ligne de conduite individuelle et collective. L’histoire d’Onéida ne relate aucune discorde ; et la plus parfaite harmonie régna en tout temps ; un membre seulement fut expulsé durant les 30 ans que dura la colonie.

Les réunions quotidiennes du soir ne duraient pas plus d’une heure, mais étaient régulièrement tenues. On y discutait affaires, administration, nouvelles du jour, bref, tout ce qui était d’intérêt général.



Comment peut-on expliquer la chute d’une colonie si prospère que son actif en 1881 — deux ans après sa dissolution en tant que colonie communiste — pouvait être évalué à 600.000 dollars (quinze millions de francs) ?

Ce fut d’abord à la suite d’une violente campagne menée par l’opinion publique, attisée par le clergé et les organes puritains, contre le « mariage complexe ». Les puritains prétendaient qu’en dépit de toutes les assertions contraires, Onéida était l’asile du vice et la concentration de l’orgueil. Les journalistes s’en mêlèrent.

D’autre part, les enfants nés dans la colonie et parvenus à l’âge adulte n’avaient plus ni la foi, ni l’enthousiasme de leurs parents, les pionniers de la colonie. Comme les Mormons, les Perfectionnistes durent céder. Ils abandonnèrent le mariage complexe le 26 août 1879. Jusqu’au 31 décembre de cette année-là, il y eut vingt mariages. Il resta à peine une demi-douzaine de célibataires.

Ce fut le signal de la dissolution d’Onéida en tant que société communiste. Noyes lui-même, accompagné de quelques adeptes fervents, partit pour le Canada, où il mourut en 1886 et le reste de la communauté s’organisa en société à capital limité, sous le nom de Onéida Community Limited (en 1880).

On attribua à chaque membre de la communauté, sans égard au sexe, ni à l’âge, ni aux services rendus, 4 actions se montant à autant de fois 100 dollars (2.500 francs) que le colon avait passé de temps dans la colonie. On remboursa en actions la moitié du capital apporté par les colons à leur entrée dans le milieu. On garantit aux enfants qui se trouvaient dans le domaine de la colonie, de 80 à 120 dollars par an, selon que le permettraient les bénéfices et huit mois de scolarité jusqu’à seize ans. L’entreprise devint très prospère, 80 % des parts restant aux mains des descendants des fondateurs de la colonie et des auxiliaires employés par la société durant de longues années.

D’après une lettre signée du secrétaire J.-H. Noyes, appartenant probablement à la famille du créateur d’Onéida, au 31 janvier 1924, l’actif de la société qui avait succédé à la communauté d’Onéida, s’élevait à près de 8 millions de dollars (soit 200.000.000 de francs). Les industries ont été naturellement conservées. Pendant longtemps, une bibliothèque commune, une salle de lecture, une blanchisserie et les pelouses furent les seules traces de l’ancien régime communiste. D’après M. Ch. Cide, en 1917, les restes d’Onéida avaient été transportés à Sherrill, à 400 kilomètres à l’est. La lettre précitée de M. J.-H. Noyes ne porte pas d’indication de lieu. — E. Armand.

Bibliographie. — J.-H. Noyes : History of American Socialisms, Philadelphia and London, 1870 ; Ch. Nordhoff : The Communistic Societies of the United States, New-York, 1875. — William Alfred Hind : American

Communities, Chicago, 1902. — Morris Hillquit : History of Socialism in the United States, New-York, 1903 ; Communities of the Past and Present, The Llano Cooperative Colony, 1924.


ONTOLOGIE n. f. (du grec ôn, ontos, ce qui existe, et logos, discours). Pour beaucoup, ontologie et métaphysique sont deux termes synonymes. Aristote définissait la métaphysique : « la science de l’être en tant qu’être » ; or l’ontologie c’est aussi la science de l’être. Cosmologie, psychologie, théologie rationnelles ne seraient alors que des chapitres particuliers de l’ontologie. D’autres en font seulement une introduction à la métaphysique, sa première partie ; elle s’opposerait à la métaphysique spéciale qui traite du monde, de l’âme, de dieu, et constituerait la métaphysique générale qui étudie l’être et ses qualités, indépendamment de leurs réalisations particulières. Dans les deux cas, la parenté reste essentielle entre la métaphysique et l’ontologie : la seconde s’identifie avec la première, au moins partiellement. Or les philosophes ont fait, jusqu’à présent, fausse route en ce qui concerne la métaphysique, à mon avis du moins.

Toutes les doctrines métaphysiques élaborées jusqu’à présent, celle de Platon comme celles de Descartes, de Leibnitz ou de Spinoza, pour ne citer que quelques très grands noms, sont absolument dénuées de valeur. Ce sont des jeux d’esprit, des écheveaux d’idées que l’on enroule avec plus ou moins de logique et d’art. Rien d’objectif dans ces systèmes qui dépendent pour une large part de l’imagination, du tempérament physique, des aspirations mentales du constructeur. Ne nous étonnons pas qu’ils croulent lamentablement, dès qu’on les considère sous l’angle non du beau, mais du vrai. De la métaphysique, simple collection de chimères et de vains rêves, on ne saurait dire trop de mal ; sa valeur est d’ordre littéraire et subjectif, alors qu’elle prétend nous renseigner, de façon effective, sur ce qui existe hors de nous. Mais Kant et les Positivistes se trompent singulièrement lorsqu’ils prétendent qu’aucune solution certaine ne pourra jamais être apportée aux problèmes posés par la métaphysique. Incapables de saisir autre chose que des apparences, d’après le philosophe de Kœnigsberg, nous ne pouvons atteindre la réalité dans sa nature propre. Nos impressions sensibles, base de toutes nos connaissances, sont ordonnées dans l’espace et le temps, formes a priori que l’esprit impose aux choses ; elles ne ressemblent pas aux excitants extérieurs qui les provoquent. De plus elles sont organisées en objets, associées par le jugement, d’après les catégories de l’entendement qui répondent, non à la réalité, mais à nos besoins intellectuels. Il est vain de chercher à savoir ce que sont les choses en elles-mêmes ; dès qu’il veut résoudre les problèmes concernant dieu, l’âme et le monde, l’esprit tombe dans d’insolubles contradictions. Ajoutons qu’après avoir déclaré la métaphysique impossible, au nom de la Raison Pure, Kant la rétablira au nom de la Raison Pratique. Pour d’autres motifs, les positivistes estiment, eux aussi, qu’on ne saurait élucider les problèmes transcendants de l’origine première et de la fin suprême. La métaphysique, dira Littré, est un océan pour lequel nous n’avons ni barque ni voile ; c’est l’inconnaissable, le domaine des problèmes à jamais insolubles. Un seul objet est accessible à l’homme, la nature telle qu’elle apparaît à nos sens, avec les lois qui la régissent. Ajoutons que si de nombreux positivistes rejettent l’idée de dieu comme antiscientifique, d’autres la considèrent seulement comme extrascientifique, c’est-à-dire placée en dehors des limites de la science : en conséquence ils ne la défendent, ni ne l’attaquent, ils se déclarent neutres. Quelques-uns même, peu sérieux il est vrai, admirent que la foi parvenait à explorer l’au-delà fermé à l’expérience ; ils proclamèrent que la science ne sau-