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1850

virent en faveur de ce système. Pourtant Rome finit par le condamner, non à cause des absurdités qu’il contient, mais parce qu’elle le jugeait contraire au dogme. De pareilles doctrines tiennent du roman ; elles ne méritent pas d’être prises au sérieux. Mais ceci est vrai de l’ensemble des théories métaphysiques ; elles sont filles de l’imagination et du caprice, ainsi que nous l’avons dit au début de cet article. — L. Barbedette.


OPPORTUNISME — Ce mot est un néologisme formé de opportun (qui est à propos), et de la terminaison isme qui indique généralement, le plus souvent dans un sens péjoratif, que l’idée à laquelle elle est jointe est érigée en système.

Opportunisme est né sous la IIIe République ; son origine est politique. Il a, semble-t-il, été employé pour la première fois dans les colonnes des Droits de l’Homme, quand ce journal protesta contre les républicains qui, d’abord en 1871, acceptèrent de préparer la Constitution avec les royalistes, et ensuite, en 1875, laissèrent voter par l’Assemblée de l’Ordre moral cette Constitution monarchique depuis en vigueur. Un mois après l’application de la dite Constitution, en février 1876, les élections législatives qui envoyèrent à la Chambre 360 républicains contre 170 monarchistes, prouvèrent la volonté républicaine du pays ; mais le tour était joué et le peuple roulé une fois de plus. On appela alors opportunisme le parti de ceux qui avaient ainsi adapté leurs principes aux circonstances, puis abandonneraient ces principes et enfin les combattraient, Ce parti fut celui de Gambetta et de ses amis qui avaient fait la République si belle lorsque, en 1869, ils lui avaient donné le programme de Belleville. Six ans leur avaient suffi pour qu’ils laissassent étrangler cette République dans son principe. Lorsqu’ils prirent le pouvoir, en 1879, ils continuèrent contre leur programme leur politique de capitulation et de régression anti-républicaines. De leur propre gré, ils se « soumirent » à la réaction qu’ils avaient fait se « démettre », et ne défendirent plus qu’une étiquette. Les conventions des chemins de fer avec les compagnies, les emprunts pour combler les déficits budgétaires et les expéditions coloniales inaugurées par Jules Ferry appelé alors « le Tonkinois », marquèrent particulièrement leur politique. On en peut mesurer, aujourd’hui, toutes les conséquences anti-humaines et anti-sociales.

Il n’est pas sans intérêt de rappeler ce qu’était ce programme du « parti républicain radical » de 1869, pour juger, par son rapprochement avec la situation actuelle, de la lamentable faillite à laquelle l’opportunisme a conduit la République, en trahissant la volonté et les intérêts populaires, et en faisant de la représentation nationale la domesticité de plus en plus corrompue de la ploutocratie impérialiste à laquelle il livrait le pays. Ce programme était le suivant :

1° Application la plus radicale du suffrage universel pour l’élection des conseillers municipaux et députés ;

2° Liberté individuelle ;

3° Liberté de la presse, de réunion, d’association, et le jury pour tous les délits politiques ;

4° Instruction primaire, laïque, obligatoire, et concours pour l’admission aux cours supérieurs ;

5° Séparation de l’Église et de l’État ;

6° Suppression des armées permanentes ;

7° Modification du système d’impôt ;

8° Élection et responsabilité directe de tous les fonctionnaires.

Il n’est pas un article de ce programme qui n’ait été « opportunément » corrigé ou oublié pendant les soixante années de République qui se sont succédées. Seuls les articles sur l’instruction primaire et la séparation de l’Église et de l’État ont été l’objet de réalisations, mais tellement amendées qu’il ne leur est plus rien

resté de républicain, encore moins de radical. Elles sont, en ce qui concerne l’instruction, au-dessous de ce qu’ont fait la plupart des autres États, même monarchiques. Quant à la séparation de l’Église et de l’État, après avoir soulevé contre l’Église les foudres « combistes » et « briandistes », plus bruyantes que réelles, on en a fait une collaboration hypocrite et clandestine pire que celle, nettement déclarée, de la République des capucins de 1848. Mais les traits les plus caractéristiques de l’opportunisme ont toujours été la duplicité dans l’action, la lâcheté devant les responsabilités. Faut-il dire combien les réalisations républicaines sont encore plus inexistantes en ce qui concerne les autres articles du programme républicain-radical : liberté individuelle, liberté de la presse, de réunion, d’association, élection et responsabilité des fonctionnaires, suppression des armées permanentes, etc… ?… La France, qui arrive au vingtième rang des États européens dans l’organisation de l’Instruction publique, a, par contre, la plus « belle » armée du monde. Ceci ne compense pas cela, au contraire, il l’aggrave et il fait mieux comprendre les résultats de la banqueroute républicaine : la dictature policière prenant de plus en plus les formes du fascisme, les « lois scélérates » de plus en plus scélératement appliquées, les dépenses militaristes absorbant le tiers du budget et toujours en augmentation.

L’opportunisme, s’étalant avec une insolence et un cynisme toujours accrus, est devenu de plus en plus la méthode d’une « République de camarades » qui ont rétabli, à leur profit, tous les abus parasitaires des anciens régimes et relégué, dans la vaseuse et débordante blagologie électorale et parlementaire aussi mystificatrice que celle des prêtres, les transformations sociales promises. Discrédité en principe, mais non en fait, par tous les scandales qu’il a provoqués, l’opportunisme a cessé d’exister comme parti politique, mais il a continué comme méthode chez tous ceux de droite ou de gauche qui n’ont cessé de participer à la curée. Il est devenu ainsi le progressisme des radicaux adaptés, puis il a pris toutes les nuances caméléonesques qui vont du radicalisme jusqu’au socialisme révolutionnaire. Il a tellement donné de gages de sa carence républicaine qu’aujourd’hui la République n’effraie plus personne. Tout le monde est républicain et nul ne parle plus d’étrangler « la Gueuse », sauf, par snobisme, ceux qui en vivent le mieux et pour qui elle est le plus complaisante. L’opportunisme est maintenant le collaborationnisme des socialistes de gouvernement qui ont, depuis la guerre de 1914, répudié la fraternisation de tous les prolétaires, la lutte de classe et la révolution, ce qui ne les empêche pas de parler toujours au nom de l’Internationale Ouvrière comme les radicaux parlent toujours au nom de la République (voir Politicien).

Si le mot : opportunisme est relativement nouveau, la chose est vieille comme le monde. De tout temps elle a prétendu se justifier en disant : « L’imbécile est celui qui ne change jamais. » Cette sentence est d’un lamentable effet quand elle tombe des lèvres d’un révolutionnaire périmé, d’un de ces anciens traîne-savates devenus les Lechat du régime et qui composent aujourd’hui « l’aristocratie républicaine ». Mais elle est d’un cynisme plus franc, moins répugnant que celui des tartufes, anciens « gréviculteurs » devenus ministres, qui viennent déclarer, la main sur le cœur, aux applaudissements de la claque parlementaire, qu’ils n’ont « jamais changé !… » Certes, un changement d’opinion est honorable quand il est le résultat de l’étude, de l’observation, du progrès de la pensée, d’un scrupule de conscience et de la volonté d’un emploi plus généreux des connaissances et de l’activité. Il ne l’est pas du tout lorsqu’il n’est guidé que par l’intérêt personnel et l’ambition politicienne. La casuistique qui cherche à justifier ce mode d’intelligence ne mérite que le mépris, qu’elle soit révolutionnaire ou réactionnaire, laïque ou