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blée ; les moins lettrés ne sont ni forcément, ni toujours, les moins intelligents ; mais leur instruction simplement primaire impose à l’orateur qui ambitionne de les convaincre tous et de tous les toucher, la simplicité dont je viens de parler. Et quelle joie pour l’orateur, lorsqu’il peut se rendre ce témoignage qu’il a parlé de façon à se faire comprendre par tous, sans exception, et qu’il y a réussi !

« Après la causerie ou la conférence, il y a la discussion ouverte, la contradiction. Mes jeunes camarades, n’en soyez pas autrement émus, ni troublés : pour un anarchiste, la contradiction est le terrain qui lui est le plus favorable, sur lequel il se meut avec le plus d’aisance et de sécurité, où il se sent et positivement est le plus fort. L’essentiel est qu’il ait profondément étudié son sujet, qu’il n’en ait négligé aucun aspect, qu’il l’ait tourné et retourné dans tous les sens, en un mot, qu’il le possède totalement. Dans ce cas, il peut être sans inquiétude : aucune attaque ne le surprendra et, quelles que soient l’attitude et l’éloquence de l’adversaire, sa réplique sera prête et il n’aura pas grand peine à le réfuter et à l’abattre. L’orateur libertaire n’a qu’à se camper solidement sur les principes fondamentaux de l’Anarchisme ; il n’a qu’à ramener obstinément le débat dans le cadre du sujet traité ; et la comparaison, mieux encore : l’opposition établie entre la thèse du contradicteur quelle que soit cette thèse et quel que soit le contradicteur, suffira à faire éclater devant tout auditeur impartial et consciencieux, la supériorité de l’idéologie et de la tactique libertaires.

« Pour vous, mes jeunes compagnons, je n’appréhende que deux écueils : le découragement et la présomption : attendez-vous à des débuts difficiles. J’ai connu, il y a quelque quarante-cinq ans, la tristesse des salles à peu près vides ; j’ai vu les organisateurs de mes premières tournées de propagande s’indigner de l’indifférence dans laquelle se complaisait la population de leur localité. J’ai subi les calomnies méchantes des uns et les insinuations perfides des autres. Conspiration du silence, railleries, sarcasmes, attaques grossières des feuilles locales, malveillance et hostilité parfois brutales, des partis politiques et de leurs adhérents, rien ne m’a été épargné. Les vieux d’il y a quarante ans, qui sont encore de ce monde, en ont gardé le souvenir ; ils se rappellent qu’eux-mêmes n’étaient pas ménagés et c’était autrement pénible pour eux qui restaient que pour moi qui n’étais que de passage. Vous ne serez pas à l’abri de ces épreuves et vous vivrez plus d’une fois des heures de découragement. Ne vous laissez pas abattre par ces difficultés. Réagissez et persévérez.

« Le second écueil que je vous signale et contre lequel je vous mets en garde, c’est la présomption que pourraient susciter en vous vos premiers succès. Cette présomption vous porterait à concevoir de vous-mêmes, de votre savoir et de votre talent, une opinion trop flatteuse. Alors, persuadés que, d’une part, vous avez acquis un bagage suffisant de connaissances et que vous n’avez plus besoin d’apprendre davantage ; que, d’autre part, vous avez fait dans l’art de parler en public tous les progrès désirables et que vous avez atteint un niveau qu’il n’est pas nécessaire de dépasser, vous ne travailleriez plus à l’acquisition d’un savoir plus étendu et plus profond ; vous n’éprouveriez plus le besoin de vous perfectionner dans l’art oratoire et, vous reposant sur vos lauriers, vous glisseriez insensiblement sur la pente de la paresse, sans vous douter que l’inactivité intellectuelle entraîne un dépérissement graduel des facultés cérébrales.

« Tels sont, mes jeunes et chers camarades, les deux écueils sur lesquels, par avance, j’attire votre attention. Une chose vous en préservera : l’ardeur et la fermeté de vos convictions. Vous puiserez dans votre indé-

fectible attachement aux convictions qui vous animent cette persévérance dans l’effort de propagande que vous avez la résolution d’accomplir qui, aux heures les plus difficiles, vous réconfortera et vous sauvera de toute défaillance. Et la flamme apostolique que vous portez en vous vous poussera à étendre encore et toujours le domaine de vos connaissances et à cultiver sans cesse vos dons oratoires, afin de servir, aujourd’hui mieux qu’hier et demain mieux qu’aujourd’hui, la Cause que vous avez délibérément embrassée !

« À cette Cause, la plus juste, la plus généreuse, la plus humaine de toutes, donnez-vous pleinement, mes chers compagnons ; et ce don total de vous-mêmes vous fera éviter ce double écueil : la présomption et le découragement. » — Sébastien Faure.


ORDRE n. m. (du latin ordo, même signification). Le mot Ordre donne lieu à de multiples définitions ; il reçoit quantité d’acceptions ; il entre dans une foule de locutions et y est pris comme comportant des significations fort nombreuses. On trouvera la longue énumération de ces locutions dans toutes les Encyclopédies (Larousse, Bescherelle, La Châtre, Littré, Trousset, etc., etc..).

Au point de vue général, le mot « Ordre » correspond à l’idée d’arrangement, de disposition, de rapport, de régularité, d’équilibre, d’harmonie entre les diverses parties d’un tout. C’est ainsi que ce qu’on appelle l’ordre dans l’univers, c’est le rapport constant de tous les corps qui gravitent dans l’espace incommensurable et plus spécialement, parce qu’il nous est plus connu, au sein du système solaire auquel appartient notre globe terraqué. La somme des observations et constatations qui, dans la lenteur des siècles, ont été faites et nous ont été transmises par les hommes de science, a insensiblement amené l’homme à découvrir le merveilleux mécanisme qui détermine les rapports existants entre les innombrables parties du Cosmos et assure ce qu’on est convenu d’appeler « l’Ordre » dans la nature. Cet ordre est un fait ; il est aussi une nécessité, (voir ce mot), puisqu’il est à l’origine de tout ce qui est et puisque ce qui est ne peut pas plus ne pas être qu’être autrement.

C’est ainsi, également, que, entre les diverses parties du corps humain, il y a un ordre établi : ordre résultant des rapports constants qui relient au phénomène de la Vie les multiples parties de ce corps, ordre qui règle les fonctions et attrïbutions de chaque organe, ordre qui exige la satisfaction de tous les besoins inhérents à l’agencement même de ces organes, ordre qui atteste les règles d’interdépendance et les relations de solidarité, dont l’observation concorde au maintien de la vie et dont la violation conduit, brusquement ou dans un laps de temps plus ou moins long, mais inévitablement, à la mort.

Dans cette Encyclopédie anarchiste, j’entends n’étudier le mot « Ordre » et les idées qu’il renferme qu’au point de vue social.

Dans la société humaine, comme dans la nature et dans le corps humain, l’idée d’ « ordre » implique celle d’arrangement, de disposition, de rapport, de régularité, d’équilibre, d’harmonie entre les unités qui constituent les diverses parties du corps social. Si, pour désigner la société, on se sert fréquemment de cette expression : « le corps social », c’est parce que, entre la constitution de l’individu et celle de la société qui n’est, somme toute, que le total des individus qui la composent, il existe, sans qu’il y ait identité, une analogie profonde et saisissante.

L’Ordre — il faut entendre par là, cet arrangement, cette disposition, cet état d’équilibre et d’harmonie qui résulte des rapports établis entre toutes les personnes qui composent le corps social — cet Ordre, dis-je, est aussi indispensable à la vie du corps social qu’à la vie du corps humain et toute dérogation aux règles établies