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ORD
1867

ses enfants ; c’est l’enfant réduit à être enfermé dans une fabrique ou à mourir d’inanition. C’est le fantôme de l’ouvrier insurgé aux portes du riche, le fantôme du peuple insurgé aux portes des gouvernants.

« L’Ordre, c’est une minorité infime élevée dans les chaires gouvernementales, qui s’impose pour cette raison à la majorité et qui dresse ses enfants pour occuper plus tard les mêmes fonctions, afin de maintenir les mêmes privilèges par la ruse, la corruption, la force, le massacre.

« L’Ordre, c’est la Guerre continuelle d’homme à homme, de métier à métier, de classe à classe, de nation à nation. C’est le canon qui ne cesse de gronder, c’est la dévastation des campagnes, le sacrifice des générations entières sur les champs de bataille, la destruction en une année des richesses accumulées par des siècles de dur labeur.

« L’Ordre, c’est la servitude, l’enchaînement de la pensée, l’avilissement de la race humaine, maintenue par le fer et par le fouet. »

Et Kropotkine, pour donner plus de force à sa pensée, continue dans ces termes : « Et le désordre, ce qu’ils appellent le désordre : C’est le soulèvement du peuple contre cet Ordre ignoble, brisant ses fers, détruisant ses entraves et marchant vers un avenir meilleur. C’est ce que l’humanité a de plus glorieux dans son histoire : c’est la révolte de la pensée à la veille des révolutions ; c’est le renversement des hypothèses sanctionnées par l’immobilité des siècles précédents ; c’est l’éclosion de tout un flot d’idées nouvelles, d’inventions audacieuses, c’est la solution des problèmes de la science.

« Le désordre, c’est l’abolition de l’esclave antique, c’est l’insurrection des communes, l’abolition du servage féodal, les tentatives d’abolition du servage économique.

« Le désordre, c’est l’insurrection des paysans soulevés contre les prêtres et les seigneurs, brûlant les châteaux pour faire place aux chaumières, sortant de leurs tanières pour prendre leur place au soleil.

« Le désordre, — ce qu’ils nomment le désordre — ce sont les époques pendant lesquelles des générations entières supportent une lutte incessante et se sacrifient pour préparer à l’humanité une meilleure existence, en la débarrassant des servitudes du passé. Ce sont les époques pendant lesquelles le génie populaire prend son libre essor et fait, en quelques années, des pas gigantesques, sans lesquels l’homme serait resté à l’état d’esclave antique, d’être rampant, de brute avilie dans la misère.

« Le désordre, c’est l’éclosion des plus belles passions et des plus grands dévouements, c’est l’épopée du suprême amour de l’humanité ! »

Voilà ce que Kropotkine écrivait il y a quelque cinquante ans. Depuis, le désordre s’est fantastiquement accru. On peut dire qu’il a été porté à son comble, car il serait extrêmement difficile de l’imaginer pire et presque impossible de le concevoir plus révoltant et plus infâme. Hier, c’était la Guerre à jamais maudite, avec ses soixante treize millions de mobilisés et ses dizaines de millions de victimes, avec ses gaspillages, ses dévastations et ses ruines, avec le déchaînement hideux des instincts les plus bas et les plus sauvages, avec les désirs de revanche et la compétition de plus en plus farouche des convoitises qui précipitent l’humanité vers la chute dans de nouveaux abîmes. Aujourd’hui, c’est la lamentable situation de trente millions de sans-travail qui, pour avoir produit sans mesure, sont condamnés à errer de ville en ville, de pays en pays, de profession en profession, offrant leurs bras que personne ne consent à employer. C’est l’avilissement graduel des salaires pour ceux qui restent encore à l’usine et aux champs ; c’est, pour plus de cent millions d’individus (les chômeurs et leurs familles) la gêne dès à

présent et demain la misère. C’est la débâcle financière, détraquant les modes d’échange et ébranlant la table des valeurs sur laquelle repose, d’un bout du monde à l’autre bout, le régime économique. C’est le spectacle monstrueux d’un prodigieux entassement de produits, auprès duquel sont condamnés à se serrer de plus en plus la ceinture ceux qui, par leur travail, ont réalisé cette surabondance insensée. C’est le spectacle plus révoltant encore de millions de tonnes de marchandises incendiées, jetées à la mer, utilisées comme combustibles ou purement et simplement détruites, pour maintenir les cours sur le marché, alors que ces produits, consommés comme ils pourraient, et devraient l’être, satisferaient tant de besoins en souffrance ! C’est enfin, pour couronner cet inextricable désordre, le craquement nettement perceptible de toute la machinerie politique, économique et morale d’un Monde qui ne se soutient plus que par la vitesse acquise, par la force de la tradition et des préjugés et par la terreur qu’inspire et la soumission qu’impose la violence érigée en système de gouvernement, violence qui, par la prison, l’exil et le massacre, recule l’heure de l’effondrement, sans du reste conjurer la fatalité de celui-ci.

Et c’est cet effroyable désordre que les maîtres ont l’impudence d’appeler « l’Ordre » ; et ce sont les socialistes, les syndicalistes et les anarchistes qui travaillent à la disparition d’un tel Ordre qu’ils ont le cynisme de traiter en hommes de désordre et de persécuter comme tels. C’est franchement inconcevable.

Il tombe sous le sens que le désordre monstrueux qui caractérise l’organisation, ou, pour parler plus exactement la désorganisation sociale actuelle ne peut se prolonger indéfiniment. Sans qu’il soit indispensable de posséder le don de double vue, il est raisonnable de prophétiser, à coup sûr, son écroulement dans un avenir plus ou moins lointain.

Dans une société quelconque, l’ordre ne peut procéder que du principe d’Autorité ou du principe de Liberté : il ne peut reposer que sur la contrainte imposée ou sur l’entente librement organisée ; il ne peut être la conséquence que de la Force ou de la Raison. Autorité, Contrainte et Force d’une part ; ou Liberté, Entente et Raison, d’autre part : il faut opter pour ceci on pour cela. Si l’Ordre repose sur l’Autorité, il ne peut se maintenir que par la violence gouvernementalement systématisée. Dans ce cas, l’Ordre, synonyme de privilège, de hiérarchie, d’injustice et d’inégalité est instable, fragile et provisoire ; il est constamment exposé à être troublé et rompu par le soulèvement de la multitude à laquelle il prétend s’imposer ; et, alors, l’ordre ne se présente que sous la forme du gendarme et du bourreau du bagne et du massacre. S’il a pour base la Raison et l’Entente, c’est-à-dire la Liberté, il trouve son point d’appui sur l’acquiescement volontaire et conscient de tous, sur la répartition égalitaire des produits du travail commun, sur le respect mutuel des droits et des devoirs de chacun, sur l’équilibre qui résulte automatiquement de la satisfaction des besoins ressentis. Mère de la Justice et de l’Égalité, la Liberté donne à l’Ordre une étonnante stabilité. L’Ordre ne peut exister qu’au sein d’une société composée d’êtres libres, égaux et solidaires. — Sébastien Faure.

ORDRE (selon le socialisme rationnel). — La question de l’ordre intéresse l’Humanité sous des aspects multiples et tout particulièrement au point de vue social. Il est à la Société ce que l’atmosphère est à la vie des êtres et des choses. Il représente une règle indispensable à l’harmonie générale.

De l’application de l’ordre dans les rapports individuels et sociaux, dépend le succès ou l’échec de l’entreprise, d’une opération, etc…

Considéré au point de vue physique, l’ordre est tout ce qui existe, aussi bien ce que nous considérons comme