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ORI
1885

cien proprement dit mette la main à la pâte. L’aptitude aux travaux manuels ne signifie pas du tout une infériorité intellectuelle, car une grande habileté manuelle s’accompagne d’une intelligence très développée…

Il est d’ailleurs souhaitable que chacun connaisse le pourquoi de sa besogne, qu’il soit, non pas le serf de la machine mais son surveillant, qu’il puisse comprendre l’activité générale des rouages d’une usine, qu’il ait la possibilité et, par suite, l’ambition de prendre droit de regard sur l’usine elle-même et son fonctionnement. La classe ouvrière, avec sa petite instruction actuelle ne saurait s’affranchir seule ; elle peut conquérir de meilleures conditions de travail, mais elle est incapable de mettre la main sur les moyens de production et d’en diriger le fonctionnement (exemple, la Russie) ; elle est obligée de subir la domination des capitalistes. La classe des techniciens, de plus en plus nombreuse et de moins en moins privilégiée, n’acceptera pas éternellement sa subordination à la classe parasitaire des financiers. Dans la société de l’avenir, l’autorité de fait, c’est-à-dire l’autorité de domination, l’autorité de l’argent, ne gouvernera plus les hommes. » Aujourd’hui, la classe capitaliste s’efforce de faire miroiter, aux yeux de la classe ouvrière, tous les avantages que celle-ci retirera de l’orientation professionnelle et néglige de parler des motifs intéressés qui la poussent à favoriser ce mouvement.

« En choisissant un métier qui correspond à vos aptitudes, vous aurez, dit-elle au futur apprenti, moins de chances de chômage que si vous restiez simple manœuvre, et des statistiques exactes prouvent que cette assertion n’est pas mensongère. Vous éviterez aussi d’entreprendre un métier pour lequel vous n’avez pas les qualités requises, qui serait malsain et dangereux pour vous. « La vertu, leur dit-on, consiste à n’être ni au-dessus, ni au-dessous de ce qu’on peut être : ce qu’on doit être. On se le doit à soi-même pour son bonheur, car si les gens sont inquiets, malades quand on leur demande un effort trop grand, on est également malheureux quand on n’est pas à même de donner tout ce qu’on peut donner. On est seulement heureux quand on est à sa place. »

Mais les classes dirigeantes n’admettent de mettre « the right man » à « the right place » que dans la mesure où ça ne trouble pas l’organisation capitaliste. Il ne lui vient pas à l’idée d’utiliser l’orientation professionnelle pour sélectionner des agents de change, des banquiers, des membres de conseils d’administration pour ses entreprises. Jusqu’à quand pourra-t-elle limiter l’application intégrale d’une meilleure organisation sociale qui n’obligera pas l’individu à exercer un métier pour lequel il n’a point de goût, mais qui ne lui permettra pas non plus d’occuper une fonction de direction, de contrôle, et que d’autres individus sont mieux capables de remplir ?

Ce temps n’est pas encore proche, l’orientation professionnelle est encore trop peu développée ; mais il viendra d’autant plus tôt que les ouvriers appuieront davantage les efforts des orienteurs. Ce fut un tort des révolutionnaires russes de vouloir faire leur révolution en traitant les techniciens en parias. Sans doute parmi les techniciens, ingénieurs, etc., y a-t-il des lèche-bottes, des conservateurs et des réactionnaires, mais il y a aussi des hommes de progrès. Dans le Bureau de l’Institut National d’Orientation Professionnelle, nous avons pu lire : « L’organisation sociale est bonne si les diverses fonctions sociales sont remplies par les hommes qui conviennent le mieux pour ces fonctions. » La classe ouvrière doit apporter son appui éclairé à un mouvement qui peut contribuer un jour à sa libération.

Examinons rapidement le problème et les méthodes de l’orientation professionnelle.

D’abord, il faut écarter l’enfant des professions pour lesquelles il n’a pas les aptitudes voulues.

Ensuite, il faut faciliter son choix d’une profession qui lui agrée et où il pense et peut réussir.

La première partie du problème est évidemment la plus aisée à résoudre, cependant, tout comme la seconde, elle nécessite : d’une part, la connaissance de l’enfant, d’autre part, la connaissance des divers métiers ou professions. Enfin, la connaissance des besoins sociaux ne saurait être négligée, non seulement dans l’intérêt de la société, dont toutes les fonctions — et par là nous entendons, non seulement les fonctions d’administration, qui exigent des fonctionnaires, mais aussi les fonctions de production qui exigent des ouvriers agricoles, d’industrie, etc., celles de circulation (ouvriers des transports, etc.), etc. — doivent être remplies, mais encore dans celui des individus.

Connaître l’enfant ! C’est d’abord le rôle de la famille, mais il faut dire que peu de parents sont aptes à bien juger leurs enfants. C’est ensuite le rôle des instituteurs, mais les instituteurs eux-mêmes n’ont ni les connaissances, ni les aptitudes nécessaires pour bien orienter un enfant. Ils peuvent fournir des indications précieuses, ce n’est pas suffisant.

Il faut : 1o des indications d’ordre physique (fiche du médecin) ;

2o Des indications d’ordre scolaire (fiche de l’instituteur ou des professeurs) ;

3o Des indications d’ordre psychologique (fiche des spécialistes d’un laboratoire de psychologie) ;

4o Des indications d’un établissement où l’enfant sera orienté progressivement, en tenant compte des données des fiches précédentes.

Connaître les exigences des professions ! Chose plus malaisée qu’on ne suppose, les individus sont peu qualifiés pour découvrir leurs propres qualités. Il faudra pourtant établir des monographies professionnelles. Il en existe déjà, mais leurs données sont souvent incomplètes. Les syndicats ouvriers pourraient aider à la préparation de ces monographies, ce serait bien, mais non suffisant dans beaucoup de cas. Ici encore, il faudra faire appel à des techniciens (médecins, psychologues, etc., etc…).

Connaître la situation sociale du moment, savoir quels sont les métiers encombrés, ceux pour lesquels il y a manque de main-d’œuvre. Prévoir aussi, dans la mesure du possible, les transformations qui ne cessent de se produire et les possibilités de réadaptation à d’autres métiers lorsque les besoins de l’un d’eux diminuent (inventions nouvelles, tarifs douaniers, etc., etc…).

Nous n’entrons pas dans les détails. Ces détails sont affaire des spécialistes qui ont, d’ailleurs, à perfectionner un outil de progrès social encore bien imparfait aujourd’hui. Ce que nous voulions, c’était, avant tout, expliquer à nos lecteurs en quoi consistait l’orientation professionnelle et comment cette orientation, mise d’abord au service des capitalismes et des nationalismes, pouvait devenir un instrument de libération et de progrès. À la condition qu’ils le sachent et le veuillent. — E. Delaunay.


ORIGINAL adj. Le Larousse explique le mot « original » par singulier, bizarre, excentrique, et indique comme antonyme : banal, vulgaire, copié, reproduit. Je ne saurais récapituler le nombre de fois où dans des journaux, des revues, des livres — sans parler des conversations privées — j’ai vu ou entendu se plaindre du manque de nouveauté, de la banalité, de la vulgarité de la production littéraire, artisanale et artistique, de la ressemblance des tempéraments, de la similitude des gestes. En effet, il n’y a pas d’entrave plus grande au développement individuel ou collectif que la répétition des pensées, des allures, des attitudes. Changer de ville, de canton, de province, de pays pour retrouver