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ORP
1887


ORPHELINAT n. m. (rad. orphelin). Dans une brochure parue en 1911 : « Les Sans-Famille du Prolétariat organisé », j’ai posé la question de l’éducation des orphelins de la classe ouvrière. J’ai dit quel était le devoir du prolétariat envers les enfants déshérités, envers les petits sans-foyer qui, chaque jour, se forment dans ses rangs. J’ai résumé, dans cette brochure, les lignes essentielles de la question ; j’ai touché les points principaux ; j’ai envisagé les raisons d’ordre général ; j’ai donné, brièvement, un aperçu des maisons familiales que nous devons offrir à nos orphelins.

Je veux insister ici sur le côté pratique de la question.

Que sera cette organisation des « Sans-Famille » ? Comment nous y prendrons-nous pour que nos Maisons Familiales ne ressemblent point aux grands orphelinats — aux orphelinats-casernes, comme je les ai appelés — que la classe capitaliste nous offre dans ses œuvres philanthropiques ; pour que nos orphelins aient le sentiment d’avoir retrouvé un foyer, une demi-famille, d’être chez eux, enfin, à l’orphelinat ?

Deux considérations sont à envisager ; l’une d’ordre éducatif, l’autre d’ordre économique.

Dans la Maison Familiale qui recevra nos sans-famille, un groupe de vingt-cinq à trente enfants me paraît suffisant. On m’a demandé pourquoi ? — La raison est purement d’ordre éducatif.

Nous ne devons pas oublier que si la création d’un foyer artificiel pour nos orphelins est une œuvre de solidarité, elle doit être aussi une œuvre d’éducation.

L’expérience m’a amené à cette conclusion de réunir nos enfants en petits groupes d’une trentaine à peu près. Une trop grande agglomération d’enfants paralyse les efforts de l’éducateur, et s’oppose à la mise en pratique d’un grand nombre d’idées éducatives.

L’idéal éducatif est l’enfant élevé dans la famille, par ses parents, près de ses frères et sœurs ; avec, comme point de contact social, l’école en commun, pendant cinq ou six heures par jour, en compagnie d’enfants du dehors. Le milieu éducatif par excellence est la famille ; non l’école. Bon ou mauvais, le milieu est le maître : l’enfant vaudra ce qu’il vaut. Si l’école lui ouvre le cerveau et oriente son intelligence vers les horizons de la science, le milieu familial, lui, le met en contact avec la vie elle-même, avec les réalités de l’existence en même temps qu’il forme son cœur et ses sentiments. C’est dans la famille que le sens moral de l’enfant se développe. Quoiqu’on ait pu faire, l’école ne donne que l’enseignement, et les tentatives qui ont été faites pour qu’elle puisse également donner l’éducation ont échoué.

Pourquoi le milieu familial possède-t-il cette force éducative que n’a point l’école ? Certes, le facteur affectif y entre pour une grande part ; mais il y a autre chose encore : c’est que, dans la famille, l’enfant est chez lui, et vit sa vie propre. L’école, c’est la maison commune à tous, c’est la vie collective où forcément une discipline devient nécessaire par le fait même de la collectivité. Il faut l’ordre, le silence, l’obéissance, pour que soit possible l’enseignement.

Assurément, l’école doit s’inspirer des méthodes les meilleures pour laisser à l’enfant le libre jeu de ses facultés intellectuelles, pour développer ses qualités d’observation et de raisonnement ; et l’école actuelle est loin de réaliser l’école de nos conceptions éducatives. Mais il est indéniable que la discipline — une discipline intelligente et bien comprise — y est indispensable aujourd’hui et y restera nécessaire demain, si l’on veut obtenir des résultats. Dans la famille, l’enfant se relâche de cette discipline.

Or, si la vie collective est nécessaire dans l’éducation, la vie personnelle, la vie intime, l’y est tout autant. Très jeune, l’enfant en sentira le besoin, besoin qui se développera à mesure qu’il grandira et que

l’individu se formera en lui. A mesure qu’il se sentira vivre, il éprouvera le désir d’avoir un coin bien à lui, sa chambre, son home —— ce petit chez-soi dont tous ceux qui en ont été privés connaissent particulièrement le prix.

C’est là une chose qui manque totalement dans ces grandes collectivités d’éducation que sont les pensions et les orphelinats — oh ! la froideur des grands dortoirs où les lits s’alignent à l’infini ; comparez à la chambre de l’enfant dans sa famille, même lorsque la chambre est occupée par deux frères ou deux sœurs. Le grand dortoir de la pension est uniforme et vide de vie, dénué d’intimité. Rien de personnel ; avec un aussi grand nombre d’enfants cela devient impossible. Le linge, les vêtements de chaque enfant sont à la lingerie, dans les placards à cases numérotées. Le grand dortoir, c’est la pièce où l’on dort, disciplinairement pourrait-on dire, comme l’on étudie en classe ; mais ce n’est plus le chez soi. — Et s’il existait quelque part ailleurs, ce chez soi ! — Mais non ; les salles d’études, de lecture, de récréation, le réfectoire, tout cela est commun à tous.

L’enfant qui est en pension s’en console en se disant que son chez lui existe, qu’il l’a dans la maison de ses parents et qu’il le retrouve aux jours de sortie, aux vacances.

Mais l’enfant de l’orphelinat, lui, ne connaît jamais la douceur d’un coin qui soit à lui tout seul ; où il puisse se retremper en lui-même, se ressaisir, se sentir vivre. Toute son enfance, toute son adolescence, il les passera — numéro vivant perdu dans le nombre — dans la tristesse froide des grandes pièces uniformes, sévères et impersonnelles.

A l’orphelinat ainsi compris, se retrouvent, dans le domaine éducatif et moral, tous les vices du système collectif, dont nous connaissons les méfaits en éducation.



Il semblerait que c’est au désir de recréer le milieu familial qu’ont obéi ceux qui se sont occupés d’organiser le placement des enfants assistés. Au système collectif, à l’orphelinat ils ont préféré le placement familial dans des familles paysannes et ouvrières. Pourtant le placement familial des petits assistés ne donne généralement pas de bons résultats. La situation de ces petits déshérités est pénible et triste. C’est que, pour ceux-ci, la famille qui les accueille n’est pas du tout un milieu familial. Dans ce foyer qui n’est pas le leur, ils restent les étrangers, les isolés, les intrus, les enfants du vice…

Cela est-il une charge contre l’éducation familiale ? Non point.

Dans les familles pauvres où sont placés les enfants de l’assistance, nulle éducation n’est possible. D’ailleurs, quand une famille paysanne prend en pension trois ou quatre pupilles de l’Assistance, vous pensez bien qu’elle n’obéit pas à une impulsion de justice, à un désir de faire œuvre d’éducation. Elle n’est inspirée que par la question d’intérêt, elle ne voit qu’une chose : c’est que la pension — pourtant bien modique — versée par l’assistance aidera à faire bouillir la marmite familiale. L’enfant assisté devient donc un objet de rapport, il faut qu’il coûte à la famille qui l’élève moins que la pension versée pour lui, pour qu’il en résulte un léger bénéfice. L’enfant assisté est un exploité dans le sens le plus triste du mot : exploité par ses frères, par des miséreux comme lui.

Le système de placement familial des enfants assistés ne prouve rien contre l’éducation familiale. Il peut néanmoins nous mettre en garde, en ce qui concerne nos orphelins, si ce système venait à être proposé.