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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/545

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ORP
1888

Quant au système collectif de l’orphelinat, j’ai fait tout à l’heure son procès, je n’ai pas à y revenir.

Nous pouvons faire un orphelinat ouvrier ; nous pouvons créer pour nos petits orphelins un milieu familial où nous tâcherons de leur rendre le plus possible la famille disparue ; et nous n’aurons encore apporté ainsi qu’un infime remède au mal qui étreint l’enfance pauvre et abandonnée.

Puisque le nombre est un écueil éducatif, puisque le système de la pension, de l’orphelinat, est défectueux, comment allons-nous organiser nos orphelins pour rester le plus près possible de nos conceptions éducatives, pour obtenir les résultats désirés ?

Nous voulons — avons-nous dit — faire un orphelinat qui ne ressemble pas aux orphelinats-casernes ; nous voulons que la maison que nous offrirons à nos orphelins soit un foyer, un véritable milieu éducatif.

L’orphelinat que j’ai appelé Maison Familiale sera vraiment un foyer, le milieu familial de l’enfant. Il lui donnera non seulement l’enseignement, mais l’éducation morale. Il formera son cœur et ses sentiments aussi bien que son cerveau. L’enfant trouvera là des maîtres qui ne seront pas seulement des maîtres, mais des éducateurs aimant les enfants et venus vers eux parce qu’ils seront convaincus de la beauté de leur tâche.



L’orphelinat de nos petits prolétaires, je l’ai vu très grand et puissamment organisé. J’ai dit : « Les Maisons Familiales ne devront réunir que vingt-cinq à trente enfants. » Mais je n’ai pas réduit à ce chiffre l’effectif des pupilles de notre orphelinat.

Seulement j’ai fragmenté cet orphelinat en sections autonomes, indépendantes les unes des autres et réunies cependant sur certains points. Rien n’empêchera notre orphelinat de posséder deux cent cinquante ou trois cents pupilles, mais ils seront divisés en groupes d’une trentaine — chaque groupe étant élevé dans un pavillon spécial confié aux deux éducateurs dont je parlais tout-à-l’heure.

Ce sont ces pavillons que j’appelle des Maisons Familiales.

Voici, à grands traits, comment je conçois l’organisation générale : Supposons que nous réunissions, pour former un orphelinat, trois ou quatre départements. Nous choisirons l’emplacement de l’orphelinat à une distance à peu près égale de ces divers départements.

Nous y chercherons une grande propriété d’une trentaine d’hectares. Sur ces trente hectares nous disséminerons nos maisons familiales et maternelles. Supposons toujours — puisque ceci n’est qu’un plan —, que nous y aurons 4 maisons maternelles (pour les bébés) et 8 maisons familiales. Chacune de ces maisons sera indépendante des autres. Elle aura ses cours de récréation, préaux, communs, etc… ; elle sera chez elle, en un mot.

Au centre de ces 12 maisons nous aurons un pavillon central qui réunira l’administration. Dans ce pavillon seront les magasins généraux d’alimentation, d’habillement, de chaussures, etc… L’administrateur répartira les provisions selon les besoins et les demandes de chaque maison. Ainsi donc les achats pourront être faits dans les meilleures conditions possibles.

Ce n’est pas tout. Autour du pavillon central seront groupés, en commun, différents services : la lessive, la lingerie, de petits ateliers de menuiserie et de serrurerie, une forge.

Enfin, une seule exploitation agricole donnera le lait, le beurre, les œufs nécessaires à chacune des maisons. Les terrains qui sépareront ces maisons seront utilisés à la culture maraîchère et fourniront les légumes qui seront répartis selon les besoins de chacun.

Nous aurons ainsi tous les avantages économiques de la collectivité, tout en évitant l’écueil éducatif qu’elle présente dans les grands orphelinats, où deux, trois cents et quelquefois plus d’enfants sont réunis et vivent une vie de discipline sans attrait et, pourrait-on dire, anti-humaine.

Dans le domaine pratique, nous pourrons encore obtenir d’autres avantages du système collectif. Ainsi une infirmerie, un pavillon d’isolement pour les malades, pourront être communs à toutes les maisons. Un docteur pourra être attaché à l’orphelinat. Nous pourrons avoir également une pharmacie, un laboratoire, un service de désinfection communs à tous.

A côté de ces avantages purement économiques, nous aurons des avantages éducatifs qui seront économiques en même temps, et qui résulteront de cette réunion des maisons maternelles et familiales.

Ainsi nous aurons une Maison Commune qui possédera une grande salle où nous pourrons réunir nos pupilles des différentes maisons pour de petites fêtes, des conférences avec projections lumineuses, des séances de cinématographie. Nous aurons une bibliothèque centrale où chaque maison prendra des livres et les rendra. Dans le domaine de l’art nous pourrions réunir à notre maison commune un petit musée de belles et bonnes reproductions de peintures, des dessins, des études, des croquis.

Nous aurons aussi un gymnase complet ; et si la propriété ne possédait pas de grande pièce d’eau qui puisse servir pour apprendre la natation aux enfants, on pourrait y établir une grande piscine destinée à cet usage.

Nous aurons aussi des professeurs spéciaux : musique, dessin, gymnastique, etc…, qui passeront d’un groupe à un autre. Tous ces avantages éducatifs seront également des avantages économiques ; et il est évident qu’on ne pourrait les réunir si l’on ne possédait qu’une seule maison de trente, voire même de cinquante enfants.

Toujours dans le domaine éducatif, la réunion des maisons familiales et maternelles permettra d’organiser sérieusement un premier apprentissage pour nos enfants de treize à quinze et seize ans.

Trois cents enfants à chausser, à habiller, représentent déjà une production respectable à fournir. Un petit atelier de cordonnerie, sous la direction d’un cordonnier, formera des apprentis dans cette partie. La confection des vêtements formera encore un atelier de coupe et de couture aux jeunes filles. Les services de repassage et de lingerie pourront aussi employer les jeunes filles de treize à seize ans.

L’exploitation agricole, l’élevage des bêtes emploieront d’autres adolescents. Le jardinage, la culture potagère, l’arboriculture, l’horticulture, l’apiculture seront autant de branches d’enseignement professionnel.

En même temps toutes ces professions diverses alimenteront de travail les ateliers pour le fer et le bois, la serrurerie et la forge, qui seront encore des ateliers de préparation professionnelle pour les jeunes gens que nous pourrons ainsi maintenir jusqu’à quinze ans au moins au Milieu Familial, ce qui permettra de leur continuer l’éducation intellectuelle et morale à laquelle ils auront été habitués en leur enfance.

Voilà le plan que j’ai conçu, non en un jour, mais en plusieurs années, après avoir étudié la question et après avoir mûrement réfléchi aux divers côtés du problème que la vie pratique et l’expérience me présentaient tour à tour.



Quant à l’organisation intérieure (et notamment ce qui regarde l’éducation proprement dite, l’enseigne-