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PAI
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rie tous ceux qui portent le sceau gouvernemental. J’ai la conviction que les protocoles, les pactes, les traités, les conventions, les accords que peuvent conclure présentement les gouvernements ne seraient, selon l’expression consacrée et authentifiée par l’Histoire, que de vulgaires « chiffons de papier » le jour où, pressée par la nécessité, cédant au besoin de conquérir par la force certains avantages, dominée par ses visées d’ambition et décidée à assouvir ses convoitises territoriales ou financières, une grande Puissance verrait dans la Guerre, et rien que dans celle-ci, la possibilité de réaliser ses desseins. La Société des Nations a été constituée dans le but de préparer l’avènement de la Paix par l’établissement et la reconnaissance d’une sorte de Juridiction suprême ayant pour mandat d’arbitrer les différends internationaux, à la lumière et en application d’une législation adoptée par l’universalité des Puissances. D’immenses espoirs ont accueilli la naissance de ce super-organisme et de ferventes et nombreuses sympathies persistent à lui faire cortège. Quand une espérance a illuminé l’esprit ou le cœur des hommes, elle s’y installe si fortement qu’elle n’y meurt que petit à petit : c’est une des forces, et peut-être la plus tenace, de toute religion. C’est ainsi que s’explique l’obstination avec laquelle nombre d’individus restent attachés, cramponnés aux généreux espoirs de Paix que l’Assemblée internationale siégeant à Genève a fait descendre dans la conscience humaine. Et pourtant ! que de lenteurs dans l’organisation de cette assemblée ! que de timidité dans ses débats ! que d’incohérences dans ses attitudes, chaque fois que les circonstances lui imposaient le devoir de se prononcer fermement ! Sans être trop sévère, on peut prétendre que, toujours défaillante lorsque certains faits de guerre nécessitaient son intervention immédiate et énergique, la Société des Nations a ruiné le crédit moral dont elle jouissait à ses débuts et jeté le découragement dans l’esprit de ceux qui lui avaient accordé toute leur confiance et qui avaient placé leurs plus fermes espérances dans l’efficacité de son action. Ses hésitations, ses faiblesses et son impuissance à l’occasion du conflit sino-japonais, alors que les deux puissances en état de guerre faisaient officiellement partie de la Société des Nations ont, une fois de plus, administré aux amis de la Paix dont les regards étaient anxieusement fixés sur Elle, la preuve qu’il n’y a pas lieu de compter sur Elle pour réaliser le but que sa constitution même lui a assigné. À aucun moment, dans aucune circonstance, les anarchistes n’ont fait confiance à la Société des Nations. Tout d’abord, ils ont constaté et n’ont cessé de faire observer que cette Société n’est pas celle des Nations, mais bien celle des Gouvernements : ce ne sont pas les peuples qui élisent leurs délégués à Genève ; ce sont les Gouvernements qui les mandatent. Les représentants ainsi désignés ne sont pas les interprètes des aspirations, des besoins et des volontés des masses nationales, celles-ci n’étant consultées ni avant, ni après.

Les personnages appelés à représenter chaque nation sont choisis par leur Gouvernement respectif ; ils sont pourvus d’instructions précises ; ils détiennent un mandat impératif auquel ils sont tenus de se conformer et, porte-parole des Gouvernements qui les ont officiellement investis, ils ne peuvent être que les interprètes de la pensée, de la volonté et des intérêts de ceux-ci. En outre, ne siègent à Genève que des Ministres, des diplomates, des parlementaires, des techniciens et des spécialistes, hommes qui, du premier au dernier, appartiennent, par leur situation, et sont liés par leurs intérêts au régime étatique ou aux milieux économiques totalement acquis aux appétits politiques et financiers de la classe gouvernante et possédante. Ce n’est pas sur de tels éléments qu’il est raisonnable de compter pour travailler avec sincérité et ferveur à l’organisation de la Paix mondiale. Les hauts personnages dont la réu-

nion fonde la Société des Nations prononcent parfois de magnifiques discours ; à les entendre, on serait portés à prendre à la lettre les pompeuses déclarations par lesquelles ils se campent en adversaires farouches de la guerre et en partisans irréductibles de la Paix. Ce ne sont, hélas ! que mensongères déclamations et il n’est pas injuste de qualifier celles-ci aussi sévèrement, puisque l’accroissement incessant des ressources englouties par le régime de Paix armée qui impose à chaque nation des charges écrasantes, inflige à ces déclarations un sanglant démenti et en fait éclater l’odieuse fourberie. Sous le fallacieux prétexte d’assurer sa propre sécurité, chaque Puissance fortifie son appareil de guerre, en application du vieil adage « Si vis pacem, para bellum » (si tu veux la paix, prépare la guerre). En contradiction avec l’amour de la Paix dont tous les Gouvernements se proclament animés, c’est une course effrénée, une formidable ruée vers des armements de plus en plus fantastiques. Chacun sait cependant que si, naguère, c’étaient les risques de guerre qui créaient les armées et les armements, de nos jours, c’est l’existence des armées et l’accumulation des armement qui créent les risques de guerre. Les véritables ennemis de la guerre, les partisans sincères de la Paix opposent au « Si vis pacem, para bellum », dont des millénaires de batailles de plus en plus meurtrières ont démontré l’absurdité, le « Si vis pacem, para pacem » (si tu veux la Paix, prépare la Paix), dont l’exactitude et la sagesse sautent aux yeux de quiconque n’est pas aveuglé par la routine et la tradition, lesquelles conservent aux formules les plus désuètes le caractère d’une indiscutable vérité.

b.) Moyens insuffisants. — Un souffle puissant de pacifisme (voir ce mot), s’est élevé un peu partout. Cette poussée vers la Paix a suscité la formation d’un nombre élevé de groupements, ayant pour but la propagande et l’action à entreprendre contre la guerre et pour la Paix. Il est hors de doute que, si l’on parvenait à dresser la liste complète de ces organisations pacifistes, on arriverait à un nombre fort impressionnant de sociétés et à un total considérable de membres adhérents. Je suis loin d’envisager ce fait comme quantité négligeable et je me garderai bien de sous-estimer le concours très réel que ces lignes peuvent apporter à la cause de la Paix et la valeur morale qu’elles lui confèrent. Je souhaite très vivement que ces associations croissent et se multiplient. Il en est qui sont internationales et celles-ci méritent les plus sincères approbations et les encouragements les plus vifs. Toutefois, je pense et très franchement je déclare que ces groupements pacifistes ne constituent qu’un élément insuffisant de lutte contre la guerre, et cette insuffisance provient des quatre causes suivantes :

1° Si nombreuses que soient ces ligues et associations, elles ne le sont pas encore assez. C’est un mouvement qui commence ; il est loin d’avoir atteint la vigueur et le développement auxquels il est appelé à parvenir. Quand on suppute les forces de guerre qu’il faut abattre, forces réelles et latentes, forces connues et masquées, forces constamment prêtes à s’unir et à taire bloc, on ne peut se défendre de l’appréhension justifiée que provoque la comparaison entre ces forces qu’il faut vaincre et celles qui les combattent. Il faut donc que ces dernières grandissent en nombre et en puissance d’influence et d’action ;

2° Les organisations pacifistes ne sont pas fédérées ; il leur manque cette cohésion qui est indispensable à tout effort d’une grande envergure. Livrées à leurs seules ressources en hommes et en argent, ces associations s’avèrent impuissantes à lutter avantageusement contre les redoutables adversaires — voilà les véritables ennemis — qui ont à leur disposition une presse abondamment arrosée par les producteurs d’armements et de fournitures militaires, par les Pouvoirs publics et les