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PAI
1918

Parlements prisonniers des Puissances d’argent. Seule, la Fédération nationale et la Confédération internationale de toutes les ligues pacifistes sont capables de contrebalancer la déplorable influence que les adversaires de la Paix exercent sur l’esprit public avec la complicité des Gouvernements qui appuient leur autorité sur la force armée, des Parlements qui entretiennent astucieusement le préjugé patriotique et des journaux les plus répandus qui sont à l’entière dévotion des grandes firmes capitalistes intéressées aux industries de guerre ;

3° Si désirable, si urgente et si nécessaire que soit la réunion de toutes les ligues pacifistes en une association fédérative, on est forcé de reconnaître qu’elle est présentement irréalisable : d’abord, parce que certains de ces groupements sont étroitement liés à des partis politiques ou à des formations religieuses dont ils ne sont que le prolongement ; en sorte que les rivalités qui opposent les uns aux autres ces Partis politiques et ces formations religieuses font obstacle à leur rassemblement ; ensuite, parce que une notable proportion de ces groupements ne sont que sentimentalement, vaguement et partiellement pacifistes. En principe, tous sont contre la guerre et tous sont pour la paix. Mais, tandis que les uns, ceux qu’on peut appeler les pacifistes intégraux sont contre toutes les guerres, toujours et quand même, les autres que j’appelle les demi-pacifistes, établissent des différences marquées, voire des oppositions entre les guerres dites « offensives » et les guerres dites « défensives », et ils érigent en devoir de se refuser aux premières mais de s’offrir aux secondes. Je n’hésite pas à soutenir que ces étranges pacifistes — qui, en principe s’affirment contre la guerre, mais qui, le cas échéant, sont résolus à y prendre part — sont, en fait, des bellicistes qui s’ignorent. Car, de nos jours, il n’est pas un Gouvernement qui, à l’aide des moyens qui sont entre ses mains, ne soit en mesure d’imposer à ses nationaux la conviction qu’ils sont attaqués, c’est-à-dire que la guerre est une guerre « défensive » et que, s’ils prennent les armes, c’est uniquement pour se défendre contre l’agresseur. Étant donné que, dans tous les pays il en est ainsi et que, au demeurant, il ne saurait en être autrement, les demi-pacifistes dont je parle se trouveront, bien que résolument opposés à la guerre, dans l’obligation de la faire chaque fois qu’elle éclatera, puisque on leur certifiera, chaque rois, qu’il s’agit d’une guerre défensive.

4° Enfin ce qui, actuellement, rend irréalisable la fédération des groupements pacifiques, c’est qu’ils ne sont pas en possession d’une boussole leur permettant de se diriger vers le même but par la même route. Cette boussole, c’est un programme limité et précis, un but immédiat et déterminé, une plateforme d’action s’imposant à tous par sa netteté et sa consistance. Je rencontre fréquemment des hommes qui se disent contre guerre et qui sincèrement sont attachés à la Paix. Quelques minutes me suffisent pour constater le peu de fond qu’il est prudent de faire sur l’efficacité de l’aide qu’on peut attendre de leur activité. Certes, ils professent une sainte horreur de la guerre et ils sont prêts à servir de tout cœur la cause de la Paix. Mais par quels moyens lutteront-ils contre la première et de quelle façon travailleront-ils à l’instauration de la seconde ? Ils n’en savent rien, ou presque. On ne dépense utilement son activité que lorsque, d’une part, on vise un but précis et lorsque, d’autre part, on recourt à un moyen également déterminé. Sinon, les efforts qu’on accomplit, pratiqués en ordre dispersé et sans cohésion positive, perdent en grande partie leur efficacité. Ce qui est vrai pour l’effort individuel l’est encore bien davantage pour le collectif. C’est pourquoi : programme précis, but déterminé, plateforme unique et solide, quand les organisations pacifistes seront en possession de ces trois éléments, leur rassemblement s’opérera sans trop

de difficulté, leur nombre et leur activité décupleront et le courant pacifiste gagnera promptement, en profondeur et en étendue, la vigueur qui lui fait défaut.

L’unique moyen. — Comme on le voit la solution pratique du problème qui consiste à en finir avec la guerre et à organiser la paix sur des fondements solides, nécessite un effort énergique et persévérant. D’une récente lettre de Romain Rolland, je détache ce passage : « il ne suffit pas de répéter Paix ! Paix ! On dirait des troupeaux qui bêlent, leurs bêlements n’attendrissent pas le boucher… La paix n’est pas un thème à variations vocales. Elle doit être réalisée. Et pour être réalisée, il faut qu’elle soit réalisable. Une paix basée sur le statu quo politique, économique et social de l’Europe et du monde présent est une cruelle illusion et un non-sens. L’état de choses instauré par les traités de victoire en 1919, et aggravé depuis par les aberrations des politiciens, est un état de violence et d’injustice permanent, qui ne peut matériellement se prolonger sans catastrophe : car, pour les deux tiers de l’Europe, il est une cause permanente de souffrances, une plaie béante qui s’envenime ; et l’infection gagnera nécessairement tout le reste du corps, toute l’Europe, le monde entier. »

C’est fort bien dit : il ne saurait être question de pais, véritable et définitive, dans la situation politique, économique et sociale de l’Europe et du monde actuel. Cela revient à affirmer que tant que sera maintenue la structure politique, économique et sociale du monde actuel, la Paix sera impossible, qu’elle ne sera réalisable et ne sera réalisée que dans un monde dont la structure politique, économique et sociale aura été totalement transformée. J’ai cette certitude et depuis bien longtemps, je l’expose et cherche à la faire partager. Lorsque, du 17 au 22 août 1926, se tint, à Bierville (France), le Congrès « sur la Paix par la Jeunesse » qui eut un certain retentissement (5.000 délégués représentant trente nations prirent part à ce Congrès) j’adressai à ces cinq mille délégués la lettre ouverte que voici :

Messieurs,

Vous vous proposez de jeter les bases de la Paix par la Jeunesse.

Travailler pour la Paix est une des œuvres les plus nobles et les plus urgentes qu’il soit possible d’imaginer et faire appel à la Jeunesse, c’est confier sagement à l’avenir le soin de réaliser cette œuvre magnifique.

Comme l’enfer, Messieurs, vous êtes pavés d’excellentes intentions et il ne peut venir à personne l’idée de vous refuser l’hommage que méritent ces intentions admirables.

Mais permettez à un homme qui possède quelque expérience et qui, depuis de nombreuses années, se penche, fervent et angoissé, sur le problème de la Paix, de vous faire connaître, loyalement et sans ambages, le résultat de ses longues cogitations.

Et d’abord, vous apprendrai-je quelque chose en vous disant que je n’ai jamais rencontré quelqu’un — homme ou femme — se déclarant, en principe, pour la guerre ? Je ne pense pas et je ne dis pas que personne ne veut, n’appelle, ne désire la guerre ; je dis simplement que personne n’ose, en temps de paix, s’affirmer ennemi de la paix et partisan de la guerre.

Il serait, au surplus, plus que jamais prodigieux qu’il en fut autrement : la guerre maudite de 1914–1918 a laissé dans toutes les mémoires des souvenirs si horribles que, d’instinct, tous forment des vœux en faveur de la paix.

« Haine de la guerre ; amour de la paix » ; si on fouillait dans les cœurs, ce sont deux sentiments qu’on trouverait à peu près dans tous.

Il serait donc banal et inutile de vous réunir en Congrès par centaines et par milliers, si vous deviez vous borner à vous affirmer partisans de la Paix, à pousser