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PAI
1919

des acclamations, à chanter des hymnes, à organiser en faveur de la Paix de solennelles et grandioses cérémonies. Je ne vous fais pas l’injure, Messieurs, de penser que ce soit là tout votre programme.

Votre programme doit avoir, il a certainement pour but d’étudier et d’arrêter les moyens pratiques propres : 1° A empêcher la guerre ; 2° A fonder un régime de paix stable et, si possible, définitif.

C’est ainsi, Messieurs, que se pose le problème de la paix : tout le reste n’est que mise en scène, décor, solennité, faconde, attitude et pose sans sincérité, sans courage, sans signification précise, et sans influence sur le cours des événements d’où sortira demain ou la guerre ou la paix.

Il s’agit donc avant tout et même uniquement d’empêcher la guerre. Un seul moyen s’offre à toute personne sensée. Ce moyen consiste à rechercher loyalement la cause véritable, profonde, essentielle, fondamentale des guerres et, cette cause étant découverte, à travailler de toutes ses forces à sa suppression.

Il est évident que tant que ne sera pas abolie la cause, l’effet persistera.

Il sera possible, en certaines circonstances, de prévenir un conflit imminent et d’en ajourner le déclenchement ; mais cette victoire, purement occasionnelle, n’aura en aucune façon fortifié la cause de la Paix, celle-ci restant à la merci du lendemain.

Il est donc tout à fait indispensable, et avant toutes choses, de découvrir la cause véritable et essentielle d’où sort la guerre, afin de dénoncer publiquement, de combattre et d’abattre cette cause.

Eh bien ! Messieurs, cette cause est aujourd’hui connue, et, depuis plus d’un demi-siècle, les Anarchistes la dénoncent sans se lasser et sans qu’il ait été possible d’en nier sérieusement l’exactitude.

Cette cause, c’est le principe d’autorité : principe qui, d’une part, fait surgir les conflits et d’autre part, les résout et, au demeurant, ne peut les résoudre que par la force, la contrainte, la violence, la guerre, indispensables corollaires de l’Autorité.

Car c’est l’Autorité, dans sa forme économique présente : le Capitalisme, qui suscite les convoitises, exaspère les cupidités, déchaîne les compétitions et dresse en bataille les impérialismes effrénés et rivaux.

Et c’est l’Autorité, dans sa forme politique actuelle : l’État qui, ayant partie liée avec le Capital, manœuvre diplomatiquement et agit militairement sur le plan tracé par la finance internationale ; puis, l’heure venue, prépare, chauffe, entraîne les esprits, décrète la mobilisation, déclare la guerre, ouvre les hostilités, établit la censure, réprime l’insoumission, emprisonne ou fusille les hommes courageux qui, s’étant affichés contre la guerre en temps de paix (ce qui est fréquent et sans risque) persistent à se déclarer contre la guerre… en temps de guerre (ce qui est rare et périlleux).

Je vous le répète, Messieurs, la cause de toutes les guerres, à notre époque, c’est l’Autorité dont l’État est l’expression politique et le Capitalisme.

Aussi, de deux choses l’une : ou bien, franchement, loyalement, vaillamment, inlassablement, vous pousserez vos recherches jusqu’à la découverte de la cause que les Anarchistes vous signalent et, dans ce cas, vous ne vous séparerez pas sans avoir pris l’engagement d’honneur de dénoncer publiquement cette cause et de la combattre par tous les moyens en votre pouvoir, jusqu’à ce qu’elle ait été totalement et définitivement anéantie.

Ou bien, reculant devant l’immensité, les difficultés, les périls et les conséquences de la lutte implacable à entreprendre contre l’Autorité, vous vous arrêterez à mi-chemin, peut-être même dès les premiers pas ; et, dans ce cas, je vous le dis tout net, Messieurs, et sans la moindre hésitation, tellement j’ai la certitude de ce que j’avance : vous quitterez Bierville sans avoir rien fait et, par la suite, vous ne ferez rien qui sera de nature

à empêcher la guerre de demain et à fonder la paix sur des assises de quelque solidité.

Au surplus, Messieurs, si vous êtes réellement et sincèrement des adversaires résolus de la guerre, et des partisans irréductibles de la Paix, si vous ne l’êtes pas seulement en paroles et du bout des lèvres mais en fait et du fond du cœur, vous ne vous séparerez pas sans que chacun de vous ait fait le serment que voici :

« Je jure, en toute conscience, de consacrer désormais au triomphe de la paix le plein de mes efforts et si, pourtant, la guerre vient à éclater, je prends l’engagement sacré de répondre à l’ordre de mobilisation par un refus formel ; je jure de ne prendre, ni au front ni à l’arrière, ni directement ni indirectement, une part quelconque aux hostilités ; et je m’engage à lutter, quels que soient les risques courus, contre la continuation de la tuerie et en faveur d’une paix immédiate. »

Messieurs,

Si, de votre congrès sortait la double décision dont je viens de parler : lutte contre l’Autorité (l’État, le Capital), source de toutes les guerres ; et serment unanime et sacré de se refuser catégoriquement à prendre une part quelconque aux hostilités ; Ah ! Messieurs, quel retentissement auraient, aux quatre points cardinaux, vos assises de Bierville ! Et, d’ores et déjà, quel coup mortel vous porteriez à la guerre infâme et quel pas immense vous feriez faire à la cause de la Paix !

Sébastien Faure.

De cette sorte de manifeste, écrit il y a plus de cinq ans, je n’ai pas une ligne à retrancher ; je n’ai pas davantage une ligne à ajouter. Je conserve la certitude que le seul moyen de tuer la guerre, c’est d’en chercher et découvrir la cause et de combattre cette cause jusqu’à sa suppression. C’est, au surplus, l’évidence même. Seulement, il est à craindre que cette suppression ne demande encore beaucoup de temps et il s’agit d’aviser sans aucun retard au moyen de faire échec à la guerre et de la rendre impossible, non pas dans 20, 30 ou 50 ans, mais dans le plus bref délai. Car, si jamais la Paix ne fut plus indispensable à l’humanité qu’elle ne l’est actuellement, jamais les causes de conflit armé ne furent aussi nombreuses et aussi graves que dans le temps présent. Il faut donc aller au plus pressé et recourir d’urgence au moyen de faire reculer la guerre qui, d’un jour à l’autre, peut fondre sur nous. Ce moyen existe-t-il ? – Oui. – Quel est-il ? – Le désarmement. Est-il possible de le mettre en application dans un laps de temps relativement court ? – Je le pense.

Le Désarmement. — Le désarmement est, d’ores et déjà, dans l’esprit de tous les amis sincères de la Paix. Toute personne ayant, sérieusement et sans a priori, étudié la question que j’examine ici, a été amenée à considérer le Désarmement comme la condition sine qua non de la Paix, comme la préface nécessaire, l’introduction indispensable à l’édification d’un régime de Paix durable. Une humanité qui reste l’arme au pied, qui fabrique sans interruption ni mesure, des moyens de destruction qu’elle s’ingénie à multiplier et à rendre plus meurtriers, qui engloutit, de propos délibéré, dans cette industrie de mort et de dévastation des ressources énormes, une humanité qui arrache au travail et à la vie libre des millions de jeunes gens qu’elle oblige à l’apprentissage du métier militaire, n’est pas et ne peut pas être une humanité qui s’achemine vers la Paix. Tant qu’il y aura une caserne, tant que dans cette caserne, il y aura un soldat, tant que, entre les mains de ce soldat – professionnel de la guerre – il y aura une arme de guerre quelconque, cela signifiera que l’humanité n’aura pas encore renoncé au règlement, pas la voie des armes, des conflits qui l’agitent ; cela signifiera, tout au contraire, qu’elle se dispose, comme