fait », etc.), dont l’humanité restée animale encombre sa marche. Ces manies prennent parfois une forme tout à fait obsédante, pénible, cruelle même, et constituent de vraies psychoses conscientes et irrésistibles que nous retrouverons à l’article Obsession. De ce nombre seront la dipsomanie, la folie du doute, la pyromanie, l’onomatomanie, la manie homicide, la manie suicide, etc. Tous ces états reproduisent un prototype curieux qui sera décrit plus loin.
Pour en revenir aux manies vulgaires, je dirai un mot des bases psychologiques sur lesquelles elles s’échafaudent. J’ai dénommé la loi d’imitation, le mimétisme, elle est à la base de cet autre phénomène capital qu’on appelle la contagion mentale et la suggestion.
L’imitation est partout dans la nature comme une sorte d’attraction réciproque en vue d’uniformiser, d’égaliser, d’équilibrer ce qui est inharmonique. On ne saurait nier que l’harmonie vaut mieux que le désordre et que l’attraction universelle, loi d’équilibre, s’applique aux êtres vivants. L’équilibre parfait n’existe point ; il semble que ce serait la fin de tout, mais la tendance à l’obtenir est constante. L’égalité produite, on est ramené à l’allégorie de l’âne de Buridan. Toute conception de liberté disparaît, encore qu’en deçà de cette équation parfaite, la liberté reste dans le domaine des illusions. Les influences mutuelles sont énormes, intentionnelles ou non. Quand, à l’imitation de Socrate, nous plaidons une idée avec ardeur, conviction, et quand finalement nous faisons capituler un adversaire nous avons forcé et réalisé l’imitation dont nous nous sommes proposés comme types. Nous avons déguisé notre liberté du nom de discussion ; en fait nous avons été déterministes et déterminés. On voit ainsi que le modeste phénomène naturel du mimétisme se retrouve dans toutes les formes les plus élevées de l’activité humaine.
Une autre base de l’imitation d’où procèdent les manies repose sur l’état de faiblesse mentale plus ou moins accentuée dès la naissance. Faible résistance aux influences s’appelle suggestibilité. L’état émotif accentué prépare les voies à l’imitation et à l’emprise des adversaires. La puissance du suggestionneur se traduit objectivement par la réduction de l’état d’inertie, de passivité du suggestionné.
La contagion mentale existe, elle est continuelle, banale, dans la vie de chaque jour. C’est la lutte entre les malins et les sots, entre les politicards, les bons bergers et les gens de foi.
Relisez Darwin et ses beaux travaux sur le mimétisme, généralisez et vous concevrez la psychologie des foules, le mysticisme, la contagion de la folie, le triomphe de l’habileté, de la force contre la faiblesse, et l’individualisme vous apparaîtra comme un refuge relatif.
Des monomanies. — Un dernier mot sur les états psychiques désignés par des termes où entre en composition le mot de manie. Il y a un siècle toutes les folies étaient rangées sous la seule rubrique de monomanie, qui désignait ce qu’on appelait les folies partielles, c’est-à-dire celles auxquelles ne participait pas l’entendement tout entier. Le monomane ambitieux par exemple était lucide sur tous les points qui ne touchaient pas à sa marotte de grandeur. Un monomane mystique pouvait être un habile citoyen, très maître de soi, quand il n’était point sur le terrain de ses hallucinations religieuses, etc.
La classification était simpliste. Le bloc des monomanies a été dissous. Seules ont été conservées les obsessions (voir ce mot). Quant aux autres, elles ont pris place pour la plupart dans le grand groupe des psychoses systématiques, à évolution lente, progressive, aboutissant à une transformation complète de la personnalité et à la démence. Il en sera parlé à l’article psychiatrie. ‒ Dr Legrain.
MANIFESTATION. n. f. (latin manifestatio). C’est un de ces mots fréquemment employés dans le langage courant et dont la signification est assez vague. Il indique en général l’action de produire au dehors, de rendre apparent, évident, manifeste, un caractère, des sentiments, une œuvre d’art, etc. Parmi ces extériorisations nous intéresse surtout le mouvement, la démonstration par lesquels une ou plusieurs personnes, un comité ou une foule expriment publiquement leurs désirs, leurs volontés, leur satisfaction ou leur réprobation. Le but de telles manifestations, concertées ou non, est d’attirer l’attention sur quelque objet ou desiderata, et de provoquer des mouvements d’opinion publique.
Les manifestations artistiques, littéraires, industrielles, commerciales, etc., sont des spectacles, des exhibitions, des expositions d’art, de science, de machines, de produits, etc., etc. tenant à la fois de l’attraction et de la publicité commerciale.
Il y a des manifestations officielles ou officieuses qui sont des cérémonies dans lesquelles, avec déploiement d’apparat, les autorités tentent d’impressionner l’esprit des foules. Ce genre de manifestations (officielles, patriotiques, religieuses, etc.), entretenant l’admiration des notabilités dirigeantes ou influentes, le prestige des maîtres, contribue à fausser la mentalité collective, à entretenir la servilité, à perpétuer l’adhésion béate et passive des masses abusées et asservies. Répétées avec régularité, se déroulant dans un cérémonial adroitement combiné pour les rendre impressionnantes, faisant appel à des hommages pleins de solennité, maintes de ces manifestations finissent par devenir de véritables cultes. Elles trouvent dans la badauderie, l’impulsivité moutonnière, les tendances mystiques des masses d’hommes rassemblées un terrain admirablement préparé. Les rites proprement religieux se sont ainsi affirmés. Souverains et chefs d’État ont bénéficié de la pompe dont s’accompagnaient leurs contacts avec le peuple. La religion de la patrie, de ses emblèmes et de ses appareils, appuyée sur des manifestations périodiques et rythmées protocolairement, a pu étendre sur des millions d’individus son emprise malfaisante que couronnent des guerres imbéciles et sanglantes.
Citons, enfin, les manifestations populaires. L’usage tend ici à donner au mot de manifestation la signification plus étroite, plus précise de rassemblement d’une foule (soit dans une salle ou mieux encore dans la rue), clamant ses protestations, ses indignations et ses révoltes contre telle ou telle mesure des gouvernants et des politiciens, des despotes économiques qui régentent le travail et pèsent sur les besoins des besogneux. Pris dans cette acception de jour en jour plus répandue, le terme de manifestation évoque une grande masse populaire défilant dans la rue en cortège pacifique ou déferlant en flot tumultueux, chantant des refrains subversifs et révolutionnaires, poussant des cris de colère, huant les objets de son courroux, et, parfois, dégénérant en bagarres, s’attaquant aux propriétés ou aux personnes.
Autant les dirigeants des nations aiment affirmer, dans de fastueuses cérémonies leur pouvoir sur les multitudes accourus à leur appel, autant ils sont flattés d’y respirer l’encens et d’y voir prodigués les gestes d’adoration qui constituent un affermissement moral de leur autorité, autant ils craignent et redoutent les manifestations populaires issues du mécontentement, secouées d’indocilité, parfois ouvertement hostiles. Celles-ci ne sont-elles pas l’indice qu’un malaise latent, des impatiences sont prêtes à se transformer en révolte ouverte et active ?
La grande force morale qui consolide le règne des gouvernants et des exploiteurs, c’est le sentiment d’isolement et d’impuissance qu’éprouvent les exploités et