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PAI
1934

Quel est, dans ces conditions, l’homme d’État, le chef, le dictateur qui oserait attaquer une autre nation, sachant les représailles toujours possibles, et sachant aussi que lui-même devra. subir, d’une manière ou d’une autre, l’inévitable châtiment de sa monstrueuse initiative ?

Cela, les gouvernements le savent parfaitement ; s’ils paraissent faire crédit à l’éventualité d’une guerre, c’est pour nous en faire partager la crainte, parce que cette crainte est, pour les États autocrates, un moyen de gouverner. Néanmoins, aucun ne la désire, et tous les gouvernements, soyons-en certains, feront l’impossible pour l’éviter. Jamais, d’ailleurs, ils ne se seront trouvés en meilleure posture qu’actuellement pour organiser la Paix, et s’en attribuer le mérite. Mais qu’ils se hâtent…

Voici donc les gaz, les plus redoutables des instruments de meurtre, devenus, par un singulier retour des choses, un argument et une arme puissante, entre les mains des pacifistes. Faites connaître autour de vous les dangers de la guerre chimique ; répandez cette vérité qu’une attaque aéro-chimique est imparable ; expliquez à tous ses effets atroces et inévitables, que surtout nul ne l’ignore. A cet instant, la guerre aura vécu, les gaz l’auront tuée.

Et que l’on n’aille pas trouver puérile cette argumentation. Nous défions les hommes, pour si courageux qu’ils soient, ainsi que les chefs, nous défions les uns et les autres de rester impassibles devant un danger qui frapperait si cruellement les leurs, leurs femmes, leurs enfants, leurs vieux. Tant qu’il ne s’agira que de leur propre existence, soit ! ils seront prêts à en faire le sacrifice pour des convictions, par intérêt, pour un peu de gloire, ou encore pour ce qu’ils croient être leur devoir. Mais cette pensée que les gaz, ce fléau égalitaire, invisible et mystérieux, pourraient frapper ceux qu’ils aiment, c’est une éventualité dont l’idée seule leur serait insupportable, et tous, tous ceux qui auront conservé quelque chose d’humain se dresseront, nous en sommes sûrs, indignés et pleins de haine, contre tous les fauteurs de guerre quels qu’ils soient, s’il en pouvait encore exister. Sébastien Faure a prononcé cette phrase lapidaire et vraie : « On fait la guerre avec la peau des autres. » L’arme aéro-chimique heureusement a changé tout cela ; c’est pourquoi nous avons confiance en l’avenir.

Mais il est indispensable, nous le répétons, que ces dangers soient connus davantage, qu’ils soient connus de tous. C’est à vous pacifistes de tous pays, pacifistes mes frères, qu’il appartient d’en répandre autour de vous la certitude et l’horreur.



Pourtant, il existe un autre danger. Certains gouvernements manifestent, tant est grand leur amour pour le peuple, un souci très marqué d’établir en ce qui concerne la guerre, une sorte de règle du jeu. Ils envisagent, et cela fort sérieusement, de codifier, de régulariser, de donner en quelque sorte un statut à ce vieux sport qu’est la guerre. Il y aurait comme dans tous les jeux, des coups permis et des coups défendus. On désignerait, au moyen d’un uniforme voyant, les personnes qu’on aurait autorisé à exterminer loyalement, ainsi que celles qu’il faudrait respecter (les grades et les conditions ne sont pas encore désignés, mais on peut essayer de s’en faire une idée). L’emploi des gaz serait défendu dans certaines zones, en raison des dangers qu’il pourrait faire courir aux simples spectateurs, à ceux ne portant pas la « marque », c’est-à-dire ne faisant pas, par conséquent, partie des joueurs.

La guerre chimique serait donc réglementée. On n’en pourrait faire usage qu’en certaines circonstances et avec discernement. Des endroits seraient désignés qu’on

pourrait appeler ainsi qu’il a été proposé, « les Lieux de Genève ». Là, leur emploi serait interdit ; ailleurs il serait autorisé. En circonscrivant ainsi le terrain du combat, on éviterait la confusion entre les combattants, les vrais, ceux qui ont obtenu licence de mourir, et les autres, les malins et les innocents… comme si le troupeau de ceux qu’on mène de force à l’abattoir n’était pas, lui aussi, composé d’innocents !

Ces projets de réglementation qui se présentent à l’examen impartial comme une sinistre plaisanterie, sont cependant en voie de réalisation ; certains articles même sont d’ores et déjà admis par la Société des Nations. Au lieu de condamner la guerre, ces Messieurs condamnent l’emploi des armes dites inhumaines ; les autres, les armes humanitaires, telles le canon, le fusil, la mitrailleuse, le couteau à cran, les bombes, les obus, etc… restent admises.

Les résultats de pareils projets apparaissent heureusement fort problématiques. Aucun pays ne se pliera jamais à cette discipline, ne consentira à se priver de l’outil de guerre redoutable qu’est l’arme chimique, ceci dans la crainte légitime que l’adversaire revenant sur les engagements pris (cela s’est déjà vu) n’en fasse lui-même usage (bien qu’illégitimement), pour s’assurer l’avantage.

La réglementation des armements est donc une convention absurde et inopérante. Le succès d’un tel projet, dont la candeur le dispute au cynisme, nous apparaît à nous, comme un désastre. S’il réussissait, ce ne serait ni plus ni moins que le rétablissement de l’ancienne arme de combat : le Front, si bien décrit par les Barbusse, Dorgelès, Remarque, Chevalier, etc…, cet enfer où, comme disaient les autres, « ce sont toujours les mêmes qui se font tuer ».

Et la guerre pourrait recommencer, fraîche et joyeuse pour ceux qui ont l’habitude d’en tirer profit. Or, la guerre n’aura vécu que si nul n’y peut trouver bénéfice, et si ses risques s’affirment rigoureusement les mêmes pour tous, pour tous sans exception, y compris les chefs et les marchands.

L’Arme chimique réalise ces conditions ; c’est pourquoi la Paix sera une Paix chimique. — Charles Mochet.

PAIX (la paix par l’éducation). La paix n’est pas seulement l’absence de guerre. Un état social où la justice n’existe pas, où les valeurs morales sont dominées par les forces matérielles, n’est pas un état de paix. La violence en reste la règle. L’injustice attise les colères et engendre les haines. Les passions s’entrechoquent, provoquant révoltes et révolutions, querelles de parti, émeutes et bagarres. Dans ces conditions, l’absence de guerre n’est qu’une apparence de paix. La paix véritable est impossible à réaliser sans la justice. C’est ce qui explique qu’une guerre soit génératrice d’une autre guerre, les traités qui terminent un conflit étant en général des mesures de violence imposées aux vaincus par les vainqueurs. Il n’y a pas de guerres justes, a-t-on dit. On peut ajouter que tous les traités de paix sont des monuments d’injustice. Et il en sera ainsi tant que l’esprit de violence n’aura pas été répudié par les individus et les peuples, tant que l’esprit de paix ne sera pas entré dans les mœurs.

La paix est donc, avant toute chose, un état d’esprit. Certains individus sont pacifiques par nature, d’autres le sont par raisonnement ; mais ce qu’on peut affirmer, c’est qu’il n’est point possible d’être pacifique, si l’esprit n’est point pacifié. En l’état actuel des choses, tout concourt à maintenu les esprits dans la violence. L’éducation, la presse, les préjugés et la routine, sont les facteurs par excellence de cette formation de l’esprit. Disons mieux : de cette déformation, car il n’est pas exact de dire que l’homme est naturellement