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transpose au besoin, les griefs et les contestations qui sont à la base de la mésentente ; l’adversaire se trouve être à point le responsable et le manifeste aux ombres réticentes exalte à souhait les spécieux facteurs d’intervention. Il convient donc d’y chercher davantage un savant enveloppement d’attitudes souvent indéfendables et le dernier palabre hypocrite avant les recours aux « arguments » de la force, bien plus que l’écho véridique des « droits » qui s’affrontent et qu’une ultime tentative pour prévenir la mise en branle des masses armées.

L’usage du manifeste est des plus anciens et c’en est vraisemblablement une forme ironique que l’envoi présomptueux, fait jadis par les Scythes à Darius, d’un rat, d’un oiseau, d’une grenouille et d’une flèche… Manifestes du roi et du parlement pullulèrent en Angleterre sous le règne tourmenté de Charles Ier. On ne les vit apparaître officiellement en France en tant qu’adresse aux nations en face d’une guerre imminente qu’au xive siècle. L’histoire cite volontiers chez nous le manifeste du duc de Brunswick, cette sommation insolente des coalisés de Coblentz qui provoqua le sursaut du 10 août. Pleins de fougue éloquente et de volonté révolutionnaire, les manifestes de la Convention tranchaient par leur chaleur sincère et leur allure droite avec les écrits, pétris d’astuce et de subtile diplomatie, des monarchies que ses principes nouveaux refoulaient… En 1859, après les guerres d’Italie, François Joseph d’Autriche, contraint à la paix, exposait les raisons de cette obligation dans son « Manifeste à mes peuples ». Roi de Prusse et empereur des Français, en 1870, lancèrent des manifestes où chacun expliquait le bien-fondé de son recours aux armes. En de multiples déclarations officielles, adressées à leurs nations respectives, les chefs d’États belligérants de la dernière « guerre du Droit » accumulèrent aussi les manifestes justificatifs où instigateurs progromistes, agresseurs, complices, supputeurs masqués prenaient figure d’innocentes victimes et se défendaient « d’avoir voulu cela ! »…

À l’intérieur, les prétendants au trône, les fauteurs de coups d’État, les aspirants au règne politique usèrent, à travers les siècles, de ces appels à la nation pour préparer le terrain à leurs tentatives, rendre l’opinion publique favorable à leurs desseins, galvaniser des cohortes de partisans. Les manifestes marquent la route du pouvoir de méthodiques apprêts, entretiennent, ravivent au besoin le prestige et la popularité. On connait les proclamations du premier Bonaparte, les exhortations et les harangues lapidaires qui jalonnent sa fortune de conquérant monomane. Des adresses de Napoléon le Petit, parant son front médiocre de l’auréole du nom, aux invocations épileptiques de la Ligue des Patriotes, aux plaidoyers cyniques des modernes « sauveurs » à la Mussolini, aux déclarations de principes de tous les politiciens en mal de chars et de fouets enrubannés, s’échelonnent rodomontades et suppliques, gestes et propos circonvenants. Habiles à impressionner le peuple de « raisons de salut public », à ramener, autour de formules renouvelées de gouvernement, invariablement « rédemptrices », une foi à la longue fléchissante, à rendre sympathiques des promesses de réformes enflées en boniments, florissent les manifestes du bien général dont il ne reste, la baudruche crevée, que les chétives grimaces de l’ambition…

Pour tenir à l’étiage le « moral » précieux de la nation, au cours de la longue « dernière », on ne manqua pas de faire une publicité à ce monument de lourde suffisance et d’avilissant renoncement qu’est le Manifeste des Intellectuels allemands, se rangeant aux côtés des guerroyeurs mégalomanes de l’Empire. Chez nous, d’ailleurs, n’attendant que l’occasion (qu’ils eussent au besoin provoquée) répondirent ‒ pendant grotesque ‒

d’aussi plates déclarations de loyalisme patriotique de la part de nos vedettes littéraires ou artistiques, des sommités de notre monde scientifique. Un concert monocorde de périphrases en fausset, une orgie de phantasmes amphigouriques exaltaient, de chaque côté des frontières, l’unilatéralisme d’une « civilisation » menacée. Et l’on voyait un Anatole France, l’historien de la Pucelle, supplier (derrière un Hervé et un Jouhaux) qu’on lui donnât une arquebuse pour bouter l’Allemand hors de France. Les manifestes des partis ‒ succédanés et renforts de ceux des États ‒ foisonnèrent pendant ces quatre années d’abdications et de reniements. Grands chefs, clercs et menus bergers, dans le dessein d’amadouer le « jugement de l’histoire », y délayèrent (phrases pompeuses sur les virilités défaillantes) leurs évidentes trahisons.

Les socialistes dirigeants, délivrés d’un Jaurès, venaient solennellement, par le canal des Guesde et des Thomas, prostituer au service des capitalismes en lutte, la doctrine de l’internationale des prolétaires, s’agenouillaient sur les fauteuils des ministères de guerre. Et ils n’avaient pas de peine à trouver, dans leur arsenal de démagogues et de rhéteurs, les doucereux propos magnifiant le sacrifice de l’agneau. Il n’est pas jusqu’à quelques-uns des nôtres ‒ mieux avertis, nous dit-on (lumière soudaine pour plusieurs) des contingences et de l’évolution ‒ qui ne lancèrent aux camarades de ce pays une explication de leur attitude, appel de fait à une participation active, destinée, selon eux, à sauvegarder l’étape de notre « civilisation supérieure » (voir Seize : Manifeste des Seize). Seul, sur tous ces manifestes d’acquiescement, normaux ou inattendus, retentissait dans le monde (trait d’union des hommes de paix demeurés dignes, réconfort des consciences éparses résolues à ne pas abdiquer) au-dessus de la mêlée, le manifeste de sauvegarde morale d’un Romain Rolland criant la survivance de l’idée humaine quand les doctrines s’inclinaient…

Dans les arts, la littérature, on appelle aussi manifeste la publication de nouvelles manières de voir, de modes d’expression encore inusités, qu’accueille avec méfiance ou mépris le public traditionaliste et les cercles prévenus. Tel le manifeste littéraire de l’école romantique. ‒ Lanarque.


MANNE. n. f. (de l’hébreu man ou mah ou de l’égyptien man). Un des livres de la Bible (l’Exode, Ch. XVI) raconte que les israélites, sous la conduite de Moïse, traversant le désert de Sin et manquant de vivres, murmurèrent contre Moïse et Aaron, disant regretter le pays des Égyptiens et leurs potées de chair. Alors l’Éternel entendit leurs murmures et leur envoya d’abord un plein camp de cailles rôties, puis il leur désigna comme du pain « une petite chose ronde, menue, comme de la blanche gelée sur la terre » et qui avait fait place, tout autour du camp, à une couche de rosée. Cette masse comestible (ce pain), fut appelé Manne : « et elle était comme de la semence de coriandre : elle était blanche et elle avait le goût des beignets au miel ». Selon la légende et les livres sacrés, les israélites s’en nourrirent pendant les quarante ans qu’ils restèrent au désert.

Cet aliment miraculeux et gratuit a donné son nom, par extension, à tout aliment abondant et peu coûteux ex. : La datte est la manne de l’arabe. La pomme de terre est la manne des ouvriers.

La manne est un suc découlant spontanément ou par incision de l’écorce de certains frênes. Les caractères en sont les suivants : couleur blanche jaunâtre, odeur particulière et nauséabonde, saveur sucrée, miellée, et cependant désagréable. Elle est composée d’un principe doux et cristallisable, qui est : la mannite, et d’une matière extractive et incristallisable ; mais ces principes varient suivant les diverses espèces de mannes, qui