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PAP
1943

rien qui choque ni l’expérience, ni la raison ; c’est à tort qu’elle fut combattue par l’ancienne logique. Nous constatons par expérience que tout être est mouvement ; or tout mouvement apparaît comme le passage de la puissance à l’acte, c’est-à-dire d’un contraire à un autre contraire, par une action qui domine les deux. N’étant plus enchaîné par aucune nécessité, l’être peut se transformer et se transforme réellement en toutes choses. Un perpétuel devenir manifeste la synthèse qui contient, dans son sein, rationnel et réel, être et néant. Parti de l’être pur, ce devenir aboutit à l’homme en qui l’idée prend conscience d’elle-même ; après avoir donné le mouvement, il s’est, en effet, transformé en matière inorganique, puis en matière organique, puis en matière sensible. La doctrine hégélienne fut bien accueillie en France. Vacherot y trouvait « la vraie solution du problème de la vérité » ; Renan en a parlé avec beaucoup d’estime.

Nous pourrions rappeler d’autres systèmes et d’autres auteurs peu connus ; ce que nous avons dit suffit à donner une claire idée du panthéisme. Il est né du désir d’apporter une solution au problème des rapports de Dieu et du monde, de l’absolu et du relatif ; faux problème, à notre avis, puisque l’un des termes doit disparaître, Dieu, l’absolu n’étant que de vains mots, des entités imaginaires. Le besoin d’unité, la tendance à ramener le divers à l’identique, à simplifier l’apparent chaos du monde, si profondément enracinés dans notre esprit, ont favorisé son éclosion et son développement. Très supérieur au théisme chrétien, il est fort séduisant par sa grandeur spéculative et par son charme poétique ; il est vrai dans la mesure seulement où il se rapproche de l’athéisme. Mais, si belles qu’elles puissent être, les constructions du panthéisme restent fragiles et sans bases sérieuses. Le système des Stoïciens, celui de Plotin, de Spinoza ou d’Hegel ne sont que de beaux romans métaphysiques. Ils témoignent de la puissante imagination et du remarquable talent de leurs auteurs ; ils n’ont pas de valeur objective. Pour aboutir à de sérieux résultats en métaphysique, on devra répudier les anciennes méthodes pour adopter celles de la science expérimentale. Ce sont les astronomes, les physiciens, les chimistes, les biologistes qui élucideront les problèmes transcendants de l’origine première et de la destinée ultime de notre univers. — L. Barbedette.


PAPE, PAPAUTÉ. La Papauté incarne, dans le monde actuel, le principe d’autorité sous sa forme la plus tyrannique. Pour ce motif, tous les hommes de progrès devraient unir leurs efforts pour la combattre.

Les Papes ont toujours revendiqué, comme nous le montrerons, la direction spirituelle la plus large de la société, sachant bien que, lorsqu’on gouverne les cerveaux et les cœurs, on est également le maître des volontés et des corps.

Il y a trois ans, répondant indirectement à Mussolini dans une lettre qu’il adressait à son cardinal Gaspari, le pape Pie XI écrivait :

« Dire du Saint Siège qu’il est l’organe suprême de l’Église catholique universelle, et qu’il est, par suite, le légitime représentant de l’organisation de l’Église en Italie, c’est une formule qui ne peut être admise que dans le sens où l’on dirait que la tête est l’organe suprême du corps humain… C’est toujours le Souverain Pontife qui intervient et qui traite dans la plénitude de la souveraineté de l’Église catholique : pour parler exactement, il ne représente pas cette souveraineté, il la personnifie ; et il l’exerce en vertu d’un direct mandat divin… » (Croix. 11-6-29)

Le Pape ne représente pas la souveraineté catholique ; il la possède, il l’incarne. Il ne parle au nom de personne. Il ne doit rendre de comptes qu’à Dieu seul.

Tel est le sens de cette déclaration, qui a du moins le mérite de la franchise.

A notre époque de « liberté » et de « démocratie », un langage aussi surprenant semble ne révolter personne ; il recueille, au contraire, l’approbation pleine et entière des millions de catholiques répandus dans le monde.

On lit dans la Semaine religieuse du diocèse de Mende :

« Le Pape a parlé, nous devons obéir sans discuter ses ordres, quand même nous n’en comprendrions pas les raisons. Ses décisions valent indépendamment des raisons qui les appuient. Vouloir n’accepter que les ordres dont les raisons nous agréent, ce serait s’ériger en juge du Pape, ne vouloir obéir en définitive qu’à soi-même. »

Dans son numéro du 16 mai 1927, La Croix déclarait : « … Dieu, dont le Pape est ici-bas le vicaire, dont il est le vice-Dieu… »

L’Ami du Clergé (18-6-25), revêtu de l’Imprimatur du diocèse de Langres, imprime également que : « Le Pape, c’est donc Jésus-Christ demeuré visible parmi nous. Si vous voulez voir Jésus-Christ, allez à Rome, allez voir N. S. Père le Pape Pie XI. »

Le Pape est ainsi identifié à Dieu.

Rien d’étonnant, dans ces conditions, qu’il ait le droit de commander aux hommes : « Il n’y a qu’une seule autorité sereine et juste : c’est l’autorité du Pape, l’autorité de l’Église… Si elle jouissait de son plein essor, si elle était écoutée, il n’y aurait plus de question sociale, de haines nationales et de révolutions. » (Id.)

Pendant plusieurs siècles, l’autorité des Papes a prévalu et non seulement la fraternité n’a pas triomphé, mais les Pontifes ont fait régner sur les hommes la tyrannie la plus odieuse.

Il faut un certain cynisme, par conséquent, pour soutenir une thèse semblable. Mais le cynisme ne manque pas aux gens d’Église ; nous aurons plus d’une fois l’occasion de le constater.

L’Union Catholique de l’Hérault, dans son numéro du 14 avril 1929, affirme : « Le Pape… qu’il se nomme Benoît ou Léon, Grégoire ou Pie, c’est le Chef, le Pasteur, le Christ continué. »

Saint François de Sales n’avait-il pas dit : « Les seules idées chrétiennes sont les idées romaines. Jésus Christ et le Pape, c’est tout un. » (Cité par La Croix. 18-1-29.)

Toujours la même tendance de faire du Pape un Dieu.

Aussi Mgr Durand, évêque d’Oran, peut-il écrire (dans son mandement contre l’Action Française) :

« Quand le Souverain Pontife intervient dans une affaire de prime abord temporelle et donne des directions impératives, il ne faut pas voir qu’un conseil, mais bien un ordre à exécuter ponctuellement, parce qu’il traite alors cette affaire temporelle non pas du côté strictement temporel, mais bien du côté spirituel qu’elle implique, complètement sous sa juridiction dont il ne doit rendre compte qu’à Dieu…

Enfin, il est de foi catholique, proclamée par le Concile du Vatican, que la juridiction du Souverain Pontife s’étend sans aucune restriction à tout le spirituel, où qu’il se trouve. Il s’ensuit qu’il peut intervenir dans les affaires temporelles en proportion de la part spirituelle qu’elles contiennent. En le niant, l’Action Française se met donc, par voie de conséquence, en opposition avec le Concile du Vatican dont nous avons cité les deux anathèmes ; elle est encore à ce titre suspecte d’hérésie, haereticatis. »

Ce distinguo entre le temporel et le spirituel est assez subtil, mais, en dernier ressort, le Pape revendique le droit de les gouverner tous les deux. C’est ce qui res-