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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/601

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PAP
1944

sort du texte de Mgr Durand. C’est également ce qui découle des multiples déclarations de l’épiscopat et des théologiens.

Le R. P. de La Brière (Jésuite) écrivait dernièrement que la politique n’est qu’une branche de la morale et comme le Pape est tout puissant et infaillible en matière de morale, il a par conséquent le droit d’intervenir dans le domaine de la politique. (D’autre part, le Syllabus déclare que les sciences et la philosophie doivent être soumises à l’autorité de l’Église.)

Rien n’échapperait donc à la juridiction du Pape et il serait le maître de la société.

Le Cardinal Andrieu, archevêque de Bordeaux, est allé plus loin encore : il a mis le Pape au-dessus du Christ !

Je n’invente rien. Dans son mandement publié pour le Carême 1929, on peut lire :

« Écoutez saint Fulgence et avec lui saint Cyprien, saint Augustin et tant d’autres : « Croyez fermement et sans hésitation qu’aucun hérétique ou schismatique ne peut être sauvé, s’il n’est pas en communion avec l’Église et le Pape, quelques aumônes qu’il ait pu faire pendant sa vie, alors même qu’il aurait répandu son sang pour le nom de Jésus-Christ. »

Rien ne sert de faire le bien et de pratiquer la vertu, ni même de se sacrifier à Dieu. Avant tout il faut obéir au Pape.

Cette doctrine fait du Pape le vrai Dieu, car l’autre n’est guère encombrant.

Le moine Auguste Triomphus, dont la Somme fut publiée à Rome en 1584 (cette Somme avait été écrite sur l’ordre du Pape Jean XXII lui-même) prétendait que le Pape pourrait délivrer d’un seul coup, s’il le désirait (mais il n’y a pas intérêt, bien au contraire !) toutes les âmes du Purgatoire. « La puissance du Pape est si grande que le Pape lui-même n’en peut connaître la limite. »

Léon XIII, qu’on représente comme un pape libéral, a dit formellement :

« Puisque la fin à laquelle tend l’Église est de beaucoup la plus noble de toutes, son pouvoir aussi l’emporte sur tous les autres. »

Le Pape revendique donc tout le pouvoir. Il est bien loin de se cantonner dans une mission purement « spirituelle ».

N’a-t-il pas toujours réclamé le droit de vie et de mort sur les fidèles ? En 1862, le célèbre journaliste catholique Veuillot n’écrivait-il pas :

« Il se rencontre des hommes qui se scandalisent de voir aux mains du Père des fidèles le droit de vie et de mort. Ces mêmes hommes, toutefois, ne songent pas à contester au Pape le droit de lier et de délier les consciences, de retenir ou de remettre les péchés, d’ouvrir le ciel ou de le fermer. Pourquoi celui qui peut plus ne peut pas moins ? Pourquoi celui qui a reçu de Dieu le droit de vie et de mort éternelles ne pourrait-il pas recevoir aussi ce qui est infiniment moins, le droit de vie et de mort temporelles ? »

En 1851, le pape Pie IX avait censuré le canoniste Nuytz (de Turin) qui ne voulait accorder à l’Église qu’un pouvoir pénal spirituel et non temporel. (Lacordaire, Montalembert, etc…, furent blâmés pour le même motif.)

En créant le féroce tribunal de l’Inquisition, en obligeant les rois (sous les menaces les plus effroyables) à exterminer les hérétiques, les Papes ont montré qu’ils entendaient soumettre l’humanité tout entière à leur ambition.

Pour acquérir et pour conserver cette puissance exorbitante, la Papauté n’a pas reculé devant le choix des

moyens. Elle a imposé à ses fidèles une obéissance absolue et dégradante ; elle est allée jusqu’à se proclamer infaillible.

Le Cardinal Maurin, archevêque de Lyon, proclamait (Carême 1929) :

« Le privilège de l’Infaillibilité a été conféré à l’Église par le Christ. En vertu de cette prérogative, il est alors absolument impossible que le Pape se trompe. C’est une vérité de foi définie par le même Concile du Vatican et l’on ne pourrait la nier sans tomber dans l’hérésie et se séparer de l’Église. »

(Remarquons en passant que le Christ n’a rien conféré à l’Église et que les Évangiles ne disent pas un mot de tout cela, même en torturant les textes.)

Mgr Maurin citait ensuite des paroles du Pape Pie X lui-même, prononcées en 1910 :

« Quand on aime le Pape, on ne s’arrête pas à discuter sur ce qu’il conseille ou exige, à chercher jusqu’où va le devoir rigoureux de l’obéissance et à marquer la limite de cette obligation. Quand on aime le Pape, on n’objecte pas qu’il n’a pas parlé assez clairement, comme s’il était obligé de redire à l’oreille de chacun sa volonté clairement exprimée tant de fois, non seulement de vive voix, mais par des lettres et d’autres documents publics ; on ne met pas en doute ses ordres, sous le futile prétexte, pour qui ne veut pas obéir, qu’ils n’émanent pas effectivement de lui, mais de son entourage. On ne limite pas le champ où il peut et doit exercer sa volonté ; on n’oppose pas à l’autorité du Pape celle d’autres personnes, si doctes soient-elles, qui diffèrent d’avis avec le Pape. »

Peut-on imaginer langage plus orgueilleux de la part d’un potentat quelconque ?

Ignace de Loyola, fondateur de la Compagnie de Jésus, grand apôtre de l’obéissance (pour les autres), avait été jusqu’à dire que « si le pape décide que le blanc est noir, nous devons dire avec lui : c’est noir ! » (Exercices spirituels, édition de 1644, p. 290.)

Certains lecteurs penseront peut-être que les choses ont évolué depuis Loyola et que l’Église est moins exigeante aujourd’hui ?

Je les renvoie à nouveau au Cardinal Andrieu, archevêque de Bordeaux. Combattant l’Action Française, il définit la puissance du pape de la façon suivante :

« En faisant écho à ce refus d’obéissance, sous prétexte que le Pape était sorti de son domaine, les catholiques de l’Action Française adhérèrent à trois hérésies formelles : à l’hérésie qui conteste au Pape le droit de fixer lui-même les limites de sa compétence ; à l’hérésie qui conteste au Pape les pouvoirs de juridiction plénière tels que le Concile du Vatican les a définis ; à l’hérésie qui conteste au Pape le droit de décider souverainement et sans recours possible, même au Concile œcuménique. »

Le même cardinal publiait, le 31 juillet 1929, une lettre pour féliciter un royaliste d’avoir rompu avec l’Action Française pour faire sa soumission à l’Église. Et il signait sa lettre : « Bordeaux, le 31 Juillet 1929, en la fête de saint Ignace, le fondateur d’une illustre milice suscitée de Dieu en vue de combattre par l’obéissance au Pape, perinde ac cadaver, l’esprit de révolte contre le Pape, que Luther avait soufflé dans toute l’Europe avec son « Libre Examen » (La Croix, 8 août 1929.)

Ces quelques lignes suffisent à montrer que la mentalité cléricale n’a pas varié.

Toujours la haine de Luther et le mépris du libre examen. Toujours l’obéissance au Pape, perinde ac cadaver (comme un cadavre). Toujours le même souci de fouler aux pieds l’individu et d’en faire un automate.

En juin 1929, un pèlerinage français a été conduit à Rome par le général de Castelnau, qui a donné dans