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PAP
1945

son bulletin, Le Point de Direction, le compte rendu de la cérémonie, qui s’est déroulée d’ailleurs selon les traditions courantes. Les pèlerins se sont tous agenouillés et le Pape a traversé leurs rangs en leur donnant son anneau à baiser. Lorsqu’il fut installé sur son trône, Castelnau, toujours agenouillé, prit la parole pour l’assurer « de notre soumission sans réserve », « humblement prosternés aux pieds de Votre Sainteté », etc, etc… Semblable platitude n’est assurément plus de notre époque, mais il faut convenir qu’elle est la conséquence logique des croyances catholiques en l’infaillibilité et la pseudo-divinité du Pape.

Il me serait facile de multiplier les preuves de ce genre, pour montrer combien grande est la tyrannie papale — et combien grande la servilité des croyants catholiques. Il me semble plus intéressant de rechercher les conditions dans lesquelles un despotisme aussi monstrueux a pu naître et se développer.

Origine de la Papauté. — S’il fallait en croire les catholiques, la Papauté aurait une origine surnaturelle et divine. Son fondateur serait le Christ en personne, sous prétexte qu’il aurait dit à son disciple Pierre (qui devait le trahir si lâchement) : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église. » La prétendue divinité de l’Église ne repose donc que sur un mauvais calembour ; il ne faut pas être très exigeant pour se contenter de cette « preuve ».

Ajoutons qu’on ne sait pas grand chose sur saint Pierre, premier pape et fondateur de l’Église. L’histoire de son supplice est déclarée apocryphe par des historiens très compétents. Certains autres sont allés jusqu’à nier même son existence. En tout cas, il n’a jamais mis les pieds à Rome et n’a pu en être l’évêque, par conséquent.

Les débuts du christianisme sont entourés d’une grande obscurité et les documents sérieux sont très rares, ce qui n’empêche pas l’Église d’être très affirmative. Ainsi Pie XI, dans sa lettre du 11 juin 1929 au Cardinal Gasparri, assurait que « l’universalité se rencontre déjà de droit et de fait aux premiers débuts de l’Église et de la prédication apostolique ».

Or, ceci est absolument faux, il a fallu plusieurs siècles pour que la Papauté fût constituée. Il a fallu bien des luttes et bien des intrigues, il a fallu surtout du machiavélisme, du mensonge et nombre de faux documents, pour que l’évêque de Rome prenne le pas sur les autres évêques et leur impose son autorité.

« Les métropolitains sont restés, au moins jusque dans le ixe siècle, en possession d’instituer les évêques de leur province, sans intervention du Pape, dont ils avaient pourtant accepté depuis longtemps l’autorité sur eux-mêmes. » (Abbé de Meissas) Même lorsqu’ils eurent accepté l’autorité du pape, les évêques et archevêques métropolitains restèrent donc les maîtres dans leurs diocèses ; l’autorité du Pape fut, au début, purement nominale, honorifique. On s’effaçait devant l’évêque de Rome (comme devant celui de Constantinople) parce qu’il représentait une capitale importante, dont la renommée était considérable. L’idée de primauté s’attachait à la ville et non à la personnalité de l’évêque.

Les évêques de Rome eux-mêmes étaient bien éloignés de manifester à ce moment de grandes ambitions ; ils n’avaient pas la moindre idée de l’omnipotence qui serait revendiquée par leurs successeurs.

Au sein des premiers groupes chrétiens, il n’y avait pas de hiérarchie. La fraternité régnait de la façon la plus complète, car on attendait la fin du monde, que Jésus (il s’est trompé sur ce point comme sur beaucoup d’autres !) avait prédite comme imminente (Dogme de la Parousie). Dans cette attente, les disciples du Christ mettaient en commun tout ce qu’ils possédaient et vivaient sur le pied d’une parfaite égalité. Prêtres, évêques et simples fidèles ne se distinguaient aucunement les uns des autres, ni par le costume, ni par l’autorité.

Les premiers évêques de Rome n’ont donc laissé aucun souvenir historique tangible et sérieux, ce qui n’a pas empêché l’Église de les canoniser. De tous les premiers Papes des cinq premiers siècles sans exception, dont on ne sait rien, ou presque rien, elle a fait des saints, en effet ; probablement pour donner à leur personnalité un semblant de réalité.

Mgr  Duchesne, dans son ouvrage très érudit sur l’histoire de la Papauté, a supprimé une dizaine de papes que l’Église (infaillible pourtant !) avait toujours considérés comme authentiques. Il a bien fallu s’incliner, en maugréant, devant l’érudition du savant Mgr Duchesne et l’annuaire officiel du Vatican, dès 1905, adopta la chronologie remaniée. (La Vérité sur le Vatican, par V. Charbonnel). C’est ainsi que le pape Pie XI, qui devrait être le 266e successeur de saint Pierre, est devenu le 260e.

Charbonnel avait fait des découvertes assez amusantes. Parmi les papes supprimés (et qui n’ont jamais existé), se trouve saint Anaclet. On l’a biffé de la liste des papes, mais il continue à figurer, en qualité de saint, sur le calendrier — entouré d’ailleurs de beaucoup d’autres « saints » forgés de toutes pièces par les exploiteurs de belles légendes.

Ces exemples montrent qu’il ne faut accorder aucun crédit aux affirmations « historiques » de l’Église.



Chacun sait que la puissance de l’Église date du règne de l’empereur Constantin, qui trouva adroit d’appuyer son autorité personnelle, pour la rendre plus forte, sur les croyances du Christianisme — religion d’esclaves.

Il conféra aux évêques des pouvoirs judiciaires (314), mais il n’accorda rien de plus à l’évêque de Rome, pseudo-pape, qu’aux autres évêques.

Grâce à l’appui des empereurs, le christianisme progressa. Il s’était jusqu’alors peu développé à Rome puisqu’en 251, les chrétiens romains n’étaient au nombre que de quelques milliers, soit environ cinq pour cent seulement de la population totale, en dépit de tous les exploits soi-disant miraculeux attribués à Paul, à Pierre, aux premiers papes et aux innombrables martyrs de la foi chrétienne. La dite foi était si stupide qu’elle ne pouvait se développer que par l’appui des pouvoirs publics, c’est-à-dire par la contrainte et par l’intérêt.

Après les troubles de l’Arianisme, qui divisèrent les chrétiens, les dits chrétiens se resserrèrent un peu autour de Rome. Le Concile de Sardique (347) fut une des premières tentatives pour renforcer l’autorité de l’évêque romain, lui conférant un droit de juridiction sur toute l’Église. Malheureusement, les canons de Sardique sont des faux, probablement fabriqués au Vème siècle pour les besoins de la cause romaine et jamais le Concile de Sardique n’avait songé à prendre les décisions qu’on lui attribua mensongèrement par la suite. (Professeur Friedrich.)

En réalité, jusqu’au milieu du VIIIème siècle, en dépit des velléités de Rome, leur influence sur les chrétiens d’Orient demeura complètement nulle et même assez faible sur ceux d’Occident. Une rivalité acharnée dressait au surplus le pape de Rome contre son concurrent, pape de Constantinople. Ce dernier tirait sa puissance de la proximité du trône impérial.

« Si Constantinople avait conservé l’empire du monde ; si le relèvement qui marqua le règne de Justinien avait eu des suites, Rome eût été probablement vaincue dans la lutte. Au lieu de la Papauté romaine, nous aurions subi sans doute une Papauté byzantine. » (De Meissas.)

Ainsi, le développement de l’Église chrétienne fut conditionné bien davantage par des facteurs politiques que par des facteurs purement religieux et moraux.