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PAP
1948

par contrat. » Nicolarts Zallwein, Œnas Sylvins, Pirro Corrado, Roccaberti, Felino Sandei soutiennent la même thèse.

Le 14 décembre 1740, Benoît XIV renouvelle ces prescriptions et se met au-dessus de tout concordat, dans sa lettre au Chapitre de Liège. En 1893, Pezzani, théologien pontifical, déclare qu’un concordat n’est qu’une concession, toujours révocable dès qu’elle cesse d’être utile à l’Église ; il ajoute que l’obéissance est due même à un pape pervers. (Voir les remontrances de saint Bernard (1091-1153), à la Papauté et aux Grands de l’Église, qui dominent et s’enrichissent. Cité par le Docteur Mariavé.)

Dans leur orgueil, les Papes se plaçaient donc tout à fait au-dessus de la chétive humanité !

Aussi, quelles rivalités, quelles luttes haineuses vont se livrer pour la possession de la tiare ! Et que de crimes aussi… Nombreux sont les papes qui n’ont gouverné que pendant quelques mois, voire quelques semaines et qui mouraient subitement, empoisonnés par les prélats impatients de leur succéder !

L’abbé de Meissas a dressé un tableau récapitulatif des pontificats les plus courts. Je regrette que la place me fasse défaut pour le reproduire, car il est très suggestif. Contentons-nous d’y relever quelques noms.

Entre les années 235 et 1605, il a régné 212 papes. 42 n’ont pas régné une année entière. (La fin du IXème siècle vit 10 papes en 17 ans !)

Sisinnius ne gouverna que 19 jours ; Étienne I, 3 jours ; Boniface VI, 15 jours ; Théodore II, 20 jours ; Jean XV, un mois ; Damase II, 23 jours ; Célestin IV, 16 jours ; Pie III, 25 jours ; Marcel II, 2 jours (c’est un record !) ; Urbain VII, 15 jours ; Léon XI, 26 jours (le record fut battu en 1276 : 4 papes se succédèrent, en effet, au cours de cette seule année). Je n’énumère pas ceux dont le règne a duré un mois, six semaines ou trois mois au maximum, la liste en serait trop longue.

Les papes étaient terriblement puissants, mais ils soulevaient tant de jalousies et de haines que, malgré les précautions les plus prudentes, ils finissaient souvent par succomber.

Il avait fallu 35 jours de conclave pour élire Pie III — et il ne gouverna que 25 jours.

Lorsque les cardinaux ne parvenaient pas à se mettre d’accord pour l’élection du Pape, ils votaient pour le plus vieux, le plus malade (ou le plus bête), espérant ainsi se retrouver bientôt devant un siège vacant et de nouvelles élections.

L’Église ose, néanmoins, prétendre que les Papes sont élus sous l’inspiration du Saint Esprit !

Bien entendu, les femmes jouaient un rôle de premier plan dans ces intrigues et ces compétitions. Armand Dubarry a pu dire que « les femmes ont fait plus de prélats, cardinaux, papes que tous les souverains réunis » (Histoire de la Cour de Rome).

En 1281, le Conclave, réuni à Viterbe, traînait en longueur. La foule envahit alors le palais et enlève les cardinaux Matteo et Giordano Orsini, parents du défunt pape, qui entravaient l’élection, paraît-il. La nomination du nouveau pape, Martin IV, put alors se faire sans difficultés. Voilà une manifestation vigoureuse… du Saint-Esprit !

Le Français De Brosses, qui voyageait en Italie, vers 1740, a laissé sur les Conclaves des pages inoubliables, presque aussi sévères que celles qui furent écrites, moins d’un siècle plus tard, par l’illustre écrivain catholique Chateaubriand. Écoutons De Brosses :

« Il n’y a ni petit ni grand dans Rome qui n’ait un intérêt personnel à ce que tel ou tel soit élu, à cause des liaisons et des protections, à cause des cardinaux qu’il fera et parce qu’il rend incontinent son chapeau à quelqu’autre personne appartenant à la famille du pape qui le lui a donné ; de sorte qu’il importe à beau-

coup de gens que le nouveau pontife soit choisi dans le nombre des créatures de tel ou tel pape. » (Cité par Dubarry).

On cite des papes qui achetèrent à beaux écus une partie des cardinaux composant le Conclave, afin d’être élus à coup sûr ! Ce fut le cas du cardinal Rodrigue Borgia, élu pape, en dépit de sa vie scandaleuse (il avait 5 bâtards) en prodiguant l’or et les promesses.

Il leur fallait, une fois élus, récupérer leur mise de fonds en pressurant la chrétienté et en vendant aux enchères toutes les charges ecclésiastiques.

« Il n’est plus un évêché, il n’est plus une dignité ecclésiastique, il n’est plus une simple place de curé, dit l’abbé Burchard d’Ursperg, dont on ne fasse l’objet d’un procès à Rome et malheur à celui qui y arrive les mains vides. » (Dœllinger).

« Tout se vendit autour du pape : la pourpre, la mitre, les bénéfices, les titres, les décorations ; car rien n’égalait l’appétit de ce beau monde clérical, couvert de dentelles, de soie, de brocart et servi par un nombreux domestique. » (Dubarry).

Que d’abus dans la nomination des cardinaux !

Leur nombre était d’abord très réduit. En 1277, le Conclave qui élit Nicolas III n’était composé que de 8 cardinaux seulement.

Il y en eut ensuite 10, puis 20, puis 40, 50… Sixte V décida qu’il y en aurait 70, et ce chiffre a prévalu.

C’était une source de très gros bénéfices. Aussi nous ne devons pas nous étonner d’apprendre que Léon X ait créé cardinal à l’âge de sept ans, le fils du roi du Portugal.

Alexandre VI nomme le fils du roi de Sicile, âgé de 4 ans, coadjuteur de l’évêque de Metz. Jean X nomme archevêque un enfant de 5 ans, fils du comte de Vermandois et Clément VII fait cardinal le jeune Odet de Coligny — il avait 11 ans.

En 1534, Paul III fait cardinal son neveu Nicolas (12 ans).

Sixte Quint nomme également son neveu Peretti cardinal, à l’âge de 14 ans.

Léon X avait été créé cardinal à 14 ans par Innocent VIII. (Il est vrai qu’on pouvait également être pape à 23 ans (Grégoire V), à 16 ans (l’infâme Jean XII) et même à 12 ans (Benoît IX).

Nul n’ignore que ce sont tous ces abus, cet amour effréné de l’argent, la vente des indulgences, des évêchés, des cures, le spectacle des orgies, des empoisonnements, des turpitudes de la Papauté qui ont rendu possible la révolte de Luther et le grand mouvement de réformation protestante. Le siège de saint Pierre, grisé de sa toute puissance, sombrait dans la folie et la pourriture.

Le chancelier Gerson, dont on a fêté récemment l’anniversaire, déclare : « Par suite de l’avarice cléricale, de la simonie, de l’avidité et de l’ambition des papes, l’autorité des évêques et des chefs inférieurs des Églises a été absolument détruite et anéantie… »

On excommuniait quantité de gens pour des bagatelles, leur laissant ensuite la faculté de se racheter de ces excommunications par le versement de sommes écrasantes. L’exploitation de la superstition fut poussée à ses extrêmes limites.

L’évêque Alvaro Pelayo raconte qu’il aperçut, chaque fois qu’il entra dans les antichambres du pape, des courtisans occupés à compter des pièces d’or, dont les monceaux s’élevaient devant eux. (Dœllinger).

Jacques de Vitry (qui fut lui-même cardinal), disait : « Les revenus de la France entière suffiraient à peine à subvenir au luxe des cardinaux. » Et ces personnages se disputaient le Saint-Siège comme une proie.