ment d’ensemble » ; allez au mouvement ouvrier. Le communisme ne sortira pas de l’agitation désordonnée de sectes impulsives, mais d’un mouvement ouvrier porté à sa plus haute puissance ; il sortira de la lutte de classe des prolétaires gagnés à l’idée communiste et devenus, par elle, plus conscients et plus sûrs d’eux-mêmes, mieux organisés et plus forts. Avant tout autre, Marx a deviné que le mouvement ouvrier, si faible encore, portait en lui un nouveau monde ; avant tout autre, il a compris que la société communiste ne serait autre chose que le mouvement ouvrier parvenu ‒après « de longues luttes et toute une série de progrès historiques qui transformeront les circonstances et les hommes » ‒au terme fatidique de son évolution. Lorsque Lassalle s’écriera « Le prolétariat est le roc sur quoi sera bâtie l’Église de l’avenir », il ne fera que reproduire sous une forme oratoire une idée maîtresse du marxisme. (Encore sied-il de ne point prendre à la lettre l’éclatante métaphore de Lassalle, le prolétariat n’étant nullement, dans le processus de l’édification socialiste, un substratum inerte : c’est sur lui, mais c’est aussi par lui, que l’Église de l’avenir (le socialisme) s’élèvera).
Le Manifeste Communiste (1848) eut précisément pour objet d’unir en une synthèse puissante le mouvement ouvrier et le communisme militant, ‒ la force et l’idée. Il annonce la mission historique du prolétariat ‒ réaliser le communisme, ‒ parce qu’il identifie ces deux termes jusque-là séparés : révolution communiste et libération du prolétariat. Bien entendu, cette libération sera l’œuvre du prolétariat lui-même, ainsi que le proclamera plus tard ‒ sous la dictée de Marx ‒ la première Internationale. Les communistes abandonnés à leurs seules forces y seraient bien impuissants. Ayant à définir dans le Manifeste « la position des communistes par rapport à l’ensemble des prolétaires ». Marx et Engels rabattent sans hésiter communisme et communistes sur le plan du prolétariat, du mouvement prolétarien : « Les communistes n’ont point d’intérêt qui les séparent de l’ensemble du prolétariat. Ils ne proclament pas de principes distincts sur lesquels ils voudraient modeler le mouvement ouvrier… Pratiquement, ils sont la fraction la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui entraîne toutes les autres ; théoriquement, ils ont sur le reste du prolétariat l’avantage d’une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien… Les conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées, des principes inventés ou découverts par tel ou tel réformateur du monde. Elles ne sont que l’expression globale d’une lutte de classe existante, d’un mouvement historique évoluant de lui-même sous nos yeux. » Fidèles à la méthode du matérialisme historique, Marx et Engels ont intégré le communisme au prolétariat.
Ainsi donc, partis de la conception matérialiste de l’histoire, Marx et Engels aboutissent, par la lutte de classe prolétarienne, à la révolution sociale. Matérialisme historique, lutte de classe, révolution socialiste, ce sont les éléments fondamentaux de la construction marxiste, ‒ les colonnes du temple. Au point où en est notre analyse, nous savons que les modes de production et les formes sociales qui en résultent « avec nécessité » sont le fondement de l’histoire ; nous savons que cette histoire tout entière est faite de luttes de classes, plébéiens contre patriciens, serfs contre seigneurs, compagnons contre maîtres, tiers-état contre noblesse ; nous savons enfin que le socialisme n’est autre chose que l’expression, dans la conscience moderne, de la lutte de classe du prolétariat contre la bourgeoisie, et que la victoire du prolétariat sera celle du socialisme.
Ce n’est pas là pourtant l’intégralité du marxisme.
Il ne pouvait suffire à Marx d’avoir remis sur leurs pieds l’histoire d’abord, le socialisme ensuite. Il ne pouvait lui suffire non plus d’avoir fondé le socialisme sur la base inexpugnable du prolétariat et de la lutte de classe. Il lui restait pour achever sa tâche à porter la main sur le sanctuaire de la science bourgeoise, à renverser les autels dressés au Capital par les grands prêtres de l’Économie politique, à faire place nette en un mot pour le socialisme scientifique qu’il méditait de constituer.
C’est à quoi il s’employa sans relâche lorsqu’en 1849, l’échec des révolutions européennes lui eut fait reprendre le chemin de l’exil.
Avec l’ancien socialisme, les économistes avaient eu vraiment beau jeu. Le caractère fantaisiste de ses constructions en plein ciel, sa méconnaissance de l’histoire, son ignorance des acquisitions les plus sûres de l’économie politique bourgeoise faisaient de lui une cible facile. C’était à qui, dans le monde des tenants de la « science » le criblerait de réfutations en règle ou de sarcasmes altiers. Après 1848, ils crurent si bien le socialisme mort qu’un d’eux s’écria, triomphant : « Parler de lui, c’est prononcer son oraison funèbre. » C’est à ce moment que Marx se dressa devant eux, lanière en main. Alors, pour ces messieurs, ce fut fini de rire. Marx allait s’attaquer sans ménagements académiques aux dogmes sophistiqués de la « Science ». Il allait arracher son voile à cette moderne Isis : la production capitaliste, démonter pièce à pièce le mécanisme économique instauré à son profit par le Capital, analyser les antinomies qui déchirent la vieille société et qui, de choc en choc, de crise en crise, finiront par la tuer.
« La chute de la bourgeoisie et la victoire du prolétariat sont également inévitables. » C’est en ces termes que, dès 1848, le Manifeste annonçait aux prolétaires les destinées de leur classe. Ce n’était qu’une prophétie. Restait à la fonder sur des faits. Marx y consacra près de vingt ans. Le Capital, paru en 1867, formule la loi qui préside au mouvement de la société bourgeoise et, de l’observation de ce mouvement, conclut à la nécessité du socialisme. Le socialisme cesse d’être un rêve de justice sociale ; son avenir est garanti, sa réalisation est certaine : il sortira du développement même de la société capitaliste, en même temps que de la volonté et de la conscience des prolétaires. Pour la classe ouvrière qui souffre, se débat et lutte, quelle force désormais de pouvoir se dire : « Quoi qu’il arrive, l’avenir est à moi, je vaincrai ! » Cette grande force les travailleurs la doivent à Karl Marx.
Le mystère de la production capitaliste (valeur et plus-value). ‒ Le Capital est une œuvre gigantesque, puissante, touffue, une forêt de faits et d’idées où il n’est guère prudent de s’aventurer sans guide. Comment résumer en quelques lignes une œuvre de cette envergure ?
Marx se place sur le même terrain que les chefs de l’économie politique classique, les Adam Smith et les Ricardo. Mais où ceux-ci croyaient avoir découvert des lois naturelles inflexibles, il ne voit, lui, que des lois historiques, donc circonstancielles et éphémères. Pas de lois naturelles, mais des lois inhérentes à une société donnée, qui a commencé et qui finira : la société capitaliste, productrice de « valeurs d’échange », de « marchandises ». Marx introduit l’histoire dans le sanctuaire, peuplé d’abstractions, rigides comme des statues, de l’économie classique : et cette initiative hardie constitue à elle seule une révolution scientifique.
De quoi s’agit-il pour Marx ? Il s’agit d’éclaircir le « mystère de la production capitaliste. » Comment le capital est-il venu au monde ? Comment a-t-il grandi, ne cesse-t-il de grandir ? Comment, n’étant que du tra-