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ments qui permirent de se débarrasser d’un adversaire ou d’un oncle à héritage et qui restèrent toujours ignorés. Longtemps, il fut nécessaire de constater la présence d’un toxique dans l’estomac ou les intestins, pour affirmer avec certitude que la mort était survenue par empoisonnement. Depuis Orfila, on le recherche dans les organes où il pénètre après l’absorption ; et les méthodes employées pour y parvenir se perfectionnent constamment. Aujourd’hui, dépassant la constatation des effets immédiats, habituellement d’importance secondaire, les toxicologues étudient l’action intime des substances vénéneuses sur les humeurs et les tissus. Ils savent que les poisons ne se portent pas indifféremment vers toutes les parties du corps et qu’ils manifestent d’ordinaire une préférence pour un organe déterminé : foie, poumons, système nerveux, par exemple. Les poisons furent divisés autrefois, d’après leur origine, en poisons minéraux, végétaux et animaux. Tenant compte de leur action sur l’organisme, on les a partagés, depuis, en quatre classes : 1° les poisons irritants qui corrodent les parties qu’ils touchent et provoquent leur inflammation : acides et alcalis concentrés, préparations arsenicales, mercurielles, de cuivre, d’antimoine, de plomb, d’argent, cantharides, ellébore, coloquinte, euphorbe, etc. ; 2° les stupéfiants, qui agissent sur le système nerveux sans enflammer les organes qu’ils touchent : acide prussique, eaux de laurier-cerise et d’amande amères, opium, morphine, etc. ; 3° les poisons narcotico-âcres qui paralysent le cerveau et enflamment les parties sur lesquelles on les applique : ciguë, digitale, produits des strychnées, belladone, alcool, éther, tabac, oxyde de carbone, champignons, etc. ; 4° les putréfiants qui altèrent les liquides de l’organisme : venins provenant de la piqûre d’animaux. Les virus, autrefois rangés dans cette dernière catégorie, sont maintenant du domaine de la bactériologie. Depuis que des savants, vrais criminels dignes du mépris public, s’adonnent à l’étude des gaz asphyxiants, en prévision des guerres futures, cette branche de la toxicologie prend un développement de plus en plus considérable. Parmi les poisons qui servent à donner la mort, quelques-uns méritent de retenir particulièrement notre attention. Les composés de l’arsenic, l’acide arsénieux surtout, furent très fréquemment employés autrefois, mais les empoisonneurs contemporains leur préfèrent des substances plus actives. Ces toxiques provoquent de violentes coliques, des vomissements qui s’accompagnent d’un ensemble de symptômes rappelant ceux du choléra. Parfois l’empoisonnement revêt une forme lente. Depuis que les allumettes sont universellement répandues, l’intoxication par l’es matières phosphorées n’est pas rare. Généralement la mort survient après 4, 6, 8, 10 jours et plus de souffrances. Presque toujours, l’empoisonnement par les composés cyanés résulte d’une méprise ou indique un suicide. La terminaison fatale survient en moins d’une minute si I’acide cyanhydrique est absorbé sous forme de gaz ; après quelques minutes s’il est ingéré par voie digestive ; plus tardivement si le cyanure est en solution diluée. De tous les poisons, l’oxyde de carbone est probablement celui qui fait le plus de victimes ; le gaz d’éclairage en contient de 10 à 14 pour 100. Or, il suffit d’un millième d’oxyde de carbone dans l’air pour provoquer l’asphyxie. Contrairement à ce que l’on croit, l’intoxication est habituellement douloureuse au début. Nombre d’empoisonnements criminels ou de suicides sont dus actuellement à la strychnine, que le public se procure sans trop de peine pour la destruction des animaux nuisibles. Elle provoque des phénomènes de tétanisation musculaire et entraîne la mort dans un laps de temps qui, après l’apparition des premiers symptômes, peut aller d’une demi-heure à 4 heures. L’intoxication par les champignons est presque toujours involontaire, mais sa fréquence démontre que la récolte de ces cryptogames doit se faire avec une extrême prudence.

Morphine, héroïne, cocaïne peuvent servir à obtenir une mort rapide, mais d’ordinaire l’on s’arrête à des doses qui provoquent seulement une passagère euphorie. L’usage quotidien de ces drogues conduit aux pires déchéances et physiques et morales. Stupéfiant préféré de la race jaune, l’opium cause de grands ravages en Extrême-Orient. C’est par des sentiers fleuris qu’il conduit aux suprêmes dégradations. Le plus souvent on le fume ; à quelques-uns, dix à vingt pipes suffisent, chaque jour ; il en faut de cinquante à cent aux amateurs passionnés de la drogue. Immatérielle légèreté, béatitude, clairvoyance, telles sont les impressions premières de l’intoxiqué ; les idées affluent lumineuses et dociles, l’imagination s’exalte, l’ouïe et la vue acquièrent une finesse extrême. Des scènes magnifiques se déroulent qui répondent à la mentalité de l’individu et traduisent ses désirs secrets ; il plane dans des sphères inaccessibles aux mortels ordinaires. Mais l’opiomane, victime d’une longue habitude, quitte plus tard les régions célestes pour un monde de cauchemars infernaux. La volonté sombre, le caractère se modifie ; miné par la cachexie, le corps est d’une prodigieuse maigreur, les yeux sont hagards, le teint pâle ; des illusions sensorielles surviennent, parfois éclate un véritable delirium tremens opiacé. Ce qui est vrai de l’opium l’est aussi de la morphine, un alcaloïde que le premier contient dans une proportion moyenne de 10 pour 100. Utile lorsqu’il s’agit de souffrances intolérables ou de maladies impossibles à guérir, ce stupéfiant, qu’on emploie en injections sous-cutanées, provoque une ivresse à laquelle prennent goût très vite même les bien-portants. Les morphinomanes sont actuellement nombreux en Occident, mais ils payent chèrement les jouissances qu’ils se procurent. Fétidité de l’haleine, constipation opiniâtre, perte de l’appétit, maigreur extrême surviennent chez l’intoxiqué ; et, comme il se pique finalement à toute heure et n’importe où, sans précautions aseptiques, il est couvert de flegmons et d’abcès. Vouloir et moralité s’en vont ; l’intelligence s’obscurcit ; puis ce sont d’horribles et fréquentes hallucinations. L’héroïne possède les mêmes propriétés que la morphine, mais une force double : d’où un danger accrû pour qui l’utilise. Dionine, narcéine, codéine ont une nocuité réduite au contraire. A l’inverse de l’opium qui rend passif, la cocaïne exalte l’activité. On l’extrait des feuilles du coca, un arbuste dont les qualités ne furent point ignorées dans l’antique royaume des Incas. Précieuse en chirurgie pour ses vertus anesthésiantes, elle est encore l’un des excitants les plus recherchés. La cocaïne, la coco des habitués de Montmartre, est la drogue préférée des intellectuels, des aviateurs, de tous ceux qui ont besoin de décupler leur énergie à de certains moments. Au début de faibles doses suffisent ; il faut les élever très vite ; dans des cas exceptionnels, elles atteignent, dit-on, 20 grammes par jour. Sous l’influence du poison, une euphorie spéciale s’empare de l’individu ; il bavarde, remue, estime clairs les problèmes les plus ardus ; il improvise sans effort et s’exprime avec une étonnante précision ; la résistance physique augmente, la fatigue musculaire s’évanouit. Plus tard, le cocaïnisme engendrera l’irritabilité, le dégoût du travail, le besoin de contredire, la manie des longues courses en voiture ; une perforation intérieure de la cloison nasale se produit, stigmate souvent ignoré du priseur. Avec l’accroissement des doses, la déchéance s’accentue. Prédisposé aux maladies qui frappent les débilités, le patient devient sujet, en outre, à de fréquentes hallucinations. Des insectes, croit-il, grouillent sous son épiderme, ses yeux les lui montrent en certains cas et il se sert d’épingles ou de canifs pour les extraire ; des mouvements rapides animent les objets qui l’entourent, parfois les personnages des tableaux qu’il regarde ; il entend des bruits, des craquements et d’imaginaires injures provoquent chez lui de folles colères. C’est à l’asile d’aliénés que conduit l’abus de la