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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 4.1.djvu/17

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PAT
1983

entre un Bossuet et un Proudhon, un Joseph de Maistre et un Hugo, par exemple ; il en existe, au contraire, entre Bossuet (Français) et le pape (Italien) ; entre Proudhon (Français) et Kropotkine (Russe). L’héritage littéraire, artistique, scientifique, n’est ni Français, ni Allemand, ni Anglais ; il est universel, il est humain.

C’est l’histoire du pays, avec ses gloires et ses revers. — L’histoire officielle sans doute. La belle histoire aux pages sanglantes, l’histoire des crimes. Quoi, la solidarité dans le meurtre ! La fierté de communier avec des assassins disparus ! Ah ! Quel est l’esprit sensé qui ne répudie ces « gloires » et ces « revers » ? Gloires, les victoires de Bouvines, de Marignan, de Rocroy, d’Austerlitz, de la Marne ; et revers, les défaites d’Alésia, de Waterloo, de Sedan ? Allons donc ! Est-ce que ces événements ont jamais influé sur le sort de l’individu qui n’a comme toute fortune que ses deux bras à louer au service d’autrui, autrement qu’en le privant parfois de l’usage de ces bras ? Gloire, le bien-être et la vie ; revers, la souffrance et la mort ; et c’est tout. Quant à l’histoire véritable, celle qui a opposé tout au long des siècles les riches et les pauvres ; celle qui se poursuit tous les jours dans la lutte des classes, elle est la négation même de la patrie.

C’est une association d’individus qui acceptent librement la même forme de gouvernement pour bénéficier de libertés égales. — Les faits sont en contradiction flagrante avec cette affirmation, on reconnaît là l’idée des philosophes et des révolutionnaires de 1790. On sent l’embrassade qui vient. Si tout le monde acceptait la même forme de gouvernement, la question sociale serait résolue. Quant aux libertés, on sait ce qu’il faut entendre par là : celles qui laissent le riche comme le pauvre libres « de coucher sous les ponts ou de voler du pain ». Il n’y a jamais eu d’acceptation unanime du régime. Il y a toujours eu opposition au plus grand nombre de lois faites par une minorité et au profit de cette minorité.

C’est Partout où l’on est bien. — La patrie n’est même pas cela ; car en quel lieu est-on bien ? En quel lieu n’est-on pas spolié d’une partie de son travail ? Où donc existe la justice ? « Ubi bene ibi patria ». Aphorisme hérité de l’antiquité — et sophisme — La patrie des Espagnols habitant Bordeaux par exemple n’est pas l’Espagne puisque la misère les a chassés de leur pays ; elle n’est pas la France lorsqu’ils n’y peuvent plus vivre. Devient-elle la République Argentine ou les États-Unis lorsqu’ils y émigrent ? Autant vaudrait demander où est la patrie du Juif errant.

C’est une grande famille où tous les membres ayant des intérêts communs, sont solidaires les uns des autres ; la patrie c’est notre mère. — Il n’y a pas d’intérêts communs dans la société actuelle. Il y a lutte, il y a bas égoïsme, il y a concurrence, il y a inégalité. Singulière famille — ou plutôt famille normale en effet — où l’on se querelle, où l’on se jalouse, où l’on désire ardemment la disparition du prochain pour jouir de sa fortune ; où l’on active autant que possible la mort du concurrent dans une lutte au couteau. Singulière famille où les uns sont rassasiés et où les autres ont faim ; où les uns travaillent et n’ont rien et où les autres ne font rien et ont tout. C. Bouglé dit cependant : « C’est de l’association que l’individu reçoit, non pas seulement le pain du corps, mais le pain de l’âme. En ce sens notre patrie est bien notre mère spirituelle ». (Encyc.). Pour le pain du corps, nous sommes fixés. Quant au « pain de l’âme », combien peu y goûtent ! Et pour ceux-ci ce « pain » est le trésor universel légué par l’humanité tout entière. G. Hervé écrivait naguère : « Les patries, des mères ? Allons donc, des marâtres cruelles que tous leurs fils déshérités ont le droit et le devoir d’exécrer. »

Nous ajouterons simplement ceci : Si toutes les vraies

mères étaient comme la patrie, il y aurait longtemps que le genre humain aurait disparu de la planète.

b) Où donc est la patrie ? — Puisque nous n’avons pu trouver une définition satisfaisante de la patrie, puisque — comme pour Dieu — nous savons plutôt ce qu’elle n’est pas que ce qu’elle est, essayons de chercher ce que cache ce mot pour la majeure partie des individus.

Voltaire dit : « Un juif a-t-il une patrie ?… Sa patrie est-elle Jérusalem ? Il a ouï dire vaguement qu’autrefois ses ancêtres, quels qu’ils fussent, ont habité, ce terrain pierreux et stérile et bordé d’un désert abominable, et que les Turcs sont maîtres aujourd’hui de ce petit pays dont ils ne retirent presque rien. Jérusalem n’est pas sa patrie. Il n’en a point ; il n’a pas sur la terre un pied carré qui lui appartienne. »

Nous trouvons aussi dans le Dictionnaire philosophique : « Les moines oseraient-ils dire qu’ils ont une patrie ? Elle est, disent-ils, dans le ciel ; à la bonne heure ; mais dans ce monde, je ne leur en connais pas. »

Dans ce monde, la patrie des moines et des curés, c’est Lourdes, c’est Lisieux, c’est Rome, c’est le denier du culte, c’est le besoin de domination, c’est l’argent.

Où est la patrie du commerçant ? « Le Banian, l’Arménien qui passent leur vie à courir dans tout l’Orient, et à faire le métier de courtiers, peuvent-ils dire, ma chère patrie, ma chère patrie ? Ils n’en ont d’autre que leur bourse et leur livre de compte. » (Voltaire.) « Le commerçant qui achète et vend des produits étrangers concurrençant ceux de sa patrie ne s’occupe point s’il nuit à des gens de même patrie que lui. Son intérêt seul le guide. Sa patrie, c’est son intérêt. » (Hamon.)

Où est la patrie du soldat ? Celle du mercenaire ? « Parmi nos nations d’Europe, tous ces meurtriers qui louent leurs services, et qui vendent leur sang au premier roi qui veut les payer, ont-ils une patrie ? Ils en ont moins qu’un oiseau de proie, qui revient tous les soirs dans le creux du rocher où sa mère fit son nid. » (Voltaire). Où est la patrie des soldats de la Légion Étrangère ? Celle des engagés et des rengagés ? Elle est dans la solde ; elle est dans les primes, elle est dans leur intérêt. « L’officier et le soldat qui dévasteront leur quartier d’hiver, si on les laisse faire, ont-ils un amour bien tendre pour les paysans qu’ils ruinent ? Où était la patrie du duc de Guise le balafré ? Était-ce à Nancy, à Paris, à Madrid, à Rome ? Quelle patrie aviez-vous, cardinaux de La Balue, Duprat, Lorraine, Mazarin ? Où fut la patrie d’Attila et de cent héros de ce genre, qui, en courant toujours, n’étaient jamais hors de leur chemin ? Je voudrais bien qu’on me dît quelle était la patrie d’Abraham ? » (Voltaire).

Où est la patrie de l’industriel ? « Il emploie des ouvriers étrangers parce qu’ils exigent un salaire moindre ; il agit conformément à son intérêt et nuit à des individus de même patrie. Sa patrie, c’est son intérêt. » (Hamon). Où est la patrie du Comité des Forges ? Ces hommes « forment une féodalité si puissante, si ramifiée, si étendue, que les îlots féodaux de l’ancien temps ne lui sont en aucune façon comparables. Les États sont leur chose ; le monde entier leur proie. Magnats du Haut-Fourneau, Magnats des Charbonnages, Magnats des Grandes Compagnies de Transport, Magnats de la Banque : voilà les hommes qui règnent quelles que puissent être les formes gouvernementales que les peuples se donnent. » (Rhillon). N’allons pas parler patrie à ceux qui composent « l’internationale sanglante des armements ». Où est la patrie du financier « qui spécule à toutes les Bourses, qui agiote sur tous les fonds, préjudicie ceux de sa patrie imperturbablement, car, pour lui, la patrie est son intérêt personnel ? » (Hamon). Où est la patrie de ceux qui font voyager l’or de capitale en capitale, par avion, afin de mieux spéculer sur les monnaies nationales ? Leur patrie, c’est