Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 4.1.djvu/274

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
PSY
2240

maturité, d’œufs suivant leur fraîcheur, le classement des déchets métalliques d’après leur couleur, le triage de certaines semences, le triage des laines et cotons bruts, etc. Pour quelques-unes de ces opérations, le cerveau animal serait d’un emploi beaucoup plus économique que le cerveau humain. » (C. Bussard, Revue Scientifique, 13 juin 1931.) Les capitalistes, américains surtout, veulent, par la rationalisation, faire de l’homme, moins qu’un animal, un automate ; il s’agit maintenant d’éduquer l’animal pour lui faire concurrencer l’homme.

On veut aussi tirer de l’animal des éclaircissements sur la sociologie ; comprendre comment un chef peut se dégager de la masse des sujets, comment peut s’établir une hiérarchie. « Jusqu’à présent, les lois sociales les plus simples nous ont échappé ou, du moins, nous n’avons pu les connaître avec certitude, faute pour le sociologue de disposer de la faculté d’expérimenter, comme on le fait dans toutes les sciences qui ne touchent pas à l’homme. Lorsqu’on sera en mesure de créer et de modifier à sa guise de petites sociétés animales, on pourra, peut-être, dégager des expériences faites des lois fondamentales qui régissent la grande Société, la nôtre. » (Id.) L’auteur paraît perdre de vue que ce qu’il faudrait observer, puisque les hommes ont créé eux-mêmes leur grande société, ce sont les gouvernements que se donneraient spontanément les animaux ; mais ils ne sont pas si bêtes.

Ce rêve d’une « Zoo-Sociologie Expérimentale » n’est sans doute pas près de se réaliser. Faut-il le regretter ? Des législateurs à quatre pattes seraient peut-être plus sages et moins dangereux, surtout, que des législateurs aux mains avides, aux doigts trop crochus.

Cette digression était pour faire sentir le danger que peut présenter l’école analogiste qui « s’efforce de comprendre les réactions animales par leur ressemblance avec celles de l’homme, et de les traduire en termes de conscience. Elle a le grand intérêt de faire de l’observation zoologique un instrument de psychologie comparative et de toucher par suite aux problèmes concernant la place de l’homme dans la nature et la genèse de ses facultés mentales. Mais c’est une méthode très glissante, où l’on est facilement tenté de prendre pour une explication la simple analogie avec les faits auxquels nous sommes accoutumés, ou de prêter aux animaux des phénomènes de conscience qui en font de petits hommes. » (A. Lalande, 1930.) Il faut : « Ne jamais interpréter une action comme l’effet d’une faculté mentale supérieure, quand elle peut être considérée comme produite par une faculté occupant un degré inférieur de l’échelle psychologique ». (Morgan, cité par A. L.)

Dans un livre consacré à la psychologie comparée (A. Costes, édit.), Mlle M. Goldsmith nous montre quelles sont les données que nous fournit aujourd’hui cette partie de la science, encore peu approfondie, et aussi les promesses qu’elle nous apporte. Après avoir indiqué que ni la théorie des essais et des erreurs, ni celle des tropismes ne nous donnent l’explication des premiers actes impliquant le psychisme, elle montre que les réflexes, actes conscients ou inconscients, se distinguent des tropismes, surtout en ce que les voies qu’ils empruntent pour se manifester – système nerveux – sont visibles pour nous. Elle en vient aux instincts, réflexes héréditaires, moins parfaits et plus perfectibles qu’on ne croit. Je considère, pour ma part, l’instinct comme l’emploi rationalisé d’une force nerveuse parcimonieusement mesurée. Elle traite en dernier lieu des actes relevant de l’intelligence proprement dite, caractérisés par ce fait qu’au lieu d’obéir à l’excitation du moment, ils se combinent avec les excitations antérieures par le moyen de la mémoire et de processus associatifs. Suivi à travers toute la série animale, le développement intellectuel n’est pas régulièrement graduel ; mais dans chacun des grands groupements zoologiques,

il s’accroît des formes inférieures aux supérieures, puis, dans le groupe suivant, redescend pour remonter plus haut. En fin de compte, Mlle Goldsmith conclut : « Les méthodes, encore toutes nouvelles, de la psychologie animale se perfectionneront et s’unifieront. Et, alors, de vastes possibilités s’ouvriront à des séries de travaux systématiques… ; enfin, on pourra étudier la dépendance des aptitudes psychologiques d’un animal vis-à-vis de son milieu et de ses conditions de vie. » L’animal humain fera son profit des renseignements fournis par ses frères inférieurs.

II. Collective. — On n’est pas encore parvenu a tracer une ligne de démarcation incontestée entre le domaine de la psychologie et celui de la sociologie, ou encore à déterminer la part qui revient à l’individuel et au collectif dans la naissance et le développement des idées de l’homme et dans l’évolution des sociétés. Que ces deux sciences tendent à empiéter l’une sur l’autre, cela, nous le verrons, est assez naturel ; mais, ce qui est plus grave, c’est que chacune émet la prétention d’absorber l’autre.

Tout rapporter à l’individu, considéré comme un absolu, unique promoteur et légitime bénéficiaire de toute activité intellectuelle, amène inévitablement à professer l’individualisme égoïste. Toutefois, si cette inclination est fâcheuse, elle ne saurait, lorsqu’elle reste strictement personnelle, porter grand préjudice à la société. Celui qui ne compte que sur ses propres forces pour imposer sa loi se heurte bientôt à des résistances qui réfrènent son ambition. La suprématie d’un seul sur tous a peu de chances de durée. Pour se satisfaire, les égoïsmes ont toujours dû former des coalitions, se constituer en castes ou classes poursuivant la conquête du pouvoir, détenant la gestion de la chose publique. Mais, du fait même que l’égoïste s’incorpore à un groupement d’intérêts, il abdique une partie de ses prétentions, hypocritement sans doute, mais, pratiquement, il est devenu sociable.

La prééminence de la collectivité sur l’individu est un principe d’une portée infiniment plus redoutable. Certes, tant que l’agrégat reste sans organisation, n’est qu’une foule capricieuse, la contrainte qu’il exerce sur des dissidents, violente parfois, n’est guère durable. Par contre, dès que des groupements d’intérêts se sont dégagés du chaos, celui d’entre eux qui s’est assuré la supériorité veut qu’elle soit reconnue comme fondée en droit. Il prétend être l’âme du corps social. Il invoque l’existence d’une conscience collective dont il serait l’organe.

Cette notion de conscience collective, demeurée longtemps imprécise, on a cherché à la justifier en s’appuyant sur la biologie.

Un sociologue contemporain, Espinas, considérait l’individu comme une synthèse d’organes ; il serait plus exact de dire synthèse de fonctions. La société serait une synthèse d’individus. « La même concentration qui, en produisant l’individualité organique, fait surgir une conscience, la conscience individuelle, ne peut pas, lorsque, en se poursuivant, elle produit la société, ne pas de même faire surgir en elle une conscience : la conscience collective. La participation de plusieurs éléments vitaux à une même fonction essentielle, c’est le concours biologique… La conscience qui résulte de ce concours est la même, en nature, chez la société et chez l’individu. » (Espinas, d’après Davy.)

Le concept de conscience individuelle est une survivance animiste, la croyance « à un animal invisible habitant à l’intérieur de l’animal visible ». En fait, il y a la pensée de l’homme, pensée qui comporte des degrés, une hiérarchie, si l’on veut, mais reposant seulement sur la précision de son objet et l’étendue de sa compréhension. « Nous pensons avec tout le corps, sans doute, et non avec le cerveau seul ; mais cela ne sau-