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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 4.1.djvu/41

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PEI
2007

artistiques se nouent, sur une ligne qu’on peut tracer, entre Bruges et Florence, autour de Dijon, de Bourges et d’Avignon. Mais la Bourgogne est la charnière centrale de ces échanges.

B) XVe siècle. — Dès lors la peinture se développe avec la plus grande rapidité et s’humanise de plus en plus. Les peintures d’autels elles-mêmes ne sont plus seulement l’illustration mystique et décorative des thèmes religieux, mais d’abord des tableaux où la technique, de plus en plus, se libère. Le perfectionnement des siccatifs et l’emploi plus adroit de la peinture à l’huile, procédé connu dès le xive siècle, est l’œuvre des flamands et, en particulier des frères Van Eyck.

De 1400 à 1420, environ, l’art franco-flamand domine. L’œuvre de Malouel, celle de ses neveux de Limbourg, mêlent leur influence à celle beaucoup plus forte des Van Eyck Hubert (1370-1426) et Jean (1384-1437), maîtres de l’école des Flandres, et du Valenciennois Robert Campin (1375-1444 ?), maître de l’école de Tournai. Les « Très riches heures du Duc de Berry », point culminant de l’art de la miniature à cette période, auxquelles tous ces artistes peuvent avoir collaboré, sont de 1416. Après 1420, l’assassinat du duc de Bourgogne et le traité de Troyes amènent un nouveau déplacement des centres artistiques. Paris, ruiné ; Dijon, délaissé, ainsi que Bourges, c’est à Gand, à Tournai, à Bruges, à Bruxelles que travaillent d’actifs ateliers. Leurs artistes apportent au sud de la France, à Aix où vient de s’installer le roi René, des leçons qui fructifieront dès la génération suivante.

Les années 1420 à 1440 sont parmi les plus fécondes de l’histoire de la peinture. Le grand rétable de l’Adoration de l’Agneau des Van Eyck, achevé en 1432, est, non seulement pour l’art des Flandres, mais pour toute l’Europe occidentale, la borne éminente des nouvelles directions. Mais les deux frères sont aussi les premiers des grands portraitistes, Désormais aux compositions religieuses s’ajoutent les œuvres qui traitent la figure humaine. Enfin, et d’abord comme fond, le paysage naît. On doit associer au nom de Campin celui du plus grand de ses élèves : Roger Van der Weyden (1400-1464). Au réalisme bourgeois des Van Eyck, Roger ajoute une note lyrique, un expressionnisme pathétique. Roger est en outre un des plus grands coloristes de tous les temps. L’influence de ces maîtres, diversement combinée, se retrouve dans l’école d’Aix : Le maître de l’Annonciation (v. 1445). On la retrouve aussi dans l’œuvre du Suisse Conrad Witz (né vers 1400).

L’Italie, pendant ce temps, accomplit, dans un isolement relatif, sa deuxième Renaissance. L’école d’Ombrie, formée peut-être par les Siennois, se rattache encore à ceux-ci, dans l’oeuvre charmante et fleurie de Gentile da Fabriano (1360-1428). Transporté à Venise, son enseignement combiné avec celui de Jacopo Bellini influence sans doute le grand peintre, graveur et sculpteur Pisanello (1397-1455 ?), élève d’Altichiero, détache les premiers maîtres de l’École vénitienne du byzantinisme des mosaïstes.

Mais c’est à Florence surtout que l’humanisation de la peinture se précise et s’intensifie. Fra Giovanni da Fiesole, l’Angelico (1387-1415), contemporain du piétisme franciscain, en exprima la béatitude sentimentale, avec une émotion communicative. Par sa technique, il forme le passage entre Giotto et Masaccio. Celui-ci est un maître, analogue aux Van Eyck et à Giotto par l’orientation nouvelle qu’il a donnée à l’art de peindre. Il fut vraiment le premier italien qui exprima l’homme moderne dans son intense réalité, avec un sens du modelé vivant et du caractère profond qui ne le cède pas à Michel Ange lui-même. En même temps que dans les sculptures de Donatello, tout l’art florentin du xve siècle puise sa source dans les fresques de ce très jeune homme (1400-1428). Si

quelque trace de l’imagerie d’Angelico se retrouve encore longtemps dans l’œuvre ingénue et féerique de Benozzo Gozzoli (1420-1498), Angelico lui-même et ses contemporains Andréa del Castagno et Paolo Uccello, peintre génial, orientent l’école florentine vers la recherche des formes hautaines et un certain héroïsme plastique. Domenico Veneziano Baldonnelli et Filippo Lippi se partagent l’influence de Masaccio. Cependant les siennois Sassetta, Neroccio, Matteo di Giovanni, ressuscitent à l’écart les imageries décoratives des maîtres du xive.

De 1440 à 1470, la génération née dans le premier quart du siècle arrive à la maturité ; et nous assistons, aussi bien en Italie qu’en Flandre, à une floraison magnifique. Piero della Francescha (1416-1462), même après Masaccio, est un précurseur. Un sentiment nouveau d’inquiétude tragique ajoute à l’intensité de son sentiment de l’espace. Mais nulle émotion ne perce cette noblesse. Les maîtres nés aux environs de 1430 à 1440, sont tourmentés visiblement, au contraire, par la passion de l’homme à laquelle ils prêtent une expression héroïque. Antonio Polajuolo (1429-1498) renchérit sur le culte de la force et les recherches du modelé expressif de Castagno et d’Ucello, Andrea Mantegna (1431-1506), inspiré par le culte de la grandeur antique qu’il ressuscite sans en être écrasé, sera l’initiateur d’un grand essor des écoles du nord de l’Italie et de celle de Venise. Verrocchio (1435 -1488), puissant sculpteur et peintre, est le maître du premier des grands artistes universels, Léonard de Vinci ; Melozzo da Forli (1435-1488) et Luca Signorelli (1441-1523) reprennent la grande leçon de leur maître Piero et l’intensifient en l’humanisant. Signorelli surtout est un grand créateur de formes libres et de mouvements. Antonello da Messina (1430-1479), introducteur vraisemblable à Venise de la technique perfectionnée de l’huile, est un portraitiste profond. Enfin Botticelli, Sandro Filipeppi (1444-1510) traduit dans la plus étonnante arabesque, avec le plus émouvant prestige, la même inquiétude humaine, la même tension intérieure et technique que ses contemporains. Mais c’est surtout vers la ligne expressive et le modelé tangible que ces maîtres portent leur effort. Ceux qui échappent à leur rigueur, qui semblent tout baignés de suavité, n’expriment pas plus qu’eux cependant la foi tranquille des Siennois ou des Florentins du xive. C’est l’athéisme renaissant qui circule avec la douceur de l’atmosphère dans l’œuvre de Pietro Vanucci, dit le Perugin (1446-1523) et de Francesco Francia (1450-1518).

De Mantegna et des Bellini l’art des vénitiens prendra, avec la sérénité païenne, la science et le goût des belles matières. Peut-être aussi la grandeur de la cité et l’héritage de Byzance sensible chez les frères Vivarini, de Murano, sont-ils pour quelque chose dans les déterminations si particulières de cet art. Gentile Bellini (1427-1507) est l’illustrateur des fastes de Venise ; Giovanni Bellini (1430-1516), son frère, est un génial artiste, fort complexe, dont l’activité parcourt toutes les étapes, donne ou subit toutes les influences. Carto Crivelli (1430-1494), artiste des plus originaux, peint dans une matière précieuse des formes magnifiques. Il faut rattacher à Mantegna et à l’art tendu des florentins les œuvres d’un grand artiste austère, Cosimo Tura, de Ferrare (1430-1495), maître de toute une école qui comptera des peintres représentatifs comme Ercole de Roberti (1456-1495).

Ces artistes, pour la plupart de très haut rang, ont tous marqué, de façon ou d’autre, l’évolution de l’art après eux, et plusieurs des vastes génies du XVIe siècle ne font, en somme, qu’épanouir, développer et achever en l’épuisant, le mouvement reçu de leurs prédécesseurs, après y avoir imprimé leur marque de grands ouvriers.

En Flandre, les grands élèves des Van Eyck et leurs