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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 4.1.djvu/49

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PEN
2015

fraternelle de ces races qu’à un snobisme désœuvré et maniaque. — Tiburce.


PENSÉE (et Action). — Bien qu’elle soit rédigée en style lapidaire, la Déclaration des Droits de l’Homme est loin de définir d’une façon précise les conditions dans lesquelles pourra s’exercer la liberté de la pensée. A l’article 11, il est dit : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme, tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »

Que doit-on entendre par abus ? Plus loin, au nombre des dispositions fondamentales garanties par la Constitution, il est répété : « la Constitution garantit pareillement comme droits naturels et civils : 5° la liberté à tout homme de parler, d’écrire, d’imprimer et publier ses pensées, sans que ses écrits puissent être soumis à aucune censure ou inspection avant leur publication… » Et, peu après : « comme la liberté ne consiste qu’à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas aux droits d’autrui, ni à la sûreté publique, la loi peut établir des peines contre les actes qui, attaquant la sécurité publique ou les droits d’autrui, seraient nuisibles à la société. » Les droits d’autrui, quand il est faible, ont toujours été fort mal préservés par la justice. Par contre, le vague des termes, sûreté publique, société, a laissé la porte ouverte à l’arbitraire, que l’on prétendait bannir de nos institutions.

Ce n’est pas seulement, de ce fait, la possibilité d’expression de la pensée qui est mise en péril, mais la pensée même. Les préjugés spiritualistes de l’époque empêchaient de s’en rendre compte, et cette vérité est encore trop méconnue à notre époque. Ainsi, dans un récent article de Revue, nous lisons : « Soit dit en passant, sans paradoxe, dans toutes les sociétés, sous tous les régimes politiques, la liberté de pensée a régné, aucune société n’a véritablement violé la liberté de conscience, phénomène purement intérieur ; tous les régimes se sont montrés tolérants… parce qu’ils ne pouvaient faire autrement par la nature des choses. L’on n’a jamais violé que la liberté des manifestations extérieures : discours, cris, chansons, ports d’emblèmes, écrits, cortèges. Cette liberté-là, toutes les sociétés l’ont violée, tous les régimes la violeront. »

Ces phrases expriment une erreur que l’examen des conditions du fonctionnement de l’esprit doit dissiper. Liberté de pensée et liberté de manifester sa pensée sont inséparables. Proudhon l’avait bien aperçu, lorsqu’il écrivait : « L’idée, avec ses catégories, naît de l’action et doit revenir à l’action, à peine de déchéance pour l’agent… contrairement à ce qu’enseignent l’orgueil philosophique et le spiritualisme religieux, qui font de l’idée une révélation gratuite, arrivée on ne sait comment, et dont l’industrie n’est plus ensuite qu’une application. »

Tout être vivant est un faisceau de tendances. « Sans arrêt, depuis sa naissance, avant cela même, dans le développement du germe, la vie consiste en ces mouvements spontanés et dirigés, que le milieu extérieur ne fait que stimuler, qui aboutissent à le modifier aussi à quelque degré, mais toujours se suscitent l’un l’autre en vertu de nécessités intérieures ; on peut les nommer indifféremment, et selon les points de vue, fonctions, instincts ou tendances. » (D. Parodi.) En nous assimilant à l’être que nous voyons vivre sous nos yeux, nous pouvons dire que l’aspect intérieur qu’ont pour lui ces mouvements spontanés répondant aux stimulations extérieures qui libèrent son énergie propre, est l’élément primordial, la substance de sa pensée. Activité et pensée sont les deux faces complémentaires du comportement de l’être, les composantes de sa vie. « L’activité de l’esprit consiste dans la vie des idées ; les idées sont des êtres vivants, c’est-à-dire qu’elles ne s’épuisent ni dans leur

apparition, ni même dans leurs transformations intérieures ; elles agissent ; même elles sont elles-mêmes une action extérieure, un mouvement. Concevoir une lettre adressée à un ami, c’est déjà commencer à lui écrire, réaliser les actes nécessaires pour faire ce qui est imaginé. L’action extérieure est la prolongation de l’idée, l’idée elle-même vue du dehors. » (L. Brunschvicg.)

L’effet du stimulus extérieur est de provoquer l’attention corrélative à la sensation. Or, l’attention est la prise d’une attitude, la suspension de mouvements en cours, une nouvelle orientation de la tête et du regard, l’activation de certains muscles. À des mouvements presque imperceptibles, l’observateur exercé reconnaît l’éveil d’une pensée.

On a dit que les tendances de l’être vivant inclinaient toutes également, en dernière analyse, à conquérir l’univers à multiplier sa formule individuelle, à imposer au milieu son propre rythme. C’est sans doute là l’aspect extérieur de la vie. Au dedans, l’activité se traduit par la recherche de l’équilibre avec le milieu, absorption et assimilation quand la chose est possible, harmonisation des rapports dans le cas le plus général, harmonie constamment compromise, constamment rétablie. Dans la vie psychique, cela se traduit par la persuasion d’autrui, la propagation de son idée ou l’assimilation de la pensée des autres, en un mot, par l’échange libre des pensées.

Toute idée, aussitôt conçue, se manifeste-t-elle par un acte ? Ce qui caractérise les êtres les plus élevés en organisation, c’est la faculté de différer l’action, de freiner les mouvements instinctifs non rationnels pour les corriger en tenant compte de l’expérience passée. L’énergie activée par l’impression venue du dehors est tenue en réserve, associée à d’autres pour n’être libérée qu’au moment le plus favorable ; le geste automatique ne s’accomplit pas. « Brusquement, l’idée de l’acte se sépare du mouvement organique et attire l’attention de l’esprit. Au lieu d’être une source d’impulsion vers le dehors, elle revient en quelque sorte sur elle-même, et devient le point de départ de la réflexion. L’action à laquelle conduit la tendance est alors une action intellectuelle ; elle consiste à coordonner par rapport à l’idée initiale d’autres idées secondaires qui sont en relation avec elle… L’intervention de la réflexion a ainsi transformé et élargi le caractère de la tendance. A l’idée initiale est suspendue maintenant une série de mouvements successifs… » (L. B. déjà cité.)

Ainsi, le freinage de l’acte impulsif, lorsqu’il a son point de départ dans l’individu impressionné lui-même, loin d’être un renoncement à l’activité, est, au contraire, la préparation à une activité extérieure plus intense et plus efficace. Que va-t-il advenir si l’arrêt vient de la rencontre d’une force extérieure prépondérante abolissant la tendance individuelle ?

Ce qui réalise le mieux la suppression de l’activité de l’homme, c’est son retranchement du milieu social où il vit normalement : la réclusion. Or « l’homme ne peut se suffire à lui-même en plein isolement. Son intelligence est incapable de se développer pleinement si, par les messages de la parole, de l’écriture, elle n’entretient correspondance avec les intelligences contemporaines et proches… » En cas de réclusion, « l’expérience a montré que c’était là une insigne cruauté et que les condamnés mouraient bientôt ou sombraient dans la démence. » (Dr Desfosses.)

Plus l’individu est inculte, plus la séquestration le dégrade. Chez l’homme civilisé, le geste symbolique, le geste descriptif sont l’accompagnement ordinaire de la parole. Chez le primitif, ils sont l’essentiel du langage : sans mimique pas de compréhension réciproque. Bien plus, le langage tout entier est une action dramatique évoquée par la voix et le geste, devant l’interlocuteur. Un Boschiman est bien accueilli et embauché en qualité de pâtre par un blanc qui ensuite le maltraite. Il