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RIT
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qui n’avait pas été trié grain à grain ; ce fait fut consigné dans les annales de l’empire comme la plus terrible des catastrophes. Cinq fois par an, ce dieu terrestre donnait des audiences dans la troisième enceinte de son palais ; les nobles s’y rendaient pieds nus, suivis d’un serviteur qui portait leurs chaussures. Le siogoun, qui jouissait d’un prestige presque égal à celui de l’empereur, était contraint, pareillement de respecter des habitudes périmées. C’est dans la seconde moitié du xixe siècle seulement que le Japon s’est modernisé.

Dans l’Inde, le ritualisme brahmanique, souvent odieux ou cruel, s’impose obligatoirement, même aujourd’hui. Mais le pays par excellence des rites, ce fut l’ancienne Chine. Le Li-Ki, ou Livre des Rites, est l’un des cinq livres sacrés de cet immense pays. Il semble fort ancien et remonterait, croit-on, a la troisième dynastie, Tcheou. Un ministère spécial fut chargé de veiller à la stricte application des rites consacrés par l’usage ou la loi. Tout était soumis à des règles invariables, figé dans une immobilité contre nature. À Pékin, les habitants ne pouvaient sortir de leurs demeures avant 5 heures 12 minutes, le matin, ni après 9 heures 12 minutes, le soir. Construction des maisons, type des voitures, forme des vêtements, etc., étaient fixés administrativement. Si les menus détails de la vie privée n’échappaient pas à l’empire de la coutume, les grandes manifestations officielles, les cérémonies religieuses, les examens littéraires, l’étiquette de la maison impériale faisaient l’objet d’innombrables et intangibles prescriptions. Tel était l’attachement des Chinois pour les rites nationaux et le culte des ancêtres que les missionnaires Jésuites, fidèles à l’exemple donné par le Père Ricci, cherchèrent, au xviie siècle, non à les discréditer, mais à les concilier avec l’enseignement et les usages catholiques. Une adaptation du même genre fut tentée avec le brahmanisme, sur les côtes du Malabar, par les disciples d’Ignace de Loyola. Il fallut les condamnations expresses des papes Innocent X en 1645, Clément XI en 1715 et Benoit XIV en 1742, pour que les Jésuites d’Extrême-Orient, après avoir usé de tous les échappatoires possibles, se résignent à défendre aux chrétiens de pratiquer les rites chinois ou de rester fidèles aux coutumes du Malabar.

A l’instar du paganisme romain, formaliste et routinier, le catholicisme, son imitateur et son héritier, témoigna de bonne heure d’un goût marqué pour les cérémonies pompeuses et les rites compliqués. Pour célébrer la messe, pour administrer les sacrements, pour présider les vêpres, etc., le prêtre s’affuble de robes et de manteaux hiératiques : sacristains, chantres qui l’entourent portent des jupes ; et les jeunes garçons qui le servent à l’autel, endossent, eux aussi, des vêtements féminins. A la manière de perroquets, les assistants répètent des formules et des prières, dont ils n’omettent pas une syllabe, mais dont le sens leur échappe parfois complètement. De même, leurs divers gestes sont fixés d’avance, et c’est de façon toute machinale qu’ils se lèvent, s’agenouillent, font des génuflexions et des signes de croix. Le concile de Trente déclara anathème quiconque se permettrait d’omettre ou de changer les rites adoptés par l’Église. Lorsqu’il promulgua le Missel romain, Paul V ordonna aux prêtres d’en suivre les prescriptions à la lettre, en célébrant la messe ; et Benoit XIII rendit obligatoire la fidélité aux règles contenues dans le Cérémonial des Évêques. A côté du rite latin, le catholicisme accorde une place à d’autres rites, celui des grecs-unis et celui des maronites par exemple. Au Vatican, la Congrégation des Rites s’occupe de tout ce qui concerne les cérémonies liturgiques, l’administration des sacrements, la canonisation des saints ; sa création remonte à Sixte-Quint ; elle est présidée par des cardinaux.

En matière de culte, l’Église orthodoxe s’avère non

moins amie de la routine et de la complication que le catholicisme. Par contre, le protestantisme témoigne d’une répugnance, très accentuée dans certaines sectes, pour les rites impersonnels et les formules stéréotypées. Aux cérémonies grandioses, aux manifestations théâtrales, il préfère le culte en esprit et le recueillement intérieur.

Parce qu’ils se croyaient des demi-dieux, maints souverains ont voulu qu’on rende à leur personne un culte ayant ses rites invariables et ses formes consacrées. Un cérémonial rigoureux, l’étiquette, régnait à Versailles, sous Louis XIV. Devant le lit du roi, et devant le coffret qui contenait ses serviettes, les courtisans faisaient une révérence comme les fidèles devant le tabernacle. Au lever du souverain, les assistants étaient introduits par séries dans sa chambre à coucher. Les premiers le voyaient sortir du lit et l’aidaient à mettre sa robe de chambre ; les derniers pénétraient seulement lorsqu’il s’était frotté les doigts avec une serviette trempée dans l’alcool : c’était tout le débarbouillage de ce roi crasseux. C’est un prince du sang qui présentait au monarque la chemise de jour ; pour passer sa culotte et pour l’attacher, il fallait l’intervention du maître de la garde-robe. Quand il dinait seul, un huissier, un maitre d’hôtel et trois gardes du corps, carabine à l’épaule, escortaient chacun des plats qu’apportait un gentilhomme ; trois personnes intervenaient pour lui verser à boire. Les jours de grand couvert, le cérémonial était plus pompeux encore et une trentaine de larbins, dont un aumônier, et seize hommes en armes, entouraient le potentat. Monument de sottise et de vanité, ce ritualisme trouve encore des admirateurs parmi les historiens bien pensants. A Rome, la cour pontificale continue, même de nos jours, à exiger des fidèles admis à voir le pape qu’ils se prosternent devant ce souverain costumé en princesse, et qu’ils baisent sa pantoufle avec dévotion.

Si j’en crois ce que j’ai pu lire ou entendre, la question des rites aurait une grosse importance dans la franc-maçonnerie ; mais j’en parle en profane, n’ayant jamais visité une loge. Le Grand Orient de France possède un Grand Collège des Rites, dont les membres, tous parvenus au 33e degré, se recrutent par cooptation. Cet organisme n’a pas de pouvoirs administratifs, mais il veille à l’octroi régulier des hauts grades et au maintien du symbolisme et des traditions maçonniques. A la Grande Loge de France, Oswald Wirth et quelques autres ont conservé très vif le goût et le souci des rites. En Belgique, Goblet dAlviella s’efforça d’imprimer un caractère mahométan, bouddhique, chrétien, mithriaque à certains degrés. Albert Pike, dont l’œuvre n’est pas traduite en français, s’est appliqué à mettre en valeur les grades écossais. Chez nous, les ouvrages de Ragon, de Bédarride, d’Oswald Wirth, de Plantagenet, peuvent donner une idée du ritualisme maçonnique. Rituel et symboles auraient pour but, disent leurs défenseurs, de transformer l’esprit de l’initié et d’y introduire les principes nouveaux dont il doit s’inspirer. Occultistes et mystiques leur attribuent en outre de secrètes et puissantes vertus. Mais d’autres préfèrent le travail rationaliste ; les cérémonies ésotériques ne leur inspirent pas confiance ; ils voudraient une maçonnerie modernisée, moins indulgente pour les religions, plus pénétrée de l’esprit scientifique.

Sans nous attarder davantage à l’énumération des ritualismes qui furent pratiqués autrefois ou qui le sont encore aujourd’hui, disons que le goût des cérémonies pompeuses nous apparaît comme une survivance d’un état d’esprit qui eut sa raison d’être aux époques de barbarie, mais qui ne répond plus aux exigences de cerveaux libérés des dogmes et des croyances traditionnelles. Les rites d’origine religieuse ou magique sont à rejeter irrévocablement ; nés du mensonge, ils ont pour unique résultat d’entretenir une maladive curio-