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« Mon verre n’est pas grand, mais je bois dans mon

[verre. »

Le roman naturaliste fut, comme l’art de la même école, le produit de L’évolution sociale plus que de préoccupations esthétiques. Non seulement la Révolution avait apporté un esprit plus largement humain, mais les découvertes scientifiques, Je développement du machinisme, les nouvelles conditions du travail industriel avaient engendré des volontés de réalisations qui dressaient l’économie sociale en face de la politique. La réalité s’imposait, irrésistiblement au penseur comme à l’ingénieur. La science et la philosophie sociales ne descendaient plus des nuages et ne sortaient plus fumantes des cogitations scolastiques ; elles jaillissaient du fait social, du travail, de la lutte de plus en plus âpre entre les producteurs et les bénéficiaires de la richesse. Ce fait social dominait malgré toutes les résistances. G. Sand lui avait fait une place de plus en plus marquée dans ses dernières œuvres. Il avait déterminé lu première forme du roman appelé « populaire », celui d’Eugène Sue (les Mystères de Paris, le Juif errant, les Misères des enfants trouvés, etc.) en concurrence avec le roman historique des A, Dumas, P. Féval, F. Soulié, dans les feuilletons des premiers journaux quotidiens dont ils avaient assuré le succès. V. Hugo avait écrit une véritable épopée populaire avec ses Misérables. Cette œuvre immense où se heurtent dans une mêlée titanesque toutes les passions, tous les rêves et toutes les réalités, les plus purs comme les plus abjects, est et demeure, par son humanité, le type du véritable roman social, quelles que soient les conventions qu’on lui oppose. De ce roman social, V. Hugo a jeté l’indestructible base quand il a écrit en tête de son œuvre cette belle préface qui se termine ainsi ; « tant qu’il y aura sur la terre ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles », Non seulement ils n’étaient pas inutiles, mois ils étaient nécessaires, indispensables, ces livres qui étaient une espérance pour les affamés, une accusation contre les repus.

Un Claude Bernard et un Taine cherchaient à établir scientifiquement et philosophiquement les lois de la vie ; Zola voulut les donner à la littérature et en particulier au roman. Ses théories furent plus ou moins arbitraires comme celles de C. Bernard et de Taine ; son œuvre les a heureusement dépassées et seule elle a valu, comme seule vaut la vie au dessus de tous les systèmes du monde. L’hérédité spéciale de la famille Rougon-Macquart n’est en rien déterminante des faits sociaux ; cette famille est emportée, comme toutes les autres, dans le fait collectif de son temps. Zola ne pouvait pas faire, sans manquer à la vérité, que la personnalité de chacun des Rougon-Macquart ne se fondit dans l’anonymat de cette mêlée, c’est-à-dire des êtres généralement médiocres dont, il se faisait l’historien, pour se transformer en types représentatifs de leur milieu et de leur temps. La besogne essentielle de Zola, comme du naturalisme, a été de transporter dans la réalité de son époque l’épopée romantique des masses humaines telles qu’elles sont, dépouillées de la déformation littéraire.

Les Goncourt se sont préoccupés davantage de l’individu mais sous son aspect on peut dire plastique. Ils ont plus recherché la précision pathologique que l’exactitude psychologique. Ils ont voulu faire de la « clinique sociale » (L. Tailhade) aussi bien dans leurs études historiques, leur Journal, que dans leurs romans plus propres à leur temps (Renée Mauperin, Germinie Lacerteux, Manette. Salomon, la Fille Elisa, Charles Demailly, la Faustin, Sœur Philomène, les Frères Zemganno, etc.). Ce fut chez eux un procédé découlant de cette idée, toute conventionnelle et fausse, que l’art ne peut être réaliste qu’autant qu’il s’applique à des individus et à

des milieux inférieurs, plus ou moins grossiers. Le procédé fut exagéré par Huysmans (Marthe histoire d’une fille, les Sœurs Vatard, En ménage, A vau-l’eau), avant qu’il transportât sa recherche du bizarre dans le domaine occultiste et catholique (A rebours, Là-bas ! En route, la Cathédrale, les Foules de Lourdes). Il fut encore plus exagéré par de bas producteurs dont l’œuvre ne fut que de la pornographie sans art.

Les romanciers suivants apportèrent au naturalisme les tempéraments les plus divers. Guy de Maupassant, le plus représentatif du véritable naturalisme (voir ce mot), auteur de Roule de Suif, Une vie, Bel Ami, Monl-Oriol, le Horla, Pierre et Jean, le Champ d’oliviers, la Femme de Paul, Fort comme la mort, et de très nombreux contes non moins remarquables que ses romans par la composition et par le style. Henri Céard (Une belle journée), Léon Hennique (la Dévouée, Elisabeth Couronneau, l’Accident de M. Hébert), Paul Alexis (la Fin de Lucie Pellegrin, le Besoin d’aimer, Vallobra, roman de mœurs politiciennes). Ces quatre écrivains furent, avec Zola et Huysmans, les collaborateurs des Soirées de Médan. Ce furent encore, parmi les écrivains naturalistes restés attachés à l’école de Zola ou qui s’en séparèrent avec plus ou moins d’éclat. : Lucien Descaves (Sous-Offs, les Emmurés, la Colonne, Philémon Vieux de la Vieille, etc.) ; Gustave Geffroy (l’Enfermé, beau livre sur Blanqui, l’Apprentie, Hermine Gilquin) ; Paul et Victor Margueritte qui écrivirent en collaboration entre-autres trois romans sur la guerre de 1870, puis se séparèrent, Paul allant vers « l’idéalisme nationaliste », Victor défendant, dans la voie contraire, les théories sociales les plus hardies et les plus généreuses pour la liberté de l’individu et pour la paix des peuples (Prostituée, la Femme en chemin, Ton corps est à toi, Non, la Patrie humaine, etc.) ; J. et H. Rosny (Nelle Horn, le Bilatéral, l’Impérieuse bonté, la Vague rouge, etc.) dont le naturalisme est, socialement, plus pondéré ; Paul Adam (Chair molle, Robes rouges, le Mystère des foules, l’Année de Clarisse, la Force, la Bataille d’Uhde, etc.) plus « nietzschéen » mondain que révolté ; Léon Frapié (la Maternelle, la Boite aux gosses, la Proscrite, etc.) ; Henry Fèvre (Galafieu, Pampouille et Dagobert, etc.) ; Michel Corday (Vénus ou les deux risques, les Embrasés, les Maternités consenties, etc.) ; Gaston Chérau (Champi Tortu, la Prison de verre, la Maison de Patrice Perrier, Valentine Pacquault, etc.) qui est un bon observateur de la vie provinciale ; Han Ryner (le Crime d’obéir, le Sphinx rouge, les Voyages de Psychodore, Prenez-moi tous ! etc.) qui mit la philosophie individualiste dans le roman social. Enfin, ceux qui avec Zola, Maupassant et Huysmans apportèrent au naturalisme les personnalités les plus caractéristiques : Jules Renard (Poil de Carotte, la Maîtresse, Ragote, Histoires naturelles, etc,), et Georges Courteline (Boubouroche, Messieurs les ronds de cuir, les Gaietés de l’escadron, etc.).

A la fois romantique et naturaliste, se dresse, magnifique, Léon Cladel qui fut le plus lyrique, le plus ardent, poète de la terre et de ses hommes, de la liberté et des travailleurs. Après les Martyrs ridicules, présentés par Baudelaire, où Cladel railla la paresseuse et vicieuse bohème, ce furent Pierre Patient, le Bouscassié, les Va-nu-pieds, Celui de la Croix aux bœufs, Ompdrailles, Crète-Rouge, Kerkadec, N’a qu’un œil, etc, tous ces types surprenants d’une vie populaire et d’une épopée qui dépasse V. Hugo en vérité réaliste et en ferveur humaine. Puis, posthume, ce fut I. N. R. I., le plus beau poème qui ait été écrit à la gloire de la Commune et de sep défenseurs. Cladel a été leur Homère.

Romantique et naturaliste, a été aussi Jules Vallès, mais plus en marge des deux écoles que Cladel. Hommes et œuvres tout différents. Si Cladel possédait foncièrement l’enthousiasme de la vie populaire, Vallès