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fut très grand à partir de 1823, malgré l’insuffisance de la traduction Loève-Veimars. Des critiques revenus d’Allemagne le firent connaître. Il avait été déjà exploité par Latouche qui avait traduit et publié sa Mlle de Scudéry sous le titre d’Olivier Brusson, et par Jean Cohen, qui traduisit les Élixirs du Diable en leur donnant comme auteur un nommé Spindler. Hoffmann influença Musset, G. Sand, Balzac. Plusieurs œuvres de ces deux derniers portent la marque hoffmannesque. Celles de Th. Gautier, G. de Nerval et Mérimée encore plus. La mode fut à Hoffmann et, bien entendu, A. Dumas y trouva une mine où travaillèrent ses nombreux « nègres ».

Le succès d’Edgar Poe (1809–1849) arrêta la vogue d’Hoffmann. Mais nous arrivons à l’époque plus réfléchie, influencée par le naturalisme, du symbolisme dont Poe allait être un inspirateur, grâce à Baudelaire, qui traduisit ses œuvres et refléta son esprit. Poe fut un des plus grands artistes du romantisme littéraire. Intelligence supérieurement douée, caractère enthousiaste, généreux et révolté, il voulut, à dix-huit ans, se battre pour la Grèce, comme Byron, puis pour la Pologne. Malgré un travail acharné, il fut pauvre toute sa vie, victime des convenances anglo-américaines qui n’admettent pas l’indépendance de l’individu sans fortune, alors qu’elles sont si complaisantes à la fortune sans scrupules. Il fut poursuivi par la haine calomnieuse de cuistres impuissants comme ce Griswold qui s’acharna contre sa mémoire et fit dire à Baudelaire : « N’y a-t-il pas, en Amérique, de loi qui interdise aux chiens l’entrée des cimetières ? »

La figure la plus caractéristique du romantisme allemand, sentimental, rêveur, inquiet, mystique, épris d’un idéal surnaturel sans aucune possibilité de composer avec le réel, avait été celle d’Heinrich de Kleist. Un Chatterton avait essayé de lutter et avait été vaincu, à dix-sept ans, par la misère plus que par le « mal du siècle ». Heinrich de Kleist vécut plus longtemps mais porta toute sa vie la nostalgie de la mort. S’il tarda à mourir, c’est qu’il lui fallait un compagnon pour « tirer le rideau » avec lui. Il ne le trouva qu’à trente-trois ans, en 1811, lorsqu’il réussit à entraîner dans la mort, avec lui, sa fiancée, Henriette Vogel. Gœthe tenait Heinrich de Kleist pour un grand poète et l’on a dit « qu’auprès d’un tel créateur, un Novalis et un Tieck s’évanouissent comme des ombres exsangues ».

Au romantisme allemand se rattachent, par la langue, mais non par l’esprit, les autrichiens Grillparzer et Lenau. Grillparzer (1791–1872) fonctionnaire viennois dont l’existence calme contrasta avec le bouillonnement romantique, fut l’interprète du véritable esprit de la capitale autrichienne. Lenau (1802–1850), d’origine aristocratique et silésienne, fut, tout au contraire, le poète d’un romantisme exalté ; il succomba dans la démence. Tous deux marquèrent par dessus tout le parti-pris de ne pas être d’esprit allemand, Ils vinrent assez tard dans le romantisme et n’en virent que les excès. Ils ne paraissent pas avoir été sensibles il son sens universel détaché de l’esprit de clocher et de caste.

Le romantisme en France. — Ce fut Senancour (1770-1846), qui réalisa le personnage le plus caractéristique, le plus sincère et le plus réfléchi du romantisme. Moins exalté et moins remuant que Kleist, plus indécis et plus solitaire, il trouva dans la nature le refuge de ses rêveries, sinon l’apaisement de son âme. Il fut, de son temps, un des rares hommes qui sentirent et aimèrent véritablement cette nature. Nul, plus que lui, n’éprouva ses « effets romantiques » , « l’harmonie romantique » de sa « langue primitive ». Un des premiers il chanta la forêt de Fontainebleau qui a trouvé depuis tant de poètes et de peintres. Il a vécu avec ivresse parmi « ses

fondrières, ses vallées obscures, ses bois épais, ses collines couvertes de bruyères, ses grés renversés, ses rocs ruineux, ses sables vastes et mobiles dont nul pas d’homme ne marquait l’aride surface… » (Obermann). Avant Shelley, il fut le poète des splendeurs alpestres, des glaciers qui faisaient à Chateaubriand l’effet de « carrières de chaux et de plâtre » !… La mélancolie d’Obermann (1804) est aussi sincère que celle de René (1802) est affectée. Il y a, dans l’œuvre de Senancour « le romantique qui suffit seul aux âmes profondes, à la véritable sensibilité », alors que dans celle de Châteaubriand il n’y a que « le romanesque qui séduit les imaginations vives et fleuries ». Senancour, pour qui les affections de l’homme étaient « un abîme d’avidité, de regrets et d’erreurs » était trop sceptique pour trouver l’apaisement dans les soporifiques religieux. Il souffrait du mal de son époque. Chateaubriand se bornait à le mettre en roman en le délayant dans le julep du christianisme.

La véritable note française fut apportée dans la poésie romantique par Lamartine (Méditations, 1820, et Nouvelles Méditations, 1823), et Victor Hugo (Premières Odes, 1822, et Odes et Ballades, 1824). C’était une poésie nouvelle par la forme. Elle se manifesta par des œuvres, les théories n’étant pas encore formulées. Stendhal a été le premier des théoriciens romantiques. Par détestation de l’imitation classique qui n’était plus de l’époque, il s’était déclaré romanticiste et, dès 1823, il avait commencé la nouvelle bataille littéraire en posant la question : « Pour faire des tragédies qui puissent intéresser le public, faut-il suivre les errements de Racine ou ceux de Shakespeare ? » Toute une série d’articles pour la défense du romanticisme parurent sous sa plume et furent réunis dans le volume : Racine et Shakespeare. Mais Stendhal serait par la suite le moins romantique des romantiques. Il était trop sincère, aimait trop la vérité et détestait trop l’hypocrisie pour ne pas rompre avec le romantisme sentimental devenu une formule pour faire des dupes depuis la brutale fortune napoléonienne. Stendhal se plut à arracher leur masque sentimental aux beaux marlous, les Rastignac, les Rubempré, qui vivaient de la corruption des mœurs et que Balzac ménageait trop.

Vers 1823, Charles Nodier réunit chez lui le premier cénacle romantique. Nodier fut le romantique par excellence, par son besoin de mettre du romanesque en toute chose. Ses grandes qualités d’écrivain le firent exceller dans le conte où il ne fut pas inférieur aux Allemands. Il fut non moins romantique par la frénésie de son imagination et une remarquable insincérité le poussant à « paraître » et à étonner ses contemporains. La chose était alors plus neuve qu’aujourd’hui ; on pouvait encore en user honnêtement sans être absolument ridicule ou odieux. Le premier cénacle romantique compta les frères Deschamps, Vigny, Soumet, Chênedollé, Jules Lefèvre, etc. Hugo se réserva, à mi-chemin entre le classicisme et le romantisme, jusqu’en 1826 où il réclama la « liberté dans l’art », celle de tout dire, de tout représenter dans la réalité des sentiments humains. L’année suivante, tout en gardant une mesure que ses disciples n’observeraient pas toujours, il s’affirma avec fracas chef de l’école romantique dans la préface de Cromwell.

Le deuxième cénacle, formé en 1829, fut plus nettement romantique avec Nodier, Hugo, Vigny, Sainte-Beuve, A. Dumas, David d’Angers, etc. Les artistes entraient dans le mouvement à côté des littérateurs. Les événements politiques, avant-coureurs de juillet 1830, favorisèrent l’offensive qui fut prise audacieusement. Les représentations d’Henri III et sa cour, d’A. Dumas, à la Comédie Française, et la publication du Dernier jour d’un condamné, de V. Hugo, furent en 1829, les deux premières manifestations triomphales du romantisme. Hernani, d’Hugo, et Othello, traduit de